La rencontre

Parmi les privations qui nous sont infligées depuis maintenant onze mois, la possibilité de « rencontres » en est une.

Nous sommes privés de sport, de culture, de sorties de toutes sortes, et pour certains de travail depuis presqu’un an, ce qui est absolument catastrophique. Il n’est pas besoin de le vivre pour le savoir.

Un an, c’est déjà une tranche de vie. Ce qui était supportable quelques semaines, maintenant ne l’est plus. La situation sanitaire est ce qu’elle est, nul ne le conteste,  mais tout le monde s’accorde, y compris chez les scientifiques,  que ce que nous subissons ne peut plus s’inscrire dans la durée, et pourtant…

Donc, « la rencontre », celle qui nous permet de nouer de nouvelles amitiés, de nouvelles relations sociales, professionnelles et de nouvelles aventures de toutes sortes,  et bien nous en sommes complètement privés. Or ce sont elles, les rencontres, qui nous font évoluer dans la vie. Tout seul, nous ne serions pas grand-chose.

Aussi, c’est avec grand intérêt que j’ai entrepris la lecture d’un livre qui traite du sujet. Il s’agit de « La rencontre » de Charles Pépin. Je ne peux que vous le recommander. Bien que commencer avant le premier confinement, il colle, on ne peut mieux, à l’actualité.

Pour donner l’envie de vous plonger dans cet ouvrage, je vous livre une partie de la quatrième de couverture : « Pourquoi certaines rencontres nous donnent-elles l’impression de renaître ? Comment se rendre disponible à celles qui vont intensifier nos vies, nous révéler à nous-mêmes ? La rencontre – amoureuse, amicale, professionnelle – n’est pas un plus dans nos vies. Au cœur de notre existence, dont l’étymologie latine « ex-sistere » signifie « sortir de soi », il y a ce mouvement vers l’extérieur, ce besoin d’aller vers les autres. Cette aventure de la rencontre n’est pas sans risque, mais elle a le goût de la vraie vie. »

Je pense que ces quelques lignes ne peuvent que nous faire comprendre l’urgence qu’il y a de sortir de cette situation. L’être humain n’est pas fait pour vivre reclus, privé de toutes les formes de relations.
Seules quelques races d’animaux en sont capables, la plupart vivent en troupeaux ou en meutes, nous méritions aussi bien que nos amis les bêtes. A moins qu’il s’agisse d’une vengeance en réaction aux traitements que certains humains leur réservent.

eric@pariset.net

Matériel, psychologie et physique

N’étant ni psychothérapeute, ni médecin, ni scientifique (mes connaissances se limitant principalement à la « science du combat »), je me contenterai  donc de l’exposition de sentiments et de légitimes ressentiments provoqués par la perte d’un outil de travail, d’un travail et par l’interdiction de pratiquer et d’enseigner une discipline éducative. Cela va faire un an que dure cette situation invraisemblable. Que de dégâts, de désastres pour revenir à la case départ avec l’annonce un troisième confinement « très serré » (le choix des mots n’est jamais anodin) !
Les confinements et autres couvre-feux sont pour tous une épreuve, mais lorsqu’à ces enfermements s’ajoute la suppression de votre travail, l’addition est lourde.

Le présent est terrifiant et l’avenir l’est tout autant.

Il y a la pandémie et ses victimes directes mais il y a aussi ce que l’on appelle depuis bientôt un an les dommages collatéraux avec bien d’autres victimes. Certaines personnes  sont à la limite de la rupture économique et de l’effondrement psychologique (pour beaucoup, c’est déjà acté). Qui accepterait d’être privé de revenu depuis bientôt un an, tout en ignorant l’issue de ce cauchemar?  Certes, il y a quelques aides de l’État, mais elles ne sont pas à la hauteur des préjudices, quant aux assurances elles sont aux abonnés absents. Ceux qui ont subi une perte d’exploitation doivent s’en passer !

Cela va faire un an que l’on souhaite du courage à ceux qui sont en difficulté, qu’on leur demande de la patience, qu’on leur impose de la résilience.
Du courage, aucun « entrepreneur » n’en manque, je dirais presque par définition. L’entrepreneur n’est démuni ni de courage, ni d’énergie. Ces deux qualités sont indispensables, quel que soit le secteur d’activité. Il y a une prise de risque inévitable dans l’entreprenariat. Ceux qui s’y lancent le font en connaissance de cause, ils savent qu’ils devront compter sur leur compétence, leur énergie (et parfois un peu de chance). S’ils échouent, ce n’est qu’à eux-mêmes qu’ils devront s’en prendre ; c’est un peu la règle du jeu. Mais dans la situation actuelle, les dés sont pipés. Il ne s’agit ni de courage, ni d’énergie, ni de compétence, puisque nous sommes face à une interdiction, il s’agit juste de résistance. Il est indispensable de ne pas en être dépourvu.

Quand ça va mal, le petit entrepreneur se retrousse les manches, il se remet en question, il cherche des idées, il innove, mais dans la situation actuelle, c’est face à un mur qu’il se trouve. Certains ont essayé et continuent courageusement avec quelques palliatifs, comme dans la restauration avec le « click and collect », mais de leurs propres aveux le résultat est dérisoire, cela ne peut  s’inscrire dans la durée. Tout comme les cours d’arts martiaux en vidéo, ils sont louables et permettent de garder le contact, mais bien insuffisants par rapport à la raison d’être de nos disciplines, c’est à dire un échange qui permet de s’exprimer et de progresser.

Si l’aspect matériel est prédominant, dans tous les secteurs (qui pourrait supporter d’être privé de revenu depuis presque un an ?) la privation de l’exercice d’un métier que l’on aime est également traumatisante. Les sentiments de marginalisation et d’inutilité sont terrifiants.

Dans les métiers qui ont pour objet l’éducation, qu’elle soit mentale ou physique, ne plus pouvoir transmettre provoque un profond sentiment de gâchis. Pouvons-nous durablement nous passer de  ce complément d’éducation (l’éducation physique) qui est aussi une forme de culture ? Certes, les écoles, – pour le moment – restent ouvertes, mais personne n’ignore les bienfaits de la pratique sportive que l’on appelait avant  la « culture physique » ! Elle n’est pas simplement utile sur le plan corporel, Jigoro  Kano ne voulait-il pas que le judo soit avant tout une méthode d’éducation physique et mentale ?

Enseigner c’est transmettre, mais c’est aussi nouer des relations sociales qui sont indispensables pour le bon fonctionnement de la société.

Enfin, pour un pratiquant d’arts martiaux, ne plus pouvoir fouler les tatamis ni revêtir la tenue que l’on appelle par facilité le kimono, sur une si longue période, est difficilement acceptable. A fortiori, pour ceux qui, comme moi, ont donné leur vie à leur art, pour qui enseigner est une seconde nature et le kimono une seconde peau.

On nous dit qu’il ne faut rien lâcher, que nous sommes des combattants, qu’il faut se battre. C’est vrai, mais comment combattre pieds et poings liés ? Imaginons un combat dans de telles conditions, ou tout simplement un affrontement au cours duquel un seul protagoniste aurait le droit d’attaquer. C’est un peu les impressions qui émanent de cette situation. Les seules armes à notre disposition sont les mots pour s’insurger et dénoncer cette interdiction.

Bien sûr, un jour ou l’autre nous pourrons pratiquer à nouveau, tout du moins nous l’espérons, mais cela ne dépend pas de nous, et c’est là tout le problème. S’il était juste question de volonté, les pratiquants d’arts martiaux n’en n’étant pas dépourvus, le problème n’en serait pas un, mais ce n’est pas le cas. Dans cette situation précise, la suite nous échappe, elle ne dépend ni de notre volonté, ni de notre pugnacité, il nous reste la possibilité de dénoncer  – sans cesse – des décisions qui semblent incohérentes. Il est quand même question de la survie de  « trésors  éducatifs » qui nous ont  été légués,  ils ont su traverser les siècles, il ne faut pas les laisser se faire massacrer.

A tout cela on nous répond parfois qu’il s’agit d’une crise sanitaire sans précédent, que ces arguments sont bien dérisoires (et parfois déplacés) face à l’ampleur de la pandémie. Mais beaucoup s’accordent, y compris au sein du corps médical, pour admettre  que cette situation ne peut plus durer ! Que les dégâts collatéraux, dont l’ampleur nous est cachée, commencent à être monstrueux. Combien faudra-t-il déplorer de faillites d’entreprises et personnelles, de sévères dépressions entraînant l’irréparable, sans parler d’un avenir plus au moins violé ?
eric@pariset.net

D’un confinement à l’autre

Confinement, déconfinement, reconfinement ; voilà des mots que nous n’avions sans doute jamais prononcés avant le mois de mars. Inévitablement Ils doivent former le trio de ceux  les  plus utilisés durant cette maudite année 2020.

Le premier confinement, je l’ai vécu à Paris, le deuxième c’est à Niort que je l’entame. En dehors de l’aspect géographique il y a, pour ma part, bien d’autres différences.

Bien qu’elle soit qualifiée de « plus souple » j’avoue vivre (encore)  beaucoup moins bien le début de cette deuxième saison ; certaines séries devraient  se passer de suites.

En mars, nous avons été surpris, une sorte d’effet de sidération nous envahissait, cela  nous empêchait presque de réfléchir et d’analyser l’extrême gravité de la situation (surtout occupés que nous étions, enfin pas tous, à apprendre à faire notre pain, à ranger nos placards et à nous livrer à une introspection sans limite).  Malgré tout, assez vite, nous nous sommes rendu compte que, malgré ces saines occupations, ce ne serait pas facile, surtout à l’annonce de la première « prolongation ». Mais, il nous restait l’espoir de penser  qu’il s’agissait d’un phénomène  unique, même si commençait à être agité le spectre d’une deuxième vague.

Et puis nous étions en mars, après un hiver calamiteux  d’un point de vue météo (pas uniquement sur ce plan là, d’ailleurs), le soleil s’imposait et même pour ceux qui étaient « claquemurés » dans un espace réduit (ce qui pouvait être d’autant plus difficile à admettre), le ciel était bleu et les journées rallongeaient. Quant à ceux qui bénéficiaient  ne serait-ce que d’un carré de pelouse, Ils étaient presque les rois.

Enfin, même si au fur et à mesure nous nous rendions  compte que ce serait plus long que prévu, nous gardions l’espoir d’une certaine utilité. Effectivement les courbes se sont inversées. La suite nous prouva que décidément rien n’est jamais acquis.

Maintenant, c’est différent. Nous savons ce qui  nous attend, nous sommes en automne avec des jours de plus en plus courts et nous avons le sentiment que le confinement du printemps n’a servi à rien,  que nous n’avions rien appris, qu’il allait coûter très cher, que certains ont été sacrifiés inutilement et que son bénéfice a été dilapidé. Nous n’ignorons pas qu’avec ce « deuxième round »  les dégâts seront encore plus nombreux. Il s’agit d’un désespoir annoncé. L’accumulation des épreuves est indigeste, comme l’addition d’un stress causé par des situations contre-nature.

Aux drames sanitaires s’ajouteront des drames économiques et qu’aux 200. 000 petites entreprises déjà fermées viendront s’en additionner  beaucoup d’autres. Pour beaucoup en l’occurrence pour ceux qui sont en difficulté professionnelles, cela ne manque pas d’altérer la santé psychologique et physique.

Il existe aussi une différence de taille ; en mars il n’y avait qu’une France, celle qui pouvait travailler (exceptés  les malheureux chômeurs victimes d’un mal que nos différents gouvernements n’ont jamais pu juguler, ou si peu).

Maintenant, il y a deux Frances. Celle qui – heureusement – continue à travailler et l’autre pour qui c’est interdit. Il faut être concerné pour savoir ce que cela représente.  Qui accepterait d’être privé de revenu  durant huit mois, sans savoir quand il pourra à nouveau « gagner sa vie » ? Si, en plus il n’est pas contraint de mettre « la clef sous la porte » et se trouver ainsi plongé dans un gouffre sans fond en ayant perdu l’engagement d’une vie. (« La clef sous la porte », voilà encore des mots qui n’ont jamais été aussi souvent prononcés.)

Indiscutablement nous ne sommes pas égaux devant les sacrifices demandés. Pour certains, cela ne change pas grand-chose, tant mieux ; d’autres ont même prospérés ; enfin il y a ceux qui ont tout perdu, ou vont tout perdre dans les semaines à venir.

Cette différence de traitement entraîne d’inévitables  clivages, elle ne facilite pas la cohésion dont notre pays aurait pourtant  besoin dans ces moments difficiles. La division est palpable !

Sans contestation, la santé est primordiale, mais lorsque l’on perd son travail et les efforts d’une vie, il s’agit d’un vrai traumatisme, on risque  d’y perdre la santé et même parfois bien davantage. D’inévitables drames ne manqueront pas de survenir lorsque des familles entières seront plongées dans la précarité et la misère.

Au cours de sa dernière intervention, le Président de la République déclarait que le « travail continuait ». Peut-être qu’il considère  que gérer un restaurant, un théâtre, une salle de sport, être acteur ou comédien (et j’oublie bien d’autres secteurs) n’appartient pas au monde du travail. C’est grave d’oublier tous ceux pour qui la vie a basculé ou va bientôt basculer. Peut-être que même, au plus haut niveau – faute d’être concerné directement – on ne mesure pas  certaines situations désespérantes.

Nous ne sommes pas égaux devant les sacrifices qui sont imposés au pays. D’autant que les aides annoncées par le gouvernement sont bien souvent insuffisantes au regard du montant des pertes enregistrées depuis des mois. De plus, elles sont souvent soumises à des conditions que l’on peut remplir. Si elles avaient été suffisantes il n’y aurait pas autant d’entreprises obligées de fermer.

Et puis ce reconfinement intervient après huit mois d’épreuves, d’informations anxiogènes, de décomptes macabres ; imaginons qu’il en soit de même chaque soir pour les différentes causes de mortalités qui endeuillent chaque jour notre pays. Nous avons eu droit à une  exception, lors de la petite pause estivale, mais manifestement nous avons été négligents, à moins que ce soit le déconfinement qui  n’ait pas été bien préparé ?

Pour ceux qui sont concernés par l’impossibilité de travailler et pour qu’ils tiennent le choc, il faut aller chercher dans des réserves d’énergie et de courage qui ne sont pas inépuisables. A tout cela s’ajoute un manque de confiance envers ceux qui décident pour nous (le doute est omniprésent et justifié), mais aussi  en notre propre capacité à franchir  un mur chaque jour un peu plus haut, même avec la volonté la plus farouche, à moins de transgresser les interdits.  Des interdits qui empêchent l’exercice de certaines professions qui pourtant  ne semblent pas plus à risque, et même beaucoup moins, que d’autres ; des interdits qui empêchent de se cultiver le corps et l’esprit.

Souhaitons que nous n’ayons pas à établir d’ici quelques mois  un nouveau comparatif avec un troisième confinement  que certains commencent à nous prédire pour le printemps prochain. Toutes ces annonces qui sont autant de mises en garde que d’informations destructrices de moral, à fortiori  pour ceux qui l’ont déjà bien entamé.

Alors oui, pour certains d’entre nous ce deuxième confinement est plus difficile à vivre puisqu’il s’ajoute au  premier qui a fait déjà tant de dégâts, surtout  lorsque pour une catégorie de la population, il se déroule dans la solitude avec un périmètre de liberté limité.

Il reste l’espoir, l’espoir qu’avec le temps la situation s’améliore, mais surtout qu’il ne soit pas trop tard. Cela va bientôt faire neuf mois que chaque jour « nous espérons » !

Les pratiquants d’arts martiaux sont des guerriers, dans le sens le plus noble du terme, mais contre quel(s) adversaire(s) ?