Aujourd’hui, c’est la réponse à une question posée par un pratiquant résidant en Belgique qui fera office de billet hebdomadaire.
Bonsoir Monsieur Pariset,Puis-je vous demander votre avis sur un sujet qui fait « parler » en ce moment ?Pensez-vous que le Jujitsu doit se « moderniser » en faisant ressortir un peu plus son aspect « self-défense » ? Quand je dis moderniser je ne veux pas oublier la tradition, mais étant donné la dérive de notre monde et les agressions de plus en plus courantes que ce soit sur les femmes, les hommes ou même les plus jeunes ; beaucoup se dirigent vers les « nouveaux » sports de combat du style Krav Maga, Penchak Silat…et notre ju-jitsu commence à perdre de sa popularité.Je me pose donc la question, faut-il tout en gardant la tradition enseigner plus sur le coté self-défense du Ju-jitsu ? Bien à vous. David Lobrie
On pourrait répondre de façon résumée en affirmant que non, le ju-jitsu ne doit surtout pas évoluer (par rapport à sa conception et à sa vocation première évidemment !). Ce sont les dérives et/ou déviances dont notre belle discipline est la victime depuis des années qui ont conduit à cette situation et aux nombreuses confusions qui en résultent. Mais il me semble qu’il est utile de développer quelque peu !
Il suffit de pratiquer et surtout d’enseigner le ju-jitsu en respectant sa vocation première, c’est-à-dire la self-défense ; « la défense du faible contre l’agresseur » comme l’indique l’ouvrage rédigé par Monsieur Feldenkrais dans la première partie du XXème siècle et dont la couverture nous sert d’illustration. Ou encore visionner l’excellent film d’Akira Kurosawa réalisé en 1954 « les 7 samouraïs » qui raconte comment au Moyen-âge, la tranquillité d’un petit village japonais est troublée par les attaques répétées d’une bande de pillards et comment Sept samouraïs sans maître acceptent de défendre les paysans impuissants … et de les former aux techniques de défenses….
Je vois donc trois grandes raisons au mal que vous évoquez. Tout d’abord, le ju-jitsu est victime de dérives, ensuite (ce qui fait partie de ces dérives) de certaines façons de l’enseigner. Enfin, il lui manque une organisation au plus haut niveau.
Premièrement, à propos de dérive, le développement de l’aspect compétition en est une belle illustration. En effet, il retire automatiquement de la valeur en matière de self-défense, dans la mesure où pour des raisons de sécurité (souhaitables) les techniques les plus dangereuses, donc les plus efficaces en matière de défense, sont exclues. A cela il faut ajouter que, bien souvent, lorsqu’il s’agit de compétition, une forme d’élitisme s’installe au détriment de ceux qui ne sont pas intéressés par cet aspect. Autres dérives, avec des postures (les gardes) adoptées dans certaines façons de pratiquer ; elles ne sont pas naturelles et incompatibles avec l’efficacité en situation réelle. A ces dérives on peut ajouter l’existence d’un nombre important de styles et d’écoles de ju-jitsu qui pour certaines n’ont en commun que le…nom, ce qui ne manque pas de semer la confusion.
Deuxièmement, la façon dont le ju-jitsu est enseigné, ce qui est en liaison avec la première cause. A partir du moment où existe la compétition dans une discipline, beaucoup de professeurs ont tendance à limiter leurs enseignements aux seules techniques qui y sont autorisées. Sans tenir compte de la vocation première de l’art martial en question. On peut aussi ajouter un manque de formation qui concerne une partie des enseignants, ce qui amène naturellement le troisième point.
Donc, et enfin, ce troisième point qui concerne l’absence d’une structure forte au niveau national pour fédérer, organiser et promouvoir.
Face à ce constat quels sont les remèdes ? Une grande et vraie structure indépendante, mais cela a déjà été tenté à plusieurs reprises, il s’agit d’un travail colossal, surtout que, en ce qui concerne la France, une structure – la FFJDA – possède déjà la délégation ministérielle qui lui permet de gérer la discipline dont elle a la charge. Est-ce fait correctement ?
Fort de ce constat, à court terme, que peuvent faire les enseignants du « ju-jitsu originel » ? Pour ma part, même si cela peut paraitre désuet, j’opte tout bonnement pour le bon sens qui consiste à enseigner le ju-jitsu selon sa vocation première (venir à bout d’un agresseur plus fort que soi). Et puis, expliquer aux élèves et futurs élèves que le ju-jitsu, s’il est enseigné comme il doit l’être, est une méthode de self-défense complète, composée de toutes les défenses répondant à toutes les formes d’agressions, qu’il existe des principes de bases qui permettent aux plus faibles de triompher des plus forts, que le travail des coups et l’étude des points vitaux font partie de l’enseignement. Certes, cela prend du temps, mais il n’y a pas de méthodes miracles qui permettent de savoir « se défendre en dix leçons » et de toutes les façons, l’invincibilité n’existe pas.
J’ai conscience que parfois (et même souvent) le « faire-savoir » est plus important que le « savoir faire ». Avec une bonne communication, c’est surtout plus facile, certaines méthodes l’ont bien compris.
Il faut garder espoir ; le ju-jitsu existe depuis des lustres, il en a vu d’autres et tel le Phénix, il renait toujours de ses cendres. Peut-être, et même sûrement, afin de souligner l’aspect utilitaire il faut accoler plus systématiquement le mot self-défense à celui de ju-jitsu. Ou encore, à l’instar de l’ouvrage présenté, ne pas hésiter à utiliser des formules qui captent l’attention.
Concernant les solutions, quelques uns ont fait le choix d’enseigner le ju-jitsu sous un autre nom, cela se passe de commentaires.
Maintenant, il y aura toujours des gens pressés et d’autres qui prennent leur temps, il y aura toujours des personnes préférant les « fast-foods » aux bons petits plats. Ce qui n’empêche pas certains de changer d’avis, par la suite. L’important est de croire en ce que l’on fait, et surtout de bien le faire.
eric@pariset.net www.jujitsuericpariset.com