Bien que spécialisé dans le ju-jitsu, je pratique, j’aime et je me passionne aussi infiniment pour le judo. Comment pourrait-il en être autrement avec l’hérédité qui est la mienne ? Et puis, un lien indéfectible existe entre le ju-jitsu que j’enseigne et le judo. Là aussi, comment pourrait-il en être autrement, d’un point de vue historique ?
Je voudrais revenir sur les discussions et les débats suscités par les résultats de l’équipe de France à l’occasion des derniers championnats du Monde de judo. Plus exactement sur l’absence de résultats, du coté des masculins, exception faite pour le phénomène Riner. Mais n’est-il pas le « Teddy qui cache la forêt » puisqu’en dehors de lui aucune autre médaille n’a été ramenée de Budapest chez les hommes ?
Pourquoi une nation comme la France qui compte autant de licenciés ne fait pas mieux ? A qui la faute ? Chacun fait part de son point de vue, il ne m’est pas interdit de donner le mien.
Mettre en cause le fonctionnement fédéral dans le domaine du haut-niveau ne me semble pas être juste. Grâce, entre autres, aux licences, subventions et autres sponsors les infrastructures sont nombreuses et adaptées, les entraîneurs compétents. Mais en est-il de même pour l’enseignement de base ? Le professeur étant le premier acteur de la formation d’un champion, le problème ne viendrait-il pas de là ? A-t’il à sa disposition les moyens de remplir sa mission ? Il ne s’agit pas de remettre en cause ses compétences dans leur intégralité ni encore moins sa motivation, mais peut-être les moyens dont il dispose. Je n’évoque pas les infrastructures de base, puisque notre pays ne manque pas de clubs, le moindre village possède un équipement dédié au judo (savoir si cela va pouvoir durer en raison de certaines mesures, est une autre question), mais justement, n’y a-t-il pas trop de dojos et pas suffisamment de professeurs bénéficiant du temps nécessaire pour acquérir et disposer d’une méthode d’enseignement complète.
Pour construire une maison, si beaux soient les matériaux qui permettront de l’élever ils ne serviront à rien si les fondations ne sont pas bonnes, si elles ne sont pas solides. Il en est de même pour les « hautes sphères » du judo, si la formation de base qui, par définition, ne peut s’acquérir que dans le premier dojo n’a pas été suffisante. (C’est volontairement que je ne qualifie pas la formation de mauvaise, mais d’insuffisante.)
Insuffisante parce que la fonction de professeur de judo a été dévalorisée ; il n’y a plus, ou si peu, de professeurs qui vivent uniquement de leur enseignement. Ils le font en plus d’un autre métier, et par conséquent – si motivés soient-ils – ils ne peuvent s’impliquer totalement (faute de temps, tout simplement) comme dans un métier à part entière, même s’ils sont pourvus d’une indiscutable conscience, celle-ci, par définition, là aussi ne peut être professionnelle, puisqu’ils ne sont pas – ou en partie simplement -professionnels. Certains enseignants d’ailleurs officient à titre complètement bénévole, ce qui est loin d’être un défaut, mais qui n’est pas non plus une systématique garantie d’implication optimale et donc de qualité. Là aussi il s’agit d’une question de moyens. Le judo s’est popularisé et à l’instar d’autres sports, dans les clubs municipaux, les cotisations sont accessibles à toutes les couches sociales, mais bien souvent le budget de l’association ne permet pas une rémunération du professeur en rapport avec les responsabilités à assumer, le temps à consacrer et les résultats escomptés. « Tout travail mérite salaire » (Y a-t-il des professeurs des écoles non-rémunérés, non formés, non accompagnés tout au long de leur carrière ?), à moins de considérer que la fonction qui est celle d’éduquer par le judo ne mérite pas le titre de métier ! Ce qui malheureusement est devenu le cas ! Et pourtant, il transite quand même beaucoup d’argent dans le monde du sport et des fédérations, ne serait-ce que la manne financière que représentent les licences ! Pour rivaliser au plus haut-niveau, peut-être faut-il commencer à donner des moyens décents au premier formateur, le premier professeur ?
Le judo n’est pas qu’un sport, il est aussi une « Ecole de vie », un moyen d’éducation pour tous et d’insertion pour certains ; il s’agit aussi d’une discipline de combat extrêmement riche sur le plan technique. Combien de mouvements techniques, si l’on additionne le travail debout et le travail au sol ? Combien de techniques mais aussi de combinaisons, d’enchainements ? Combien de méthodes d’entrainement doivent être enseignées et répétées pour qu’elles soient intégrées et maitrisées et qu’elles produisent leurs fruits ? Beaucoup plus que dans les autres sports de haut-niveau ! Alors les professeurs doivent développer des compétences techniques certes, mais aussi pédagogiques, faire preuve d’une solide motivation et surtout ils doivent concéder beaucoup de temps pour les maîtriser puis les enseigner dans leur intégralité. Et puis, parfois (et même souvent) viennent s’ajouter le poids des tâches administratives, d’incessantes modifications des règles d’arbitrage (ce qui est le cas pour les autres nations), mais aussi – ce qui est propre à notre pays – de nombreuses refontes des programmes d’enseignement.
Enfin, certains clubs trop pressés d’envoyer des élèves en compétition le font alors que les bases nécessaires à de telles épreuves ne sont pas encore intégrées, ce qui ne manque pas d’entraîner des abandons en cascade dus à des blessures physiques et phycologiques, privant peut-être le haut-niveau de compétences n’ayant pas eu le temps d’éclore.
En conclusion, Il est sans doute urgent de reconsidérer et de revaloriser la fonction de professeur en lui donnant tout simplement les moyens d’assurer parfaitement sa mission. Cela permettra de susciter des vocations et évitera de passer à côté de jeunes talents ne pouvant se contenter de leur passion pour vivre et n’hésiterons pas à se diriger vers d’autres cieux.
Briller au plus haut niveau impose sans doute une parfaite gestion de la base au sommet !