Dans le dernier sondage en ligne, il y a égalité parfaite entre ceux qui estiment que les grades sont indispensables dans les arts martiaux et ceux qui pensent le contraire.
Formulée d’une façon différente : « Les grades sont-ils souhaitables et utiles dans la pratique des arts martiaux ? », la question aurait peut-être apporté une réponse différente, puisque sur un plan purement pratique, ils ne sont pas indispensables. On peut s’adonner aux plaisirs de l’étude de la science du combat sans pour cela passer des grades.
Cependant, nous sommes dans un système où ces distinctions existent et commencer par ne pas les respecter pourrait s’apparenter à un acte indisciplinaire, d’une certaine façon.
Pour les élèves, les grades sont des distinctions et la reconnaissance d’un niveau. Ils sont des objectifs qui, une fois atteints, procurent satisfaction, émotion et fierté. Côté enseignant, ils sont des outils précieux et facilitent l’apprentissage en mettant à disposition, outre des moyens de motivation, une véritable feuille de route.
Ces distinctions, que l’on nomme avec un terme un peu militaire, offrent aussi une hiérarchisation que l’on retrouve dans la plupart des secteurs de notre société. C’est peut-être ce qui rebute certains. Quelques anarchistes purs et durs, ceux qui souhaitent pratiquer en dehors de toutes contraintes, mais aussi tout simplement certains qui estiment ne pas bénéficier de suffisamment de temps libre pour se préparer aux tests. Vis-à-vis de cet ensemble de personnes, il faut faire preuve de tolérance, éviter toute stigmatisation et peut-être tout simplement entamer un travail de persuasion et, là aussi, faire de la pédagogie.
Le regard qu’avait Jigoro Kano sur les grades et la définition qu’il en a donné ? shin-gi-tai ? est d’une grande cohérence : l’esprit, la technique et le corps. L’ordre des citations n’est pas le fruit du hasard. Privilégier en premier l’esprit, en second la technique et enfin le corps semble logique, par rapport aux mutations que nous impose le cours de l’existence. Les qualités physiques ne subissant pas le même sort que l’esprit au fil des années. Cette approche sous-entend que nous possédons une marge de progression constante au moins dans ce dernier domaine et insiste sur le fait que l’art martial n’est pas simplement le reflet de qualités physiques, ni même techniques, mais avant tout celui d’un comportement que les années doivent bonifier.
Le problème des grades peut venir davantage de l’usage excessif que l’on peut en faire et des méfaits de sa sacralisation. Tout d’abord, il ne faut pas le présenter, ni le considérer comme une finalité, mais bien une étape. Ensuite, sur le tatami, il n’est pas le reflet du « plus fort », celui qui maîtrise les autres. Un 10e dan sera moins fort qu’un 2e dan, en combat ! C’est l’évidence même et ce n’est pas pour cela que l’on va le dégrader ! L’on en revient au shin-gi-tai. Le grade est avant tout l’aboutissement d’un travail intense, d’études approfondies, d’inlassables répétitions, d’une importante régularité dans la pratique, d’un comportement exemplaire, et bien d’autres qualités comme l’implication dans le bon développement de sa discipline.
En avançant en âge et donc, normalement en raison, la vraie valeur des grades n’est-elle pas non plus, celle que l’on reconnaît à soi-même ? Cette remarque, quelque peu provocante, est formulée à l’attention de personnes récipiendaires de distinctions qui sembleraient (mais c’est très rare) s’apparenter à ce que l’on pourrait nommer des « grades de copinage » ou d’intérêt. Mais, si on peut duper les autres, peut-on se duper soi-même ?
Pour finir ce billet avec un peu d’humour grinçant. Quelqu’un que je ne citerai pas, a dit : « Les grades sont faits pour mettre les mauvais au même niveau que les bons. » Formule lapidaire et massacreuse de mythe. Je laisse à cette personne la responsabilité de ses propos. A chacun de juger s’ils sont vraiment dénués de bon sens. Je peux témoigner, malgré tout, que la personne en question, elle, en était rarement démunie. Cela pour souligner que, à propos des grades, nous ne devons pas nous en passer mais il faut leur donner la valeur qu’ils méritent. Ils ne sont pas ce qu’il y a de plus important dans une vie (même si chaque échelon gravi est un grand moment), l’essentiel réside dans la pratique.
Site du club ju-jitsu Eric Pariset : www.jujitsuericpariset.com
Une page empreinte de sagesse. Comme en toutes choses, la distinction ou la reconnaissance ne devrait être qu’une occasion d’élever le niveau de ses exigences.
Très belle formule. Merci Guillaume. De la part d’un homme et d’un professeur de votre qualité, j’apprécie d’autant plus.
Eric Pariset.