Le Golfe Bleu

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C’est davantage un récit qu’un article que je propose cette semaine. Il mérite d’être dégusté comme un fruit de saison bien mur.

Je vous propose un voyage vers le soleil et dans le temps en vous emmenant, quelques décennies plus tôt, en direction d’un lieu magique qui malheureusement n’existe plus : le Golfe Bleu.

Exactement à Beauvallon-sur-Mer, un hameau, juste à côté de Sainte-Maxime et en face de Saint-Tropez.

À l’initiative de Gérard et Armande Néél, couple de professeurs de judo au fort tempérament, fut ouvert dans les années 1950, à 300 mètres de la mer, au milieu d’une forêt de mimosas, de chênes lièges et de pins parasols, un centre de vacances un peu sur le modèle du « Club Med ».

Le  couple avait comme projet de rassembler durant l’été des judokas et leurs familles pour des périodes d’une semaine ou plus. Le centre fonctionnant du 15 juin au 30 septembre. Au début, l’hébergement – quelque peu spartiate – se faisait dans des paillottes avec de la terre battue comme revêtement de sol ! Un tatami, protégé par un toit, mais ouvert sur les côtés, se trouvait au centre du village de vacances.

Deux heures de techniques tous les matins et… deux heures de randoris toutes les fins d’après-midi, tel était le programme pour les stagiaires. Pour encadrer tout cela, ce sont les meilleurs champions qui sont passés par ce lieu, jusqu’à la fermeture du centre à la fin des années 1980 !

Mais ce sont les débuts de l’aventure qui sont assez fascinants et qui me laissent tant de souvenirs. En effet, mon père faisait partie de l’encadrement des premières années, avec bien sûr son « alter égo » Henri Courtine et le fameux géant néerlandais (un pléonasme) Anton Geesink.

Le centre recevait des  judokas de toute l’Europe, et même de plus loin. Souvent des équipes nationales venaient préparer les saisons suivantes. Dans ce lieu unique  une ceinture jaune pouvait faire le combat de sa vie avec un Champion du monde.

Pour ma part et à l’âge qui était le mien, il ne s’agissait pas d’entraînement, mais tout simplement d’un endroit, ou pendant une petite dizaine d’années, j’ai vécu, de juin à septembre (à l’époque la rentrée des classes se faisait vers le 21 septembre) des vacances que je peux classer parmi les plus beaux moments de ma vie. Elles m’ont permis d’assister à des combats d’entraînements d’anthologie, de côtoyer les sommités du judo et des arts martiaux, de créer des amitiés indéfectibles et de faire de cette région ma région de cœur.

Aujourd’hui, un célèbre promoteur a mis fin à la colline magique. Seul rescapé, le restaurant plage « Le Pingouin bleu », tenu par Pierrot, le fils de la famille. Si un jour vous passez par là, n’hésitez pas, vous serez bien accueillis et vous serez à quelques pas d’un lieu chargé d’une histoire comme on n’en connaîtra plus !

J’ai pensé ajouter à ce récit quelques lignes en rapport avec la carte postale qui l’illustre, mais aussi une description de ce qui faisait nos journées.

Toutes les prises de vue de cette carte qui date de 1974 font remonter de très forts souvenirs, mais il y en a une qui me marque particulièrement (en dehors d’Anton Geesink, hors catégorie), c’est celle qui se trouve en haut et à gauche. Elle représente le chemin qui descendait à la plage.

Avec mon amie d’enfance Katy, la fille d’Henri Courtine, accompagnés de nos mères, nous allions tous les matins sur cette petite plage qui appartenait au camp de vacances. Nos pères étaient sur les tatamis pour dispenser leurs techniques.

Après beaucoup de temps passé dans l’eau, nous remontions vers les 13 h 00. Il fallait d’abord traverser la route qui longe le littoral, la nationale 98, ou bien emprunter un souterrain plus prudent mais assez sinistre. Nous commencions alors à gravir le chemin qui nous menait au centre. La première partie se déroulait sous un soleil de plomb et puis d’un seul coup nous entrions dans un tunnel de mimosas. Une délicieuse ombre naturelle nous délivrait d’une chaleur accablante. Seuls les végétaux peuvent  procurer un tel bien-être.

Avant de rejoindre la « salle à manger » installée sous des platanes centenaires qui nous abritaient eux aussi  de l’astre solaire, nous passions par le bloc sanitaire pour un efficace dessalage.

L’après midi, après l’indispensable sieste, nous ne retournions pas à la plage. Les judokas suaient sang et eau dans leurs judogis, les compagnes assistaient bien souvent aux exploits de leurs moitiés, assises sur les bancs qui entouraient le dojo de plein air. Je précise qu’à l’époque, très peu de femmes pratiquaient le judo, c’est pour cette raison que j’emploi le mot compagne et non pas compagnon.

Quant à nous, les plus jeunes, nous nous retrouvions pour nous livrer à différentes activités. Les enfants savent toujours s’occuper lorsqu’ils sont ensembles, même sans écran, Dieu merci.

Après l’entraînement, nous nous retrouvions tous pour le dîner, et juste un peu avant la fin du repas, avec la permission des parents, il y avait un grand moment que nous attendions tous, nous les enfants,  c’était lorsque nous investissions le tatami, jusqu’à ce que nos parents qui finissaient la soirée au bar viennent nous arracher à ce lieu transformé en véritable cours de récréation.

Le dimanche, le judo faisait une pause. Bien souvent pour se reposer et surtout pour chercher et trouver un peu de fraîcheur, nous montions dans l’arrière pays, pique-niquer au pied d’un magnifique village, qui à l’époque était abandonné : Bargème. Je me souviens qu’en ce temps un petit ruisseau qui descendait de la montagne nous permettait de mettre les melons au frais. Voilà le genre d’image dont je me souviens avec une précision hallucinante. Ce n’est pas la seule,  on n’échappe pas à son enfance.

Avant de redescendre dans la fournaise, s’imposait une halte à Bargemon, autre village typique du Haut Var, pour un dîner où la charcuterie régionale et les écrevisses faisaient bon ménage dans les assiettes. Le retour était un peu laborieux dans la mesure où pour rejoindre Beauvallon, la route n’était absolument pas celle qui existe maintenant. Traverser ce qu’on appelle le « Gratteloup », qui appartient au magnifique Massif des Maures, relevait presque de l’exploit, surtout de nuit. Entre Le Muy (ceux qui se rendent dans le golfe de Saint-Tropez connaissent bien ce nom, puisque c’est là que se situe la sortie de l’autoroute) et la côte il fallait une heure et demi, alors que trente minutes suffisent maintenant. Les virages qui étaient la cause de ce trajet sans fin représentaient parfois une véritable épreuve pour nos estomacs. Après une nuit, quelques fois en compagnie de « nos amis » les moustiques, nous étions prêts pour une nouvelle semaine de vacances inoubliables.

Les réactions suscitées lors de l’évocation du Golfe Bleu lors de précédentes parutions me font penser que je ne suis pas le seul à me souvenir de ce lieu enchanteur.

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Trois mouches

Voilà une petite histoire qu’il me plait de proposer régulièrement en été.

Découvrir ou redécouvrir une leçon de sagesse issue du précieux et délicieux recueil intitulé « contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ». Cela ne peut qu’être instructif et bénéfique. En toute saison d’ailleurs.

Le livre en question aborde plusieurs thèmes illustrés par différentes petites histoires. Le récit proposé ci-dessous matérialise l’art de vaincre sans combattre, ce qui est pour le moins une conduite dans laquelle intelligence et efficacité se marient à merveille.

Trois mouches

Dans une auberge isolée, un samouraï est installé, seul à une table. Malgré trois mouches qui tournent autour de lui, il reste d’un calme surprenant. Trois rônins entrent à leur tour dans l’auberge. Ils remarquent aussitôt avec envie la magnifique paire de sabres que porte l’homme isolé. Sûrs de leur coup, trois contre un, ils s’assoient à une table voisine et mettent tout en œuvre pour provoquer le samouraï. Celui-ci reste imperturbable, comme s’il n’avait même pas remarqué la présence des trois rônins. Loin de se décourager, les rônins se font de plus en plus railleurs. Tout à coup, en trois gestes rapides, le samouraï attrape les trois mouches qui tournaient autour de lui, et ce, avec les baguettes qu’il tenait à la main. Puis calmement, il repose les baguettes, parfaitement indifférent au trouble qu’il venait de provoquer parmi les rônins. En effet, non seulement ceux-ci s’étaient tus, mais pris de panique, ils n’avaient pas tardé à s’enfuir. Ils venaient de comprendre à temps qu’ils s’étaient attaqués à un homme d’une maîtrise redoutable. Plus tard, ils finirent par apprendre, avec effroi, que celui qui les avait si habilement découragés était le fameux Miyamoto Musashi.

(Ronin, selon la définition du Larousse : »Samouraï qui quittait le service de son maître et se mettait à parcourir le pays en quête d’aventures.)

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Utilité de la beauté du geste

Lecture d’été.

Voilà un conseil de lecture approprié en ce milieu d’été et au moment où les Jeux Olympiques battent leur plein. L’auteur Thierry Grillet propose « Petit traité du geste, pour la beauté du sport ». Ci-dessous, la quatrième de couverture.

« En cette année olympique, cet essai entre dans le sport par le « geste ». Depuis la sculpture antique du Discobole, on n’a cessé de célébrer le geste, brique première des disciplines sportives. Il fascine, émeut et inspire. Ce petit traité en propose une lecture, qui révèle, au-delà de la performance physique, sa beauté et sa charge culturelle.

Prenant appui sur des performances mythiques de champions – le service de Federer, la paneka de Zidane, le « tir » à l’arc d’un maître de kyudo, le saut révolutionnaire « cool » de Fosbury, etc. -, l’auteur puise dans l’histoire de huit disciplines sportives mais aussi dans celle des arts et des idées, et bâtit ainsi une « petite mythologie du geste », invitant le lecteur à percer aux côtés de sociologues, d’artistes,  de scientifiques, le mystère du geste parfait. »

Personnellement, j’appartiens pleinement à la catégorie de ceux qui défendent cette thèse, celle qui consiste à ne pas opposer l’efficacité à la beauté du geste, bien au contraire, y compris dans les disciplines de combat. Chacun peut et doit tenter l’effort de conjuguer beauté du geste et efficacité, ce qui aboutit au « geste parfait ». Celui qui semble le plus naturel dans son exécution, en devenant une seconde nature après des sommes de répétions.

Lorsqu’une performance sportive est spectaculaire, elle est encore plus  appréciée du public.

Maintenant, on peut argumenter, avec raison, que dans les méthodes de self défense et en cas de survie, on se moque de la beauté du geste. Mais, à moins d’être un soldat en guerre, on ne sauve pas sa vie tous les jours et à l’entraînement les efforts pour aboutir au geste parfait, alliant efficacité et esthétisme, ne gâcheront rien.

On peut aussi utiliser le mot d’élégance. L’élégance technique et physique, mais aussi  l’élégance comportementale, dans la victoire, dans la défaite et dans la vie de tous les jours.

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Essayiste, Thierry Grillet a publié plusieurs ouvrages consacrés à l’art et au cinéma. Longtemps maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris, il a aussi dirigé le département culturel de la BNF. Il est commissaire de l’exposition « Le sport, pour la beauté du geste qui s’ouvre début 2024 aux Franciscaines à Deauville.

Les anciens

Anciens, séniors, vétérans, vieux, vieillards, ancêtres, etc. Voilà un échantillon de noms, plus ou moins agréables, qui désignent le troisième âge et même, maintenant le quatrième !

Ayant intégré une décennie qui me place largement dans une des ces catégories, j’ai pensé livrer quelques réflexions sur le sujet.

Vieillir, comme disait Jean d’Ormesson, c’est encore la meilleure façon de ne pas mourir. Cette expression mise à part, il existe quelques avantages à prendre de l’âge, mais en toute objectivité ils sont moins nombreux que les désagréments.

Cet article se voulant positif, c’est la mise en avant des « privilèges » qui sera favorisée. Ils sont connus, sans doute n’est-il pas inutile de les rappeler.

Ce n’est pas toujours évident de vieillir, alors autant bien le faire. Pour cela il faut bénéficier avant tout d’une bonne santé. Cette santé qui est le fruit de différents facteurs : la génétique, l’entretien physique, l’hygiène de vie et… la chance. Mais aussi l’environnement  et un certain confort qui offre des soins, une vie sociale et familiale digne de ce nom. Vieillir dans la solitude et la précarité ne devait pas exister.

Donc, revenons aux quelques avantages que doit (ou devrait) apporter l’avancée en âge : l’expérience, la connaissance, la sagesse, la tolérance, la relativisation et sans doute quelques autres. Toutes ces qualités mériteront un prochain article.

Dans nos disciplines, ceux qu’on appelle affectueusement « les anciens » sont, pour certains, des puits de science. Ils doivent être respectés. Pas uniquement ceux-là, mais tous ceux qui ont fait preuve d’un engagement et d’une fidélité totale à leur discipline.

Ni vénération, ni idolâtrie, simplement de la considération pour un parcours et pour une personne qui forcement a un chemin plus important. Un « ancien » est par définition… plus ancien, il a forcément des choses à apprendre aux plus jeunes. Surtout quand ils ont été professeurs ; se souvenir de ce que l’enseignant a apporté, que sans lui, on ne serait peut-être pas le pratiquant que l’on est devenu. Malheureusement, parfois, l’ingratitude n’est pas qu’un mot.

Même si le physique n’est plus tout à fait le même, la connaissance technique ne s’altère pas et encore moins l’esprit ; c’est aussi ce que voulait mettre en avant Jigoro Kano avec le « shin gi tai ». C’est l’occasion de rappeler que les grades ne sont pas que le reflet des aptitudes physiques, ni des connaissances techniques, mais aussi et surtout celui de la durée d’un engagement.

Une société qui ne respecterait plus « ses anciens » n’aurait sans doute que peu d’avenir.

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À chacun son rôle et sa responsabilité

La lutte contre la violence est un vaste programme, un immense chantier, mais chacun peut apporter sa pierre à l’édifice. Il y a la punition, mais pour ce qui nous concerne, il y a avant tout l’éducation. C’est une mission ambitieuse, à laquelle le pire serait de renoncer ou même de l’escamoter.

Dans les organismes qui gèrent un sport, que ce soit une fédération ou une association de base, à tous les niveaux chacun possède sa part de responsabilité dans cette lutte.

Elle commence par le respect des règles élémentaires. Justement le respect des professeurs par les élèves, des élèves par le professeur, mais aussi des lieux et des us et coutumes attachés au dojo.

Le professeur est en première ligne, c’est lui qui dispense l’enseignement. Un enseignement qui ne se limite pas à la diffusion de techniques, mais aussi à l’éducation dans sa globalité. Il a la responsabilité d’un tatami sur lequel tout comportement violent doit être banni. Progresser dans la réalisation du geste parfait, mais aussi dans la maîtrise et le contrôle des actions et des réactions. N’est-il pas ÉDUCATEUR sportif, comme indiqué sur sa carte professionnelle ?

Dans les disciplines où sont pratiquées les compétitions, l’entraîneur – qui a un rôle différents de celui du professeur, (dans beaucoup de club c’est la même personne, avec une « casquette » différente) – s’attache à faire respecter le fair-play qui doit animer les combattants, il doit être intransigeant en transmettant le goût de la victoire dans le respect des règles et de l’adversaire. Il doit aussi apprendre à gérer la défaite, en la dédramatisant et en respectant les décisions de l’arbitre. Apprendre à gagner avec humilité et à perdre sans dramatiser.

Quant à l’élève, il accepte les remarques du professeur, respecte les règles du dojo, si un problème se pose il demande un entretien avec le professeur pour lui faire part d’un possible ressentiment.

Enfin le dirigeant est un peu le chef d’orchestre qui doit s’assurer qu’à tous les échelons les valeurs qui symbolisent les arts martiaux (avec compétitions ou pas) sont respectées.

Il existe bien sûr des différences entre un modeste dojo où est pratiqué un art martial sans compétition et une grosse «écurie», mais chacun doit endosser et assumer son rôle et lutter contre ce fléau.

Alors, au cœur de l’été, ce court rappel n’est peut-être pas inutile de façon à bien préparer la rentrée et être ainsi utile à la société toute entière.

Bel été à tous.

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Vaincre sans combattre…

Pour bien  commencer l’été, je propose la rediffusion d’une histoire savoureuse qui illustre à merveille l’article de la semaine passée.

Toujours extraite du recueil  “Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon”. On ne s’en lasse pas. Bonne lecture.

L’art de vaincre sans combattreL’intelligence au service de la victoire. Un concept qui n’a pas d’âge, et pourtant…

« Le célèbre Maître Tsukahara Bokuden traversait le lac Biwa sur un radeau avec d’autres voyageurs. Parmi eux, il y avait un samouraï extrêmement prétentieux qui n’arrêtait pas de vanter ses exploits et sa maîtrise du sabre. A l’écouter, il était le champion toutes catégories du Japon. C’est ce que semblaient croire tous les autres voyageurs qui l’écoutaient avec une admiration mêlée de crainte. Tous ? Pas vraiment, car Bokuden restait à l’écart et ne paraissait pas le moins du monde gober toutes ces sornettes. Le samouraï s’en aperçut et, vexé, il s’approcha de Bokuden pour lui dire : «Toi aussi tu portes une paire de sabres. Si tu es samouraï, pourquoi ne dis-tu pas un mot » ? Budoken répondit calmement : -«  Je ne suis pas concerné par tes propos. Mon art est différent du tien. Il consiste, non pas à vaincre les autres, mais à ne pas être vaincu. » Le samouraï se gratta le crâne et demanda : – « Mais alors, quelle est ton école ? » – « C’est l’école du combat sans armes. » – « Mais dans ce cas, pourquoi portes-tu des sabres ? – « Cela me demande de rester maître de moi pour ne pas répondre aux provocations. C’est un sacré défi. » Exaspéré, le samouraï continua : -«  Et tu penses vraiment pouvoir combattre avec moi sans sabre ? » – « Pourquoi pas ? Il est même possible que je gagne ! » Hors de lui, le samouraï cria au passeur de ramer vers le rivage le plus proche, mais Bukuden suggéra qu’il serait préférable d’aller sur une île, loin de toute habitation, pour ne pas provoquer d’attroupement et être plus tranquille. Le samouraï accepta. Quand le radeau atteignit une île inhabitée, le samouraï sauta à terre, dégaina son sabre, prêt au combat. Budoken enleva soigneusement ses deux sabres, les tendit au passeur et s’élança pour sauter à terre, quand, soudain, il saisit la perche du batelier, puis dégagea rapidement le radeau pour le pousser dans le courant. Budoken se retourna alors vers le samouraï qui gesticulait sur l’île déserte et il lui cria – « Tu vois, c’est cela, vaincre sans arme ! »

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Vaincre sans combattre

Ci-dessous, un texte extrêmement intéressant, encore davantage dans la période de violence que nous connaissons. La violence physique mais pas que, celles de certaines décisions (ou d’absence de décision), et de paroles méprisantes sont parfois plus meurtrières.

Ce texte – que je vous conseille vraiment de lire intégralement – est issu du recueil qui devrait être le livre de chevet de tout pratiquant d’arts martiaux digne de ce nom. Il s’agit de « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ».

Plusieurs chapitres composent ce livre et développent ainsi différents thèmes. Un de ceux-là est consacré à l’art de « vaincre sans combattre ». Différents récits le composent et j’en ai déjà proposé un certain nombre sur mon blog.

Aujourd’hui, c’est l’introduction de ce chapitre que je présente. Un texte riche d’enseignement et de sagesse. C’est le petit plus de l’art martial, celui qui fait que je lui reste fidèle.

« Les grands Maîtres n’ont cessé de répéter que « la plus haute maîtrise est de vaincre sans combattre ». Ils considéraient que leur Art  ne devait pas servir à tuer, mais à protéger la vie.

Pour eux, quoi de plus facile que d’utiliser leur écrasante supériorité contre un agresseur ? Alors que se débarrasser d’un attaquant sans le blesser, sans même qu’il y ait un combat, relève de l’exploit. Et après tout, la véritable efficacité ne consiste-t-elle pas à décourager ou à se concilier l’éventuel adversaire car, comme le dit un proverbe chinois, « un ennemi que tu vaincs reste ton ennemi. Un ennemi que tu convaincs devient ton ami » ?

Vaincre sans combattre n’est pas à la portée du premier venu. «Un homme ordinaire dégainera son sabre s’il se sent ridiculisé et risquera sa vie, mais il ne sera pas appelé un homme courageux. Un homme supérieur n’est pas troublé même dans les situations les plus inattendues, car il a une grande âme et un noble but, aimait à dire Funakoshi Gishin (le fondateur du karaté). Celui qui ne peut se dominer face à un danger risque de devenir agressif et de réagir violemment. Il entre ainsi dans le jeu de l’adversaire. Parfois il peut même croire qu’il est menacé alors qu’il n’en est rien. Tandis que celui qui reste maître de lui dans toutes les situations peut faire face avec toute sa lucidité, tous ses moyens.

Réagir violement est une solution de facilité, rester calme est un tour de force. C’est ce qu’exprime Lao-Tseu dans une des fameuses sentences du Tao-tö king : « Imposer sa volonté à autrui est une démonstration de force ordinaire, se l’imposer à soi, un témoignage de puissance véritable. »

Si, malgré lui, un maître est entraîné dans un combat, il parvient, en fait, à neutraliser son adversaire sans vraiment combattre. L’essence des Arts Martiaux japonais est profondément non violente. Elle repose en effet sur le principe de non résistance qui consiste à utiliser l’attaque de l’adversaire pour le mener à sa propre perte. Celui qui se défend, au lieu d’essayer de bloquer le mouvement adverse, l’esquive et le canalise de façon à le retourner contre l’agresseur. Si l’adversaire pousse, il suffit d’esquiver ou de le tirer pour qu’il tombe de lui-même. S’il tire, il n’y a qu’à le pousser. Plus l’attaque est puissante, plus le choc en retour est désastreux. Le principe de non-résistance conduit l’attaquant à devenir la victime de sa propre attaque et à récolter le fruit de ses mauvaises intentions. Quoi de plus juste ?

Le véritable Art Martial, ou selon l’étymologie orientale, l’« Art d’arrêter la lance », est une excellente mise en pratique de ce que les enseignements taoïstes ou Zen appellent le wu-wei. Généralement traduit par « non agir », le wu-wei signifie plus exactement : laisser faire, agir sans intervenir, sans résister. Pour reprendre une image taoïste : « c’est le principe du wu-wei qui meut toutes choses. Simplement parce que l’essieu ne bouge pas, la roue tourne.»

Dans la tradition orientale, l’eau est l’élément naturel qui symbolise le mieux le wu-wei, la non résistance : « L’eau ne s’oppose à personne, et ainsi, nul ne peut l’affronter. » « L’eau cède au couteau sans qu’il puisse la déchirer ; Elle est invulnérable car elle ne résiste pas. »

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Ne-waza !

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Mes élèves et les fidèles lecteurs connaissent mon attachement au secteur du travail au sol, le ne-waza. Aussi je propose la « rediffusion » d’un article qui lui avait été consacré.

Je profite de l’occasion pour rappeler que je propose un stage consacré à ce domaine le 6 juillet à Fontenay-le-Comte

Voilà un domaine à la richesse technique exceptionnelle et dans lequel il est possible de s’exprimer très longtemps. Il est pratiqué dans beaucoup de disciplines, son efficacité est incontestable, que ce soit dans le domaine sportif ou dans le domaine « utilitaire ». En judo, par exemple, les conclusions au sol ne sont pas rares et en self défense, même si une agression à de fortes chances de débuter debout, il ne serait pas raisonnable de le négliger. Enfin, l’aspect ludique, sur lequel j’insiste souvent, est bien présent. Développons !

La richesse technique est importante, puisque l’on y trouve des clefs, des étranglements et des immobilisations, plus toutes les combinaisons et enchaînements réalisables. On peut s’y exprimer longtemps, la vitesse n’est pas un critère déterminant, à l’inverse du travail debout. On peut « prendre son temps » pour aboutir, et même préparer plusieurs coups à l’avance.

Les joueurs d’échecs y trouvent d’ailleurs un parallèle. En plus d’un sérieux bagage technique, on développera une bonne condition physique et un renforcement musculaire naturel.

Dans les disciplines qui se pratiquent en compétition d’affrontements directs, beaucoup de combats trouvent leur conclusion au sol. En self défense, on doit être en capacité de réagir lorsque l’on y est amené, souvent contre son gré. Une maîtrise technique dans ce domaine permet de ne pas subir et de pouvoir contrôler sans trop de violence. Il serait peut-être présomptueux d’affirmer qu’on ne laissera pas le loisir à un éventuel agresseur de venir au contact.

Enfin, c’est sans doute dans ce domaine que l’aspect ludique est le plus présent. Certes, cela se vérifie davantage quand on est celui qui domine. C’est à ce moment-là que l’on pourra être un peu « joueur » comme le chat l’est avec la souris.

Certains sont assez bloqués par rapport au ne-waza. C’est vrai que le souvenir (ou la perspective) de se trouver étouffé(e) sous un torse velu et suintant, n’est pas forcément engageant. Je peux en attester, pour l’avoir vécu en tant que jeune pratiquant.

A ce moment-là, il faut se dire qu’existent deux solutions : soit arrêter la pratique, soit la renforcer pour ne plus être celui qui subit. Et puis, la diversité des partenaires, des niveaux et la bonne organisation du tatami par le professeur, doivent permettre de trouver plus fort et moins fort que soi. En sachant que c’est naturellement l’entraînement qui offre les progrès, cette évidence est malgré tout bonne à rappeler ; il n’existe pas de remèdes magiques, ni de disciplines ou de domaines dans lesquels règne la « science infuse ». Par contre, le ne-waza est une véritable « science du combat ».

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Sans respect…

« Sans respect aucune confiance ne peut naître »

Voilà la définition inscrite sur le Code moral. Ce Code moral qui est parfois l’objet de railleries en étant nommé « Code mural ».

En complément d’un article qui a déjà traité le sujet, je propose quelques réflexions sur une notion qui semble (malheureusement) être de moins en moins…respectée !

Lorsqu’on se proclame « pratiquant d’arts martiaux », on se doit de respecter certaines choses. Si le respect est une valeur qui doit exister dans la vie de tout être humain, c’est encore plus vrai quand on pratique nos disciplines. On doit être exemplaire dans ce domaine. Ci-dessous une petite liste de personnes, de rituels et de comportements qui méritent ce respect.

Tout d’abord respecter la discipline que l’on a choisie en lui étant fidèle. On n’avance pas dans les arts martiaux en changeant de pratique tous les ans. Cela n’empêche pas de satisfaire un esprit de curiosité de temps en temps ou bien après avoir atteint un certain niveau en s’offrant une complémentarité.

Ensuite, le respect existe envers le dojo, ce lieu où nous trouvons la voie. On salue en y entrant, en montant sur le tatami et en en descendant. Dans un dojo on ne parle pas fort, surtout dans la pratique et bien évidement on ne parle pas du tout pendant les explications du professeur.

Le respect envers le professeur est incontournable et assurément un des plus importants. C’est lui qui nous a donné l’envie de nous engager dans l’art choisi et c’est lui qui nous apprendra beaucoup et pas uniquement sur le plan technique.

La tenue mérite aussi du respect. On la respecte d’abord en n’y dérogeant pas. Ensuite elle doit être propre, par respect pour les partenaires et tout simplement pour soi-même.

Les partenaires de dojo, on les respecte aussi dans les échanges, que ce soit avec un plus haut gradé ou un moins gradé. Dans les combats d’entraînement en excluant toute violence ou condescendance. On est à l’écoute des plus gradés et attentionné à l’égard des moins gradés.

On se respecte soi-même, en fortifiant notre corps, et non pas en l’abîmant avec des pratiques démesurément violentes.

Sur le plan moral, on respecte ses convictions, son éthique et les principes attachés à la discipline que l’on pratique. On ne retourne pas sa veste de judogi, au gré de la mode.

Quand on parle des autres disciplines et des experts qui les enseignent, on les respecte. On évite la critique systématique. Chacun fait ses choix en direction de ce qui lui semble le plus adapté ; on respecte ce choix.

Enfin j’ai gardé pour la fin le respect envers ceux à qui on doit tant de choses, ceux qu’on appelle affectueusement « les anciens ». On a tendance à tourner les pages de plus en plus vite en oubliant nos racines.

Autant de valeurs à respecter. Pour avoir les moyens de le faire, il faut d’abord le vouloir et posséder un minimum de volonté. Cela s’acquiert et se renforce, même s’il faut se discipliner, se donner des objectifs. S’engager dans une voie et respecter les efforts qu’il faudra fournir, surtout qu’ils ne sont pas démesurés, quitte à être à contre-sens d’un air du temps qui favorise et sanctifie le « zapping » !

Il ne s’agit pas simplement de belles valeurs, mais de valeurs indispensables pour le « bien vivre » en société.

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Ju-jitsu, encore et toujours

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Après deux articles consacrés au « bon vieux ju-jitsu » je propose de « disséquer » cet art martial. D’abord en évoquant sa composition technique,  puis en partageant mes préférences et les objectifs qui sont les miens au travers la méthode que j’enseigne.

D’abord sa pluralité technique, incontestablement c’est un atout majeur. Coups, projections et contrôles, travail debout et au sol.  Percuter, projeter, contrôler ; développons.

Dans le travail des coups, on utilise les bras et les jambes. On apprend à donner les coups, mais aussi à s’en défendre. Il s’agit d’un travail à distance. Quand je dis donner des coups, c’est avec contrôle ou du matériel pour les amortir.

Les projections sont utilisées dans le corps à corps, mais aussi à l’aide d’un déplacement qui permet de ne pas prendre frontalement la poussée ou la tentative de saisie de l’adversaire pour faire en sorte de l’utiliser et qu’elle se retourne contre lui. Sur des saisies très rapprochées, elles sont pour ainsi dire irremplaçables.

Enfin, le domaine des contrôles est très vaste, avec des clefs en torsion et en hyper extension sur toutes les articulations, debout et au sol. Mais aussi des étranglements qui doivent être pratiqués avec beaucoup de maîtrise et de « dosage ». Enfin, les immobilisations qui, comme leur nom l’indique, permettent d’immobiliser quelqu’un.

Cette pluralité technique offre deux avantages essentiels : d’abord l’efficacité qui permet de répondre à beaucoup de situations d’attaques, à distance ou en corps à corps, debout et au sol. Ensuite de pouvoir, si la situation le permet, moduler la riposte. Certains coups et certaines projections peuvent s’avérer fatals, d’autres permettent de « calmer » sans détruire, quant aux contrôles, là aussi comme leur nom l’indique, ils offrent la possibilité de maîtriser une personne en attendant les secours ou arriver à lui faire retrouver ses esprits.

Pour ce qui concerne mes préférences. Venant du judo, j’avoue avoir un faible pour les projections. L’efficacité indiscutable, la recherche de la finesse technique et la beauté du geste en sont les raisons.

Mais ayant hérité aussi d’un bagage technique conséquent dans le domaine du travail au sol, je l’apprécie énormément notamment au cours des randoris, avec un engagement physique total, mais sans violence et une notion de jeux que l’on doit conserver. Sans compter que l’on peut s’y adonner très longtemps. Technique et stratégie étant déterminantes.

Pour le travail des coups, lorsqu’il est pratiqué avec quelqu’un qui possède un état d’esprit identique, c’est un exercice très agréable et très utile.

Enfin, les particularités de mon enseignement.

D’abord sur le plan technique, j’aime et je favorise ce que j’appelle les liaisons entre les différentes composantes du Ju-Jitsu. Maitriser chacune d’elle, c’est une chose, maîtriser une bonne liaison entre ces liaisons en est une autre. C’est l’intérêt majeur de cet art. La recherche du détail qui fait la différence est une quête qui ne cesse de m’animer.

Quant au physique, l’objectif est de l’améliorer et non pas de l’abîmer.

Sur le plan mental, je ne me lasse pas d’insister sur l’état d’esprit éducatif, constructif et non pas destructif qui doit entourer la pratique. Une nuance que l’on ne retrouve pas partout.

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