N’étant ni psychothérapeute, ni médecin, ni scientifique (mes connaissances se limitant principalement à la « science du combat »), je me contenterai donc de l’exposition de sentiments et de légitimes ressentiments provoqués par la perte d’un outil de travail, d’un travail et par l’interdiction de pratiquer et d’enseigner une discipline éducative. Cela va faire un an que dure cette situation invraisemblable. Que de dégâts, de désastres pour revenir à la case départ avec l’annonce un troisième confinement « très serré » (le choix des mots n’est jamais anodin) !
Les confinements et autres couvre-feux sont pour tous une épreuve, mais lorsqu’à ces enfermements s’ajoute la suppression de votre travail, l’addition est lourde.
Le présent est terrifiant et l’avenir l’est tout autant.
Il y a la pandémie et ses victimes directes mais il y a aussi ce que l’on appelle depuis bientôt un an les dommages collatéraux avec bien d’autres victimes. Certaines personnes sont à la limite de la rupture économique et de l’effondrement psychologique (pour beaucoup, c’est déjà acté). Qui accepterait d’être privé de revenu depuis bientôt un an, tout en ignorant l’issue de ce cauchemar? Certes, il y a quelques aides de l’État, mais elles ne sont pas à la hauteur des préjudices, quant aux assurances elles sont aux abonnés absents. Ceux qui ont subi une perte d’exploitation doivent s’en passer !
Cela va faire un an que l’on souhaite du courage à ceux qui sont en difficulté, qu’on leur demande de la patience, qu’on leur impose de la résilience.
Du courage, aucun « entrepreneur » n’en manque, je dirais presque par définition. L’entrepreneur n’est démuni ni de courage, ni d’énergie. Ces deux qualités sont indispensables, quel que soit le secteur d’activité. Il y a une prise de risque inévitable dans l’entreprenariat. Ceux qui s’y lancent le font en connaissance de cause, ils savent qu’ils devront compter sur leur compétence, leur énergie (et parfois un peu de chance). S’ils échouent, ce n’est qu’à eux-mêmes qu’ils devront s’en prendre ; c’est un peu la règle du jeu. Mais dans la situation actuelle, les dés sont pipés. Il ne s’agit ni de courage, ni d’énergie, ni de compétence, puisque nous sommes face à une interdiction, il s’agit juste de résistance. Il est indispensable de ne pas en être dépourvu.
Quand ça va mal, le petit entrepreneur se retrousse les manches, il se remet en question, il cherche des idées, il innove, mais dans la situation actuelle, c’est face à un mur qu’il se trouve. Certains ont essayé et continuent courageusement avec quelques palliatifs, comme dans la restauration avec le « click and collect », mais de leurs propres aveux le résultat est dérisoire, cela ne peut s’inscrire dans la durée. Tout comme les cours d’arts martiaux en vidéo, ils sont louables et permettent de garder le contact, mais bien insuffisants par rapport à la raison d’être de nos disciplines, c’est à dire un échange qui permet de s’exprimer et de progresser.
Si l’aspect matériel est prédominant, dans tous les secteurs (qui pourrait supporter d’être privé de revenu depuis presque un an ?) la privation de l’exercice d’un métier que l’on aime est également traumatisante. Les sentiments de marginalisation et d’inutilité sont terrifiants.
Dans les métiers qui ont pour objet l’éducation, qu’elle soit mentale ou physique, ne plus pouvoir transmettre provoque un profond sentiment de gâchis. Pouvons-nous durablement nous passer de ce complément d’éducation (l’éducation physique) qui est aussi une forme de culture ? Certes, les écoles, – pour le moment – restent ouvertes, mais personne n’ignore les bienfaits de la pratique sportive que l’on appelait avant la « culture physique » ! Elle n’est pas simplement utile sur le plan corporel, Jigoro Kano ne voulait-il pas que le judo soit avant tout une méthode d’éducation physique et mentale ?
Enseigner c’est transmettre, mais c’est aussi nouer des relations sociales qui sont indispensables pour le bon fonctionnement de la société.
Enfin, pour un pratiquant d’arts martiaux, ne plus pouvoir fouler les tatamis ni revêtir la tenue que l’on appelle par facilité le kimono, sur une si longue période, est difficilement acceptable. A fortiori, pour ceux qui, comme moi, ont donné leur vie à leur art, pour qui enseigner est une seconde nature et le kimono une seconde peau.
On nous dit qu’il ne faut rien lâcher, que nous sommes des combattants, qu’il faut se battre. C’est vrai, mais comment combattre pieds et poings liés ? Imaginons un combat dans de telles conditions, ou tout simplement un affrontement au cours duquel un seul protagoniste aurait le droit d’attaquer. C’est un peu les impressions qui émanent de cette situation. Les seules armes à notre disposition sont les mots pour s’insurger et dénoncer cette interdiction.
Bien sûr, un jour ou l’autre nous pourrons pratiquer à nouveau, tout du moins nous l’espérons, mais cela ne dépend pas de nous, et c’est là tout le problème. S’il était juste question de volonté, les pratiquants d’arts martiaux n’en n’étant pas dépourvus, le problème n’en serait pas un, mais ce n’est pas le cas. Dans cette situation précise, la suite nous échappe, elle ne dépend ni de notre volonté, ni de notre pugnacité, il nous reste la possibilité de dénoncer – sans cesse – des décisions qui semblent incohérentes. Il est quand même question de la survie de « trésors éducatifs » qui nous ont été légués, ils ont su traverser les siècles, il ne faut pas les laisser se faire massacrer.
A tout cela on nous répond parfois qu’il s’agit d’une crise sanitaire sans précédent, que ces arguments sont bien dérisoires (et parfois déplacés) face à l’ampleur de la pandémie. Mais beaucoup s’accordent, y compris au sein du corps médical, pour admettre que cette situation ne peut plus durer ! Que les dégâts collatéraux, dont l’ampleur nous est cachée, commencent à être monstrueux. Combien faudra-t-il déplorer de faillites d’entreprises et personnelles, de sévères dépressions entraînant l’irréparable, sans parler d’un avenir plus au moins violé ?
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