Bernard Pariset : 20 ans déjà

Il y a vingt ans, le 26 novembre 2004, Bernard Pariset nous quittait.

Il était mon père, mon professeur et mon mentor. Il était un judoka au palmarès exceptionnel, il a marqué les débuts du judo dans notre pays et bien au-delà de nos frontières.  Un père qui possédait aussi des qualités exceptionnelles dans d’autres domaines, nous les évoquerons plus bas.

Ce texte – très personnel –  signifie aussi la nécessité, d’une façon générale, de ne pas oublier ceux qui nous ont tant appris et tant donné. (Je n’ignore pas que certains ont la mémoire courte !)

En 1947 un jeune homme de dix sept ans poussait les portes d’un des premiers dojos installés dans la capitale : le Club Français de jiu-jitsu, situé au 11 de la rue des Martyrs dans le neuvième arrondissement. Roger Piquemal, le maître des lieux, a très vite décelé les qualités de ce jeune homme qui n’était pas doté de capacités physiques exceptionnelles. A ses débuts, c’est davantage son côté « guerrier », dans le sens le plus noble du terme, qui marquait les esprits, il n’était pas embarrassé par la technique, la suite a largement corrigé ce fait.

Très vite il s’est constitué un palmarès exceptionnel à une période où les catégories de poids n’existaient pas : c’était l’époque du « toutes catégories ».  Celle où les petits pouvaient faire tomber les grands, il en a fait sa marque de fabrique, ô combien !

Plusieurs titres de champion de France, en alternance avec son meilleur ami Henri Courtine, un titre de champion d’Europe face à Anton Geesink la légende du judo néerlandais et mondiale et une demi-finale aux deuxièmes championnats du Monde à Tokyo en 1958, tout cela en toutes catégories.

Sa carrière ne s’est pas limitée à cet extraordinaire parcours, il a œuvré, et de quelle manière, au sein de la Fédération de judo ju-jitsu en occupant différentes fonctions, dont celles d’entraîneur national et de directeur des équipes de France.

Il a été l’investigateur de la remise au goût de jour du ju-jitsu, avec la méthode « Atemi ju-jitsu » au début des années 1970, ce qui n’est pas rien. J’en sais quelque chose. Être un judoka hors pair (sans jeux de mots), ne l’empêchait pas de s’intéresser aux autres méthodes de combat. Lors de ses deux années passées au Fort Carré d’Antibes, il a été instructeur en sports de combat.

Avec son ami Henri Courtine, ils ont été les premiers en France à arborer la fameuse ceinture blanche et rouge ; en 1968 ils ont été nommés 6ème Dan par le Kodokan de Tokyo. Ensemble ils ont gravi les dans jusqu’au 9ème. (Henri Courtine obtenant le 10ème un peu après la disparition de mon père.)

En dehors des arts martiaux il avait deux autres passions : la sculpture et l’équitation. Ce don pour la sculpture lui est venu alors qu’il était apprenti ébéniste au moment où il a commencé le judo. Quant à l’équitation, c’est plus tard qu’il a découvert ce qui allait devenir une autre passion et même une communion avec « la plus belle conquête de l’homme ».

Comme il ne faisait jamais les choses à moitié, il a ouvert un centre équestre dans l’Yonne. Le club d’arts martiaux la semaine à Paris, l’équitation le week-end en Bourgogne.

Concernant la sculpture, les plus anciens se souviennent de cette série de magnifiques figurines produites à un moment de sa vie où, fortement impacté par les excès du « toutes catégories », il s’est retranché sur une activité moins physique. Ses créations présentaient des judokas et des samouraïs à pied et à cheval, avec un sens du détail et de la réalité saisissant.

C’était une personne dotée d’un caractère qui ne laissait personne indifférent. Il était très bavard, toujours à bon escient. Ses réflexions et ses appréciations étaient parfois sévères, comme les « ippon » qu’il distribuait sur les tatamis.  Il défendait ce qu’il appelait l’esprit de conquête, il aimait découvrir ce qu’il y avait de l’autre côté de la colline.  C’était un visionnaire doté d’un bon sens surprenant, il n’était pas démuni d’un humour grinçant et la dérision l’habitait, y compris à son égard, il n’était dupe de rien. Il portait parfois sur ses contemporains un regard quelque peu désabusé. Il était tranchant, jamais mièvre, parfois excessif comme dans la manière qu’il a choisi de nous quitter.

Il a été mon père, mais aussi mon professeur, et quel professeur ! Je n’avais pas droit à un traitement de faveur, les compliments et les encouragements étaient rares, très rares. Ça n’a pas été tous les jours facile d’être son fils (unique). Mais quitte à avoir un père, autant qu’il s’appelle Bernard Pariset.

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Ci-dessous quelques souvenirs parmi tant d’autres. L’équitation dans l’Yonne, dans les deux sens du terme. Une magnifique figurine représentant un samouraï, les spécialistes, et les autres, apprécieront le sens du détail. Une phase de la finale victorieuse contre Anton Geesink en 1955 à Paris. Un combat au sol arbitré par Maitre Kawaishi. Une technique au sol avec un Uke prestigieux : Jean Paul Coche.

Anatomie des 24 Techniques

Comme promis, une petite présentation de l’enchaînement des 24 techniques.

En 1992 un professeur de judo qui postulait à un « dan » important, butait sur l’unité de valeur ju-jitsu ; celle-ci consistait à présenter une expression libre de plusieurs minutes sur le sujet. Il avait deux mois pour se préparer. Il était venu me demander si je pouvais l’aider.

Devant le peu de connaissance de ce professeur en matière de ju-jitsu et avec un temps de préparation assez mince, je me suis attelé méthodiquement à cette entreprise, partant du principe que rien ne résiste à une bonne organisation.

D’abord il était indispensable de présenter le plus possible de situations d’attaques, à mains nues et armées, à distance et au contact. En terme de ripostes, il était nécessaire de faire état des principales composantes de notre discipline (coups, projections, contrôles) ainsi que des techniques les plus représentatives de chacun de ces groupes. Il fallait également mettre en avant différents schémas d’enchaînements. Enfin, et c’était important, inclure tout cela méthodiquement de façon à ce que la mémorisation s’impose facilement.

J’ai opté pour un classement des attaques par groupes de trois : tentatives de saisies, défenses sur coup de poing, sur coup de pied, etc. Une fois la mission accomplie (l’unité de valeur ayant été validée), j’ai pensé que ce serait dommage de ne pas continuer à utiliser cet enchaînement ; je l’ai donc inclus dans mon programme d’enseignement. Manifestement, il donne satisfaction à bon nombre de pratiquants de tous niveaux. Il y a déjà quelques années, j’ai créé deux supports techniques sur ces « 24 techniques », un livre et un DVD (épuisé).

Sur le plan purement technique, comme spécifié plus haut, on retrouve dans cet enchaînement les composantes du ju-jitsu et dans ces composantes un maximum de grandes techniques.

J’ajoute que cet enchaînement reflète l’indiscutable complémentarité et la parfaite compatibilité entre le ju-jitsu et le judo, ce qui est historiquement et techniquement incontestable.

Cette suite présente un triple intérêt. D’abord l’apprentissage des techniques par elles-mêmes. Ensuite leur enchaînement, mais aussi et surtout la fluidité avec laquelle doit être exécutée chacune d’entre elles.

Pour le professeur c’est un excellent outil de travail dans la mesure où il peut aussi proposer les mêmes attaques et les mêmes schémas de ripostes, mais avec d’autres techniques choisies par les élèves.

La première série est déjà très représentative du ju-jitsu. On y trouve trois situations dans lesquelles est démontré le même schéma de ripostes (coups, projections et contrôles) avec trois ripostes différentes en fonction du fait que la première attaque vient de face, la deuxième de côté et la troisième sur l’arrière. Les trois attaques étant les mêmes : tentatives de saisie.

En conclusion, il s’agit d’un enchaînement dans lequel on travaillera et peaufinera chaque technique, mais aussi l’indispensable fluidité (l’identité du ju-jitsu) dans les liaisons entre chacune d’elle et bien évidemment, ce qui est propre à tout enchaînement, la condition physique, la rapidité et les automatismes. Ce qui confère aux enchaînements de ce type, l’appellation de « méthodes d’entraînement ».

(La photo d’illustration présente la première technique. Issu du livre « Ju-Jitsu enchaînements de base et avancés » 1995 aux éditions SFJAM)

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Atemi ju-jitsu story

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J’avais promis de revenir sur la remise en valeur du ju-jitsu dans notre pays au début des années 1970, avec la méthode « Atemi ju-jitsu ».  Un  sujet déjà évoqué, mais peut-être est-il  oublié chez certains et méconnu pour d’autres, l’évoquer à nouveau n’est donc pas inutile.

Nous étions au tout début des années 1970. Le judo connaissait une popularité croissante,  malgré tout une partie de la population ne se retrouvait pas dans un aspect sportif trop présent et s’orientait vers d’autres disciplines.

Mon père, Bernard Pariset, après avoir mis un terme à une carrière de compétiteur au palmarès exceptionnel, se consacrait essentiellement à son club parisien de la rue des Martyrs : « Le Club Français de judo ju-jitsu ». A ce titre il était attentif à la demande des néophytes qui se présentaient à l’accueil du dojo. Ce qui lui permettait de constater que beaucoup de demandes de renseignements n’évoquaient pas le judo, mais le karaté. Cet « art de la main vide » attirait de plus en plus d’adeptes. En l’occurrence des personnes à la recherche d’une méthode de self défense. Étant ouvert d’esprit et ayant dans son club une belle section de cet art martial, mon père n’était pas jaloux,  cependant il pensait que c’était dommage d’avoir mis de côté un secteur qui appartenait au judo ju-jitsu : l’atemi-waza.

C’est à partir de ce constat qu’il a souhaité accoler le mot « atemi » à celui du ju-jitsu, pour marquer les esprits et signifier la remise en valeur d’un secteur qui avait été négligé.

« L’idée force » était la création d’une méthode rassemblant plusieurs critères : self défense, activité physique et mentale et loisir. Une méthode accessible à tous les âges, à toutes les conditions physiques et à but non compétitif. Non pas qu’il ait été contre la compétition (comment aurait-il pu l’être avec son palmarès ?), mais il estimait que tout le monde n’en possédait pas l’envie ou les capacités, et qu’un art martial traditionnel ne pouvait être pratiqué en affrontement direct. Et puis, tout simplement, l’aspect utilitaire est (et restera) toujours présent dans les esprits.  Cependant  il fallait dépoussiérer ce ju-jitsu quelque peu oublié et lui donner davantage de dynamisme, notamment dans les méthodes d’entraînement.

C’est ainsi qu’en accord avec Henri Courtine,  à l’époque  Directeur Technique National, mon père a conçu une méthode de « ju-jitsu self défense » en parallèle à celle du judo. Ce qui permettait d’offrir un complément de techniques axées sur l’aspect utilitaire tout en respectant l’esprit et les principes de nos disciplines. On élargissait le champ d’accueil des populations. On offrait un potentiel supplémentaire aux professeurs.

Les premières sections ont vu le jour dans ces années 1970. A partir de 1980, le développement a été fulgurant. J’y ai pris une part très active avec des responsabilités fédérales, des stages, des démonstrations en France et à l’étranger (dont douze Bercy), la publication de nombreux supports techniques, sans oublier l’enseignement au quotidien.

Au milieu des années 1990, d’autres orientations ont été prises au niveau national, en termes de contenu technique, notamment. Ces changements ne me convenaient pas et contrariaient mon attachement et ma fidélité à une forme de travail et d’enseignements que j’avais appris, pratiqués et démontrés. A regret j’ai pris mes distances pour pouvoir continuer à promouvoir et enseigner un ju-jitsu qui me correspond totalement. Et puis, j’éprouve trop de passion pour renier mes convictions.

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Critères

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Je reviens sur les critères qui me semblent incontournables dans la pratique et l’enseignement d’un art martial. Ils guident mon action professionnelle et mon engagement.

Curieusement le hasard les fait commencer par la même lettre. C’est donc quelques E que je propose. J’ai déjà évoqué le sujet, je me plais à le faire de nouveau. J’y attache une attention particulière.

Efficacité. Bien sûr, surtout quand il s’agit de self défense. Avec le ju-jitsu traditionnel nous couvrons toutes les situations avec un ensemble de ripostes graduées.

Education. Elle est incontournable, surtout lorsqu’on est détenteur d’une carte professionnelle sur laquelle est mentionné « Educateur sportif ». Pour le bien du corps et de l’esprit. À une époque où la violence s’invite quotidiennement le rôle des éducateurs sportifs est déterminant. On peut combattre sans que suinte la violence.

Épanouissement. Intimement lié au précédent critère. Cet épanouissement physique et mental qui permet d’être « bien dans son corps, bien dans sa tête ». Unr formule qui n’est pas démodée, au contraire. Dans ce monde de plus en plus « spécial », elle est un remède dont il serait dommage de s’émanciper.

Expression corporelle. Avec ces moments durant lesquels nous nous exprimons et qui nous apportent satisfaction et qui renforcent l’estime et la confiance personnelles. Autant d’éléments qui permettent d’avancer positivement dans la vie. Ce goût de l’effort souvent récompensé et qui, dans le cas contraire, efface tout regret et remord.

Effort. Sans eux, sur le long terme, aucun résultat ne sera possible. L’effort physique qui améliore le corps, l’effort mental qui renforce l’esprit.

Esthétisme. Pour certains, il est superflu. J’ai déjà écrit que lorsqu’on sauve sa vie ou celle d’une tiers personne, il n’est pas d’actualité, mais à l’entraînement, il ne gâche rien. Il demande des efforts toujours récompensés. « La recherche du beau »  finalise un accomplissement personnel.  Elle est le résultat de l’alchimie de plusieurs éléments. Aucun d’eux ne doivent être négligés.

Voilà quelques réflexions pour une pratique qui fait partie d’un mode de vie. Les arts martiaux ne sont-ils pas « des Écoles de vie » ?

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