L’intérêt du judo, tel que le concevait Jigoro Kano, se situait dans la capacité du plus faible à pouvoir triompher du plus fort. Pas à l’aide d’une quelconque magie, mais tout simplement grâce à l’utilisation de procédés physiques qui utilisent la force de l’adversaire, par exemple.
Il faut bien constater que le nivellement technique et les catégories de poids ne permettent plus à ces principes de base d’être appliqués et c’est souvent le plus affûté physiquement qui prend le dessus.
Le mythe du petit qui pouvait battre le grand n’existe plus, c’est pourtant cela qui avait propulsé le judo dans les années 50.
Cependant, les techniques et les principes de base existent toujours, mais en quelque sorte ils ont été spoliés par la compétition. Celle-ci ayant une fâcheuse tendance à dénaturer pas mal d’éléments et pas simplement dans les arts martiaux.
Pourtant, ces principes sont un fondement et un rêve accessible avec un peu de volonté.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, si c’est juste le plus fort qui gagne, quel intérêt ? Sur le plan sportif, la logique est certes respectée, mais le rêve a disparu. Sur le plan de la self-défense, c’est embêtant ; c’est la démystification totale. Dans ce domaine, il ne s’agit pas de faire croire à des balivernes, mais d’affirmer que ces principes ont un fondement réel, si on assimile, pratique et perfectionne le patrimoine technique existant.
En compétition – paradoxalement – cela pourrait encore être le cas notamment dans la catégorie des poids lourds. En effet, c’est dans celle-ci qu’existent les plus grandes différences de poids. Elles peuvent aller jusqu’à 50 kilos. Malheureusement, l’application d’un travail exclusivement basé sur la primauté du kumi-kata exclut toute surprise. Comme nous avons pu le constater à Londres avec Teddy Riner. Ses adversaires tentaient avant tout d’imposer un improbable « kumi kata » (la garde). La seule possibilité de vaincre notre champion serait peut-être ce que l’on appelle l’ « attaque à la reprise » et de fait, l’empêcher de prendre sa garde. Celle-ci laisse les autres véritablement enlisés dans le tatami et exclut toute possibilité d’attaque, ni plus ni moins. Mais n’est-ce pas tout simplement incompatible avec l’évolution de cet art martial devenu sport olympique ?
Nous sommes loin de l’idée où l’art martial ne permet pas simplement au plus fort physiquement de vaincre, mais au plus habile.
Il n’y a pas que le problème de kumi-kata, il y a aussi l’ensemble des techniques exclues (à juste titre) parce que trop dangereuses en affrontement direct. Et c’est là que se pose la question de la compatibilité de la compétition avec les budos. Si pour que l’affrontement direct puisse se réaliser en toute sécurité (ce qui est souhaitable) le retrait de techniques trop dangereuses intervient, il est clair que l’on se prive d’éléments redoutablement efficaces. Pour une méthode de défense, c’est gênant. Au demeurant, en dehors des compétitions, rien n’empêcherait de les étudier. Mais les règles qui régissent la compétition font qu’à l’entraînement les techniques interdites ne sont plus étudiées ni pratiquées.
C’est pour cette raison que je ne suis pas favorable à la compétition en affrontement direct en ju-jitsu. Bien sûr, des combats d’entraînement aux règles strictes sont inclus dans notre programme, mais ils font partie d’un ensemble dans lequel sont inclus également la répétition de la totalité des techniques qui composent notre patrimoine. Les katas, par exemple, avec un arsenal complet, doivent être considérés comme des méthodes d’entraînement ; aux défenses contre armes, notamment. Pourrions-nous imaginer des compétitions avec un couteau ?
Art martial et compétition peuvent-ils faire « bon ménage » ? Beaucoup de professeurs cèdent à la facilité en succombant à la fascination de la médaille et de fait ne font étudier que les techniques autorisées en compétition. Certes celle-ci peut valoriser quelques individualités assez vite, mais la vraie valeur de la transmission ne doit-elle pas s’inscrire dans la durée, davantage que dans de brefs et relatifs coups d’éclat.
Plus largement, la compétition peut s’avérer saine, mais est-elle absolument indispensable ? Pour quelques heureux, combien fait-elle de malheureux et d’humiliés ? Son développement répond-il à une saine émulation ou bien à d’autres enjeux ? Bref, la liste des interrogations est bien plus longue et nous sortons un peu du débat initial.