Dans mon dictionnaire la lettre G ne pouvait être consacrée qu’à Anton Geesink. Pour moi, il représente un géant en 3 G. Géant par sa taille, par sa carrière et pour l’enfant que j’étais.
Un géant par sa taille d’abord. Un mètre quatre vingt dix huit ! Pour un hollandais, ce n’est pas exceptionnel, mais son mètre quatre vingt dix huit à lui, l’était. Ce ne sont pas uniquement des prédispositions naturelles qui lui ont donné ce corps d’athlète hors-normes, mais aussi un travail de Titan, une appellation qui lui sied très bien, par ailleurs. C’est aussi le résultat de séances d’entraînement monstrueuses sur les tatamis, mais également en extérieur avec une musculation faite à l’aide d’éléments naturels, comme avec les troncs d’arbres du Massif des Maures en été. Un gabarit de poids lourds, mais avec la rapidité d’un poids léger et tout en haut de ce corps une volonté de fer.
Un géant par son œuvre. Une carrière phénoménale ; il a eu tous les titres, dont le plus prestigieux : champion olympique à Tokyo en 1964 en clouant au tapis le japonais Kaminaga. Ce jour là, c’est toute une nation qu’il a fait pleurer. Il a bien sûr été champion du Monde, en signant un autre exploit lors de la troisième édition de ces « mondiaux » à Paris en 1961 en battant à la suite, les trois meilleurs poids lourds japonais du moment ; en ¼ de finale, ½ finale et finale. Il s’agissait de Kaminaga (déjà), Koga et Sone. Par ippon, s’il vous plait. Il possédait toutes les qualités requises : une parfaite technique debout et au sol, une rapidité exceptionnelle, une puissance surnaturelle et une volonté indestructible.
Enfin, un géant pour l’enfant que j’étais. La première fois que j’ai vu Anton Geesink, j’avais quatre ans et c’était au Camp du Golf bleu à Beauvallon-sur-mer, en face de Saint-Tropez. Chaque été, dans les années 1950, 1960 et jusqu’en 1990, les meilleurs judokas mondiaux s’y rassemblaient. Mon père avec Henri Courtine et Anton Geesink assuraient l’encadrement au tout début de l’aventure de ce club qui alliait «vacances et judo ». Ceux qui l’ont fréquenté, ne serait-ce qu’une seule fois, ne peuvent l’oublier. Donc, nous passions presque les trois mois d’été dans le Var et c’est là que pour la première fois j’ai approché Anton Geesink. L’enfant de quatre ans que j’étais n’avait aucune idée de ce que représentait un palmarès de judoka, par contre ce géant l’impressionnait, par sa taille bien sûr, mais aussi par sa musculature, par un visage volontaire, un timbre de voix très grave, bref, il était fascinant . Comme beaucoup de néerlandais il parlait plusieurs langues dont un français presque parfait, avec cet accent et cette voix qui raisonnent encore dans ma tête aujourd’hui.
Et puis, entre lui et mon père, il y avait toute une histoire sur laquelle je ne manquerai pas de revenir plus tard. On peut juste dire que les deux hommes – adversaires sur les tatamis – s’appréciaient et se respectaient au-delà de l’imaginable. En 2000, dans un entretien publié dans le journal l’Equipe, Geesink déclarait que, hors japon, l’adversaire qu’il redoutait le plus s’appelait Bernard Pariset. Autre hommage que je n’oublierai jamais, en janvier 2005 il avait tenu à être présent lors de la cérémonie organisée par la fédération française de judo pour rendre hommage à mon père, disparu tragiquement quelques semaines avant. Il avait pris la parole pour lui rendre un vibrant hommage, avec gravité, émotion, mais aussi avec humour. Un humour particulier qui me plaisait énormément.
Lors d’une suite à cet article consacré à ce géant, je reviendrai sur des impressions, des sentiments et des anecdotes plus personnelles.
Anton Geesink était né en 1935 à Utrecht, une rue porte son nom dans cette ville, il nous a quittés en 2010.
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