Retour sur les katas

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Il n’est jamais inutile de revenir sur les « fondamentaux » ; les katas en font partie. Les ignorer c’est renier certaines valeurs de nos disciplines.

Souvent ils ne sont abordés que lorsqu’un passage de grade se profile à l’horizon. C’est regrettable, ils sont bien davantage que ça.

On traduit kata par le mot « forme ». Pour plus de clarté on peut ajouter « imposée ».

Ils sont des moyens d’apprentissage, des méthodes d’entraînement, ils permettent la codification, la transmission et même la sauvegarde des techniques et des principes de bases. Ils sont les garants de nos traditions.

Malheureusement, considérés parfois comme des  « passages obligés » pour accéder au grade supérieur, ils ne sont abordés que dans cette optique ! Qu’ils intègrent un ensemble de contenus techniques d’évaluation cela semble juste, mais leur utilité est plus importante.

Les katas permettent de rassembler les techniques par famille et/ou par thème et de leur faire traverser les âges, ce sont aussi de formidables méthodes d’entraînement.  En effet, ils représentent souvent un combat (le goshin-jitsu-no-kata notamment), certes un combat codifié pour des raisons évidentes de sécurité, mais il s’agit bien du reflet d’un affrontement ;  en conséquence, les attaques d’Uke doivent être sincères et fortes de façon à ce que les ripostes de Tori le soient tout autant, mais aussi qu’elles soient  réalistes et donc efficaces.

Pour les judokas, certains katas sont aussi l’occasion d’étudier des techniques « oubliées »,  interdites en compétition.

Le kata est également un exercice de style, certaines attitudes doivent être respectées. C’est le « plus » des arts martiaux. Un « plus » qui devient de plus en plus indispensable à conserver pour se démarquer.

Ils sont aussi, tout simplement, une addition de techniques intéressantes à pratiquer une par une. Il n’est pas nécessaire d’attendre un prochain examen pour commencer à les étudier.

Lors de l’exécution d’un kata, à l’occasion d’un examen, l’évaluation doit se faire, avant tout, sur l’efficacité des ripostes de Tori, qui répondent aux attaques d’Uke dont la sincérité doit être incontestable.

Ensuite, puisqu’il s’agit de formes imposées, il faut respecter l’ordre des techniques, les déplacements et les emplacements. Enfin il faudra être attentif à l’attitude générale dans laquelle devront être exclus désinvolture et relâchement corporel.

Cependant, un problème et un mystère demeurent et entourent les katas : il s’agit de ces incessantes modifications dont ils sont les victimes de la part des organismes « officiels ». Cela a pour effet de décourager les élèves, de désorienter les professeurs et le jury, allant jusqu’à discréditer ces exercices.

Pour faire apprécier le kata, il suffit simplement de le présenter comme une partie intégrante de la pratique  et non pas comme un passage imposé pour l’accession à un grade supérieur.

Enfin, dans la formation des juges, il est indispensable de hiérarchiser les critères de jugement. Certaines fautes sont rédhibitoires : celles qui touchent à l’efficacité (comme déjà indiqué plus haut), d’autres pas, d’où la nécessité pour les jurys d’être formés afin de nuancer leurs appréciations, en fonction de différents paramètres : âge, grade postulé, etc.

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A propos de self défense

Entre ceux qui disent que suivre des cours de self défense ne sert à rien, ceux qui affirment que leur méthode est la meilleure ou encore ceux qui soutiennent que la vraie expérience est celle de la rue, pour un néophyte, il y a de quoi être perplexe, sinon perdu.

On se doute que mon opinion est plus modérée et plus pragmatique. Je pense avoir acquis une certaine autorité en la matière qui me permet de donner un avis, que chacun est libre de ne pas partager. Il ne s’agit que d’un point de vue qui s’appuie sur quelques décennies de pratique et d’expérience.

UNE BONNE MÉTHODE, UN BON PROFESSEUR,  UNE BONNE RÉGULARITÉ

A la base, nous possédons tous un potentiel, plus ou moins important en matière de défense personnelle. Un potentiel que l’on pourrait graduer de 1 à 100. Chaque séance permettra de l’augmenter (pour peu qu’on soit dans de bonnes conditions), en sachant qu’on n’arrivera jamais à 100, c’est-à-dire à l’invincibilité.

Pour se sortir d’une mauvaise situation, il y a d’abord deux éléments essentiels à prendre en considération. Premièrement essayer de ne pas s’y trouver ! Deuxièmement, si c’est le cas, tenter de désamorcer le conflit afin d’éviter un affrontement qui finira forcément mal, pour l’un des deux – l’agressé ou l’agresseur – ou encore pour les deux.

Ensuite, c’est mon point de vue, au moins trois éléments sont déterminants : la chance, le stress et la pratique.

Concernant la chance, nous n’y pouvons rien, par définition. Même si on évite les situations à risque et que l’on est décidé à ne pas envenimer les choses, le facteur chance existe.

Pour ce qui concerne le stress, là aussi c’est très personnel, nous ne sommes pas tous égaux dans ce domaine. Même entraîné physiquement et affuté techniquement, on ne sait pas qu’elles seront nos réactions.

Cependant, si nous n’avons jamais été confrontés à ce genre de situation, il n’est pas envisageable d’en provoquer une, juste pour voir…

Enfin, ce qui est certain, comme indiqué plus haut, c’est qu’une pratique qui s’inscrit dans la durée et la régularité est indispensable. A moins d’être dans les mains d’un enseignant incompétent et/ou pratiquer une méthode incomplète.

Le professeur est déterminant, comment pourrait-il en être autrement ? Il doit donner l’envie de commencer et de continuer. De continuer en proposant une pratique efficace dans laquelle la lassitude ne s’installera pas et surtout qui limite les blessures. En effet, la régularité est indispensable pour faire des progrès. Être souvent blessé est la meilleure façon de ne pas s’entraîner et donc de ne pas progresser.

Enfin, il doit proposer une pratique dans laquelle ne suinte ni brutalité, ni violence. Je n’ignore pas que tout le monde n’est pas de cet avis ; chacun est libre, mais prenons garde de ne pas ajouter de la violence à la violence.

La réalité, c’est la réalité, on sauve sa vie, mais l’entraînement c’est l’entraînement. Dans un dojo nous ne sommes pas en survie, bien heureusement. Dans un dojo on s’élève techniquement, physiquement et mentalement !

En conclusion, la méthode est déterminante, mais celui qui l’enseigne l’est tout autant. Une bonne méthode mal enseignée n’est d’aucune utilité, bien au contraire !

Quant à l’élève, s’il veut progresser, sa première qualité sera sa présence.

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Esthétisme

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La recherche du beau est-elle utile dans les arts martiaux ?

« Toute bonne technique est belle et gracieuse ; elle est une figure dessinée dans l’espace où efficacité et beauté ne font qu’un. » « Les chaussons de la révolution ». Marc-Olivier Louveau

Il est entendu que lorsqu’on sauve sa vie, la priorité n’est pas là. Mais ce n’est pas le cas tous les jours et à l’entrainement, qui occupe la plus grande partie de la vie d’un pratiquant, cette recherche du beau ne semble pas inutile, dans les arts martiaux, par exemple.

« Le beau est aussi utile que l’utile. Il ajouta après un silence : Plus peut-être. » « Les Misérables » de Victor Hugo.

Même si ce n’est pas l’essentiel sur un plan purement utilitaire, ça ne gâche rien, loin de là, surtout quand on pratique une discipline qui est aussi une méthode d’éducation physique et mentale.

Avec les arts martiaux nous avons la chance de posséder beaucoup de techniques qui peuvent à la fois être spectaculaires et efficaces, ce qui n’est pas contradictoire.

La beauté du geste, le style et une forme d’élégance ne sont pas incompatibles avec l’efficacité. Ce n’est pas parce qu’une technique est belle et spectaculaire qu’elle n’est pas efficace et à contrario, ce n’est pas parce qu’une technique n’est pas belle qu’elle est efficace.

La quête « du beau » est une motivation supplémentaire, une fois atteint, c’est un accomplissement doté d’une belle satisfaction.

C’est le résultat de beaucoup de travail, d’efforts et de rigueur, donc de progrès, c’est une saine motivation qui n’est pas négligeable.

Qui ne s’est pas émerveillé devant un parfait uchi-mata (technique de judo, efficace et magnifique), par exemple, et n’a pas ressenti une intense satisfaction en le réalisant (ou en s’en approchant) ?

L’aspect spectaculaire suscite aussi des vocations. Beaucoup ont été impressionnés  à l’occasion de galas d’arts martiaux par des démonstrations où l’aspect spectaculaire ne contestait en rien l’efficacité des techniques démontrées, encore moins de ceux qui les exécutaient.

Dans les années 1980 et 1990, J’ai eu la chance de participer à de nombreuses soirées d’arts martiaux en compagnie de personnalités, et je défie quiconque  de mettre en doute l’efficacité de Dominique Valéra, d’Angelo Parisi, ou de Christian Tissier, pour ne citer qu’eux et pourtant leurs prestations et leurs techniques étaient spectaculaires, dans trois disciplines différentes.

L’esthétique, c’est aussi un style, une prestance. On peut trouver du beau tout simplement dans une attitude, « une garde », comme on apprécierait une sculpture.

Certes la beauté est subjective et puis, elle ne se trouve pas que dans le geste, mais aussi dans le comportement !

N’oublions pas que nous pratiquons un art martial et qu’il y a donc le mot Art. L’art de savoir se défendre, l’art de savoir s’élever mentalement et physiquement, l’art qui apprend à se surpasser dans tous les domaines, pas simplement de détruire, mais l’art de construire.

Juste un exemple, pour ceux qui ne seraient pas convaincus. Si on se place sur un plan purement utilitaire, un des critères incontournables sera la précision pour obtenir la meilleure efficacité, et bien dans la recherche de l’esthétique ce sera une quête identique.

Et puis, tout simplement « qui peut le plus, peut le moins ». Pour illustrer ce dicton, je terminerais avec une sorte de parallèle par une citation qui n’est pas celle d’un expert en arts martiaux, mais de Woody Allen : « L’avantage d’être intelligent, c’est qu’on peut faire l’imbécile, alors que l’inverse est totalement impossible. » Comprenne qui voudra (ou pourra).

La recherche du beau n’est pas une perte de temps, elle participe à la quête d’une perfection globale. A commencer par une « belle éducation ».

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Fidélité

« Bravo, félicitations à une personne qui a toujours continué sur sa voie malgré les modes. Bravo ». Voilà une appréciation qui m’avait été adressée en 2023 ; elle me touchait particulièrement.

Effectivement, je suis resté fidèle à la discipline que je pratique, démontre et enseigne depuis des décennies. Fidèle au ju-jistu et à tout ce qui l’entoure.

Je n’ai aucune envie de retourner ma veste (de judogi) ni mon pantalon, comme dans la chanson « l’opportuniste » de Jacques Dutronc. Ni d’ailleurs d’abandonner cette tenue. Le respect commence par celui que l’on doit à sa discipline.

Je reste fidèle à mes convictions, je n’ai aucune raison de renier une discipline techniquement aussi riche et porteuse (quand elle n’est pas dénaturée) de précieuses valeurs. Elle a traversé les siècles et donné tant de satisfactions à tant de monde et elle continue à en donner.

Certes, ce n’est pas d’elle dont on parle le plus depuis quelque temps. Mais ce n’est pas une raison (bien au contraire) pour faire la girouette en cédant aux sirènes de la mode.

Il ne s’agit pas d’un manque d’ouverture d’esprit. En tant que professionnel, en plus du ju-jitsu et du judo, j’ai pratiqué le karaté, l’aïkido, la boxe française et ce qu’on appelait à l’époque la boxe américaine.

On va me dire que ce sont des disciplines anciennes, qu’elles sont ringardes et dépassées. Que le kimono est à ranger au vestiaire des antiquités, ou pire au terminus de la ringardise. Évidemment je n’adhère pas à ces points de vue, mais chacun fait ce qui lui plaît, parfois pour le malheur des autres.

De toutes les façons, nous avons tous deux bras et deux jambes et sur le plan de l’efficacité, ce n’est pas l’effet de mode qui changera quoi que ce soit, mais la composition technique de l’art, la qualité de l’enseignant et évidemment le potentiel de l’élève. Un élève qui devra s’imposer une régularité dans les entraînements.

Et puis ces disciplines (que l’on dit anciennes) sont porteuses de valeurs éducatives que nous ferions bien de ne pas négliger.

Maintenant, une anecdote qui n’avait pas manqué de m’étonner, avec la confession d’un de mes ancien élève devenu enseignant, m’avouant qu’il appliquait « ma méthode », mais sous un autre nom, celui d’une discipline « plus à la mode ». On ne peut pas garantir la santé morale de tous nos anciens élèves !

D’autre part, je ne manque en aucun cas de respect envers les nouvelles pratiques – il faut que mille fleurs s’épanouissent – pour peu qu’elles remplissent un rôle éducatif.

Pour qu’un art martial s’inscrive dans la durée, ce qui n’est pas loin d’être un pléonasme, plusieurs conditions doivent être réunies, au moins trois, je les appelle les 3 E : Efficacité, Éducation et Épanouissement.

Enfin, quand vous êtes en parfaite harmonie avec l’art que vous pratiquez, pourquoi changer ? Cette fidélité et cette absence de compromission m’ont parfois joué des tours, mais on ne se refait pas !

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Réflexions sur le ne-waza, le travail au sol

La période estivale n’empêche pas quelques réflexions, surtout sur un sujet comme le travail au sol (le ne waza). Un domaine efficace, formateur et amusant.

En matière de self défense, si on peut éviter d’aller au sol, c’est préférable. D’abord pour éviter de « salir le costume », ensuite parce qu’on risque de se trouver sur un revêtement moins confortable que celui d’un tatami et enfin, dans ce cas, il est préférable qu’il n’y ait pas plusieurs adversaires.

Donc, si on s’y retrouve, c’est souvent contraint et forcé.  Mais parfois on choisit d’y aller pour contrôler l’adversaire sans le blesser gravement, question de responsabilité !  Lorsqu’un éducateur doit maîtriser un adolescent « en difficulté »,  ou encore quand ça dégénère dans des foyers où règne une certaine violence.

D’autres situations existent et dans lesquelles l’extermination n’est pas l’option.

Et puis, il y a un contexte qui se passe principalement au sol : la tentative de viol.

Il est certain que dans le domaine du travail au sol, en particulier, l’efficacité demande du temps, peut-être davantage que dans les autres secteurs. Il faut étudier les techniques, les assimiler, les répéter et les pratiquer dans des formes d’opposition codifiées avec des exercices à thème. Il faut du temps pour « modeler » le corps, le rendre à la fois souple et tonique et capable de se mouvoir dans des positions qui ne sont pas forcément naturelles ; lui donner une « forme de corps ».

Il est donc nécessaire d’être  motivé. Motivé par le besoin d’apprendre à se défendre, mais aussi en trouvant d’autres intérêts, comme l’expression corporelle, le renforcement de qualités physiques et mentales. Enfin, avec un aspect ludique qui ne gâche rien, bien au contraire. Quand on peut rassembler l’utilitaire, le développement physique et le bien être mental, on rassemble les éléments qui nous donnent un « mental d’acier ».

Comme indiqué plus haut, il ne faut pas négliger l’aspect ludique que l’on trouvera dans le ne-waza, lorsqu’il est pratiqué avec un bon état d’esprit. On peut s’exprimer, s’investir totalement tout en s’amusant, ce qui n’a rien de contradictoire avec l’efficacité, je pense même que c’est un atout supplémentaire pour une pratique assidue. Loin des pratiques brutales qui exacerbent la violence, qui blessent souvent et qui ne satisfont que les brutes. Je maintiens que l’on peut être efficace sans en être une (de brute).

Comme dans tous les domaines, il peut exister des prédispositions, mais rien ne remplacera l’entraînement. On en revient toujours aux mêmes qualités : volonté, régularité, persévérance.  « On ne peut rien contre l’entraînement » !

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Anticipation, réaction, gestion !

Bon, c’est vrai nous sommes en vacances scolaires, alors prenons cela comme des devoirs de vacances.

La semaine dernière l’article hebdomadaire proposait un de ces contes savoureux qui sont issus de « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ». Ils sont autant de  leçons de vie. Il était question d’un maître de sabre qui en avait invité un autre pour boire le thé et participer à une expérience avec ses trois fils.

Le maître avait placé un vase au-dessus de la porte coulissante qui donnait dans la pièce. Le test consistait à éprouver le comportement de chacun des trois fils et leur capacité de maîtrise face à un danger.

Il appela le plus âgé, qui déjoua le piège avant même que l’objet ne commence à tomber. Le second fils réussit à attraper le vase et évita ainsi de le recevoir sur la tête. Quant au troisième, il reçut l’objet sur le crâne, puis il dégaina et le coupa en deux, juste avant son arrivée sur le tatami.

Le maître donna des appréciations sur chacune des réactions. Le plus âgé est parfait et fera sans aucun doute un excellent maître de sabre. Le second est sur la bonne voie, quand au troisième il a encore beaucoup à apprendre.

Mon interprétation est la suivante : le plus âgé, grâce à une longue et sérieuse pratique à acquis une  capacité d’anticipation qui lui permet d’échapper au danger sans combattre. L’efficacité et la sagesse. Le deuxième à une bonne capacité de réaction, lui reste à acquérir l’anticipation. Quant à l’appréciation donnée à propos du troisième,  elle est terrible : « il lui reste beaucoup à apprendre ». Même s’il réussit d’un coup de sabre dévastateur à fendre le vase avant qu’il ne touche terre. Une belle riposte, mais sans trop de sens, puisque exécutée trop tard… Selon la formule : « à méditer ».

Ces contes nous distraient, mais ils nous en apprennent beaucoup sur la vie. Dans des situations autres que les arts du combat, ils nous sont utiles : capacité d’anticipation, de réaction et gestion de l’énergie !

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Les trois fils (et un sixième sens)

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L’été offre un peu de légèreté, même à ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir prendre des vacances. C’est donc un plaisir de renouer avec une habitude, celle de proposer de temps en temps une histoire savoureuse, extraite de l’ouvrage « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ». Ce qui ne manque pas de nous offrir plaisir et matière à réflexion !

Bokuden et ses trois fils

« Il y avait autrefois un grand maître de kenjutsu (sabre) très célèbre dans tout le Japon qui, recevant la visite d’un autre grand maître, voulut illustrer l’enseignement qu’il avait donné à ses trois fils.

Le maître fit un clin d’œil à son invité et plaça un lourd vase de métal sur le coin des portes coulissantes, le cala avec un morceau de bambou et un petit clou, de façon à ce que le vase s’écrasât sur la tête du premier, qui, ouvrant la porte, entrerait dans la pièce.

Tout en bavardant et en buvant du thé, le maître appela son fils aîné qui vint aussitôt. Avant d’ouvrir, il sentit la présence du vase et l’endroit où il avait été placé. Il fit glisser la porte, passa sa main gauche par l’entrebâillement pour saisir le vase et continua à ouvrir la porte avec sa main droite. Puis, serrant le vase sur sa poitrine, il se glissa dans la pièce et refermant la porte derrière lui, il replaça le vase dans sa position initiale. Il avança alors et salua les deux maîtres. « Voici mon fils aîné, dit l’hôte en souriant, il a très bien saisi mon enseignement et il sera certainement un jour un maître de kenjutsu. »

Ayant appelé son deuxième fils, celui-ci entra sans hésitation, et n’attrapa le vase qu’au dernier moment ; il faillit le recevoir sur la tête. « Voici mon deuxième fils, dit le maître, il lui reste beaucoup à apprendre mais il s’améliore chaque jour. »

On appela alors le troisième fils. Entrant précipitamment dans la pièce, il reçut le vase sur la tête. Le coup fut sévère, mais avant que le vase n’atteigne les tatamis, il tira son sabre et d’un mouvement vif, coupa la pièce de métal en deux. « Voici mon fils cadet, Jiro, dit le vieil homme, c’est le benjamin de la famille, il lui reste une longue route à parcourir. »

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Les mots, pas les maux. De la parole aux actes

Dans mes articles j’évoque souvent le combat contre la violence. Ce combat est légitime et indispensable. Dans le cas contraire je ne le mènerais pas, pareil si dans notre milieu certaines dérives n’existaient pas.

Il existe plusieurs formes de violence. La plus « spectaculaire » étant la violence physique. Mais n’oublions pas la violence verbale et la violence comportementale ou relationnelle, quand, par exemple, le mépris est la réponse à de légitimes demandes ou réclamations.

La violence physique s’identifie facilement, la violence comportementale est plus sournoise.

Quant à la violence verbale, qui est notre sujet du jour, dans certains réseaux sociaux il semble qu’elle soit parvenue à son apogée. En attestent les torrents de haine qui s’y déversent, juste avec les mots. Ce n’est pas fait pour éradiquer la violence physique, au contraire. Les mots et les formules ont une importance, les paroles engendrent les actes.  Les discours positifs, souvent, donnent des résultats positifs, le contraire est aussi vrai.

Donc, aujourd’hui intéressons-nous à l’expression verbale, dans notre domaine.

« Construire un système de défense » sera préférable à « s’entraîner à détruire ». Apprendre à ne pas se faire mal, sera mieux qu’apprendre à faire mal. S’élever plutôt que d’abaisser. Contrôler ou maîtriser un agresseur en se contrôlant ou en se maîtrisant est préférable à « l’exterminer ». Surtout dans la mesure où la riposte doit être proportionnelle à l’attaque, et que parfois au moment d’un verdict rendu par un tribunal, certaines nuances peuvent engendrer des surprises aux fâcheuses conséquences.

Sans négliger le respect de toute vie humaine. Répondre à la barbarie par la barbarie n’est pas la meilleure option sur un plan éducatif. « Eliminer » quelqu’un n’est pas sans conséquences sur bien des plans.

Quand on défend sa vie, ce discours peut s’apparenter à du « baratin », mais à l’entraînement on ne défend pas sa vie, par contre on apprend sérieusement à pouvoir le faire en cas de besoin.

Lorsqu’on enseigne des techniques de défense, les mots choisis ont autant d’importance que la démonstration, la parole prime sur le geste. La preuve, le professeur peut donner des explications sur une démonstration effectuée par deux élèves. Les mots choisis et le ton donné influencent forcément l’ambiance du cours et le comportement des élèves.

Quand la violence envahit le lieu d’entraînement, on ne la combat pas, on l’entretien, pire on l’augmente, on la sanctifie.

La plupart des professeurs  respectent un enseignement emprunt d’une sagesse chère aux arts martiaux traditionnels. Ce qui n’enlève rien à une pratique efficace, bien au contraire, leur richesse technique permet de répondre à diverses situations d’agressions, elle module les réponses en fonction de la gravité de l’agression. Cela demande du temps, de la patience, des efforts, cela en vaut la peine, c’est même indispensable !

La « sagesse verbale » est un des leviers pour renverser une tendance qui ne cesse de croitre.

En matière de lutte contre la violence, il y a deux remèdes : la sanction et l’éducation. Le professeur a pour mission d’éduquer. Techniquement, physiquement et mentalement.

Techniquement et physiquement, cela s’explique aisément. Mentalement, c’est parfois une autre histoire. C’est là que le choix des mots a son importance, pour insuffler consciemment et même inconsciemment, dans l’esprit des élèves des valeurs telles que le contrôle, la volonté, le courage, le goût de l’effort, la relativisation, l’esprit d’analyse, etc.

J’insiste souvent sur l’aspect éducatif qui incombe au professeur. Il est aussi un éducateur (c’est ce qui est marqué sur sa carte professionnelle) et pas un simple destructeur, parfois on pourrait en douter.

La meilleure victoire reste celle que l’on obtient sans combattre. Ce n’est pas de la lâcheté, mais de la sagesse, du bon sens, de l’intelligence tout simplement et ça, on peut l’apprendre avec les MOTS.

Bel été à toutes et à tous.

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Utile

Il y a des périodes où insister sur le rôle du professeur est d’une nécessité absolue.

Chaque métier possède ses utilités et ses nécessités, dont la première est de subvenir à ses besoins pour vivre dignement.

Ensuite, certaines professions ont une utilité plus directe, dans lesquelles les fautes et l’incompétence peuvent engendrer des conséquences dévastatrices, l’éducation appartient à ce groupe. L’actualité nous le rappelle presque chaque jour.

J’ai la chance d’exercer une profession qui a une utilité majeure, ce qui confère beaucoup de responsabilités. « Professeur » : voilà une belle appellation. Certains n’ont pas hésité à l’appeler « le plus beau métier du monde». Son nom est directement lié à celui de « profession ». Cependant, comme dans toutes les corporations, on ne peut échapper à quelques « faiblesse ».

Dans les arts martiaux nous avons une triple utilité. L’éducation physique, l’aspect utilitaire et la formation mentale.

L’éducation physique, avec des répétitions de techniques qui développent de façon harmonieuse les parties de notre corps qui sont aussi nos « armes naturelles ». Ce renforcement s’acquiert de façon plus agréable et plus créative que par l’intermédiaire de machines quelque peu austères. Nous ne faisons que révéler et renforcer des qualités et des compétences intrinsèques. On fait l’acquisition de souplesse, de tonicité, de précision et de vitesse, au service de notre « science du combat ».

En ju-jitsu, entre autres, cette science est utile sur un plan purement pratique (c’est son ADN) et c’est incontestable ; j’ai consacré un bon nombre d’articles sur le sujet, on peut les retrouver sur mon blog. Les techniques ont été souvent utiles à beaucoup de mes élèves.

Sur le plan psychologique, ce qui n’est pas le moins important, les bienfaits de l’exercice physique ne sont plus à démontrer. L’étude des arts martiaux (correctement enseignés) se doit aussi d’inculquer des valeurs morales utiles à la vie en société.  Elle doit participer à la lutte contre la violence, ce fléau qui ne fait que progresser, et non pas l’exacerber. Le professeur ne doit pas se contenter de dispenser de la technique, il doit aussi inculquer de l’éthique.

Enfin, un enseignement sérieux n’interdit pas que s’invite dans les séances un aspect ludique qui contribuera à un bien être général. Ce qui est bon pour la tête est bon pour le corps et inversement.

Renforcer la confiance en soi, à l’aide d’une méthode efficace de self défense, offrir un bien être général et participer à une bonne éducation indispensable à une société digne de ce nom, voilà résumé les principaux bienfaits offerts par une pratique sérieusement encadrée et correctement animée.

Ces quelques lignes ne manqueront pas de faire la démonstration du caractère UTILE d’une profession que je ne me lasse pas d’exercer avec une passion indestructible.

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La nostalgie

La nostalgie des années 1960 et 1970,  les années de mes débuts (même un peu avant).

Jusqu’à la fin des années 1970, le Judo, le Karaté et l’Aïkido se partageaient les tatamis. Je n’oublie pas la Boxe française, notre art martial à la française.

Ces quatre disciplines je les ai pratiquées. A partir de 1970, d’autres entrent dans le paysage, comme le Taekwondo et le Kung-fu avec la trop courte carrière de Bruce Lee.

Si j’évoque la nostalgie, c’est que nous n’étions pas tout à fait dans le même monde. C’était « le bon vieux temps des arts martiaux ». Il y avait l’attrait de disciplines entourées d’un certain mystère. Elles étaient considérées comme des « Écoles » de la maîtrise, du contrôle, de la sagesse et du combat contre la force brutale. Des « Ecoles de vie ».  Elles possédaient une « philosophie ».

J’ai la nostalgie de tatamis foulés par des pratiquants assidus, à la recherche du détail et de la finesse qui permettaient de réaliser une technique avec le moins de force possible, avec laquelle le plus faible pouvait maîtriser le plus fort, il y avait quelque chose en plus ; quand la science rencontrait la magie.

Ça n’empêchait pas un investissement physique important et les litres de sueur « d’embaumer » les judogis.

Le « c’était mieux avant » est parfois agaçant. Sans tomber dans cette systématisation des regrets, il faut admettre que certaines évolutions n’en sont pas, tout dépend du point de vue dans lequel on se place.

J’ai souvent évoqué le respect qui semble s’amenuiser, que ce soit envers les traditions, les lieux de pratique, les tenues et tout simplement envers les personnes. En l’occurrence le professeur. Le respect de l’autorité, tout simplement.

Je ne pense pas que ce soit ringard ni désuet d’insister sur la nécessité et sur l’importance de ces règles. L’actualité nous le confirme chaque jour.

D’autant que nous pratiquons des disciplines d’affrontement, si elles ne sont pas encadrées avec rigueur, elles peuvent basculer dans des pratiques dangereuses, mentalement et physiquement.

Dangereuses mentalement avec la banalisation et même l’augmentation de la violence. Dans certains cours suintent la brutalité et parfois l’acharnement, alors que nous sommes « mandatés », nous professeurs, pour combattre la violence. La violence se combat aussi par l’exemple.

A force de n’insister que sur une (éventuelle) efficacité immédiate, on passe à côté de toute la richesse et la sagesse de nos disciplines, en matière d’éducation, mais aussi d’efficacité, avec l’apprentissage d’une grande variété de techniques qui permettent, justement, de s’adapter à toutes les formes d’attaques.

C’est un poncif que d’affirmer qu’on ne combat pas la violence par la violence, et pourtant cela semble être malheureusement oublié, parfois.

Dangereuse physiquement parce qu’une pratique brutale génère des blessures qui, par définition, limitent les entraînements et laissent d’irréversibles séquelles. Sans parler des découragements et des abandons. Et puis, on est davantage là pour apprendre à ne pas se faire mal, que pour se faire mal. Voilà une nuance qui doit faire réfléchir !

Si ne sont proposés que des pratiques brutales, ne seront formés et fidélisés que des brutes. De toutes les façons, la brutalité n’est pas une garantie d’efficacité.

Il est vrai que le dojo et la rue ce n’est pas la même chose ; et c’est tant mieux. Dans la rue ça finit toujours mal, pour une des deux parties et même pour les deux. L’une peut se retrouver à l’hôpital, l’autre au poste de police, ou bien les deux au même endroit.

L’autre aspect qui affecte les disciplines de combat se trouve dans le « tout compétition ». D’abord il y a celles où il n’est tout simplement pas possible de les instaurer, sauf à les dénaturer et à leur retirer une grande part de leur substance. Je ne suis pas contre la compétition, loin de là, mais il ne faut pas oublier qu’elle n’est qu’un passage. Si on a tout misé dessus, lorsqu’arrive l’âge où il n’est plus possible d’y participer, on assiste à des abandons, alors qu’il y a encore tant de choses à découvrir et à partager.

Pour finir et revenir au combat contre la violence, il y a deux principaux remèdes : la sanction et l’éducation. La semaine dernière sur ma page j’avais mis cette citation : « Éduquez les enfants et il ne sera pas nécessaire de punir les hommes » Pythagore. Rien à ajouter.

Ce tableau un peu sombre ne m’empêche pas – bien au contraire – d’être toujours animé par une  indestructible passion dans l’enseignement que je dispense. Je sais aussi que d’autres professeurs adhérent à mes propos et à mon état d’esprit, c’est encourageant.

(La photo d’illustration représente le mythique dojo parisien de la rue des Martyrs à la fin des années 1950.)

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