Sans blague…

Dans un récent entretien (Match du 20 août) le Président de la République a déclaré qu’il n’était pas possible de mettre un pays à l’arrêt. Sans blague ! C’est pourtant ce qui a été fait au mois de mars et je suis bien placé pour confirmer que c’est destructeur.

Surtout pour une toute jeune entreprise qui n’avait pas eu le temps de constituer des réserves, avec une propriétaire qui exigeait ses loyers, avec des mois de fermeture qui s’enchainaient (et donc des dettes de loyers qui s’amoncelaient) et l’absence totale de visibilité. Je n’oublie pas l’abandon de l’état et des assurances.

Je sais que tout cela appartient au passé, à un passé que certains jugent stérile et presque inconvenant  de ressasser ; facile à dire lorsque l’on n’est pas concerné directement par la violence de l’évènement. Tout cela ne s’efface pas quand les désastreuses conséquences sont vécues au quotidien.

Ne plus pouvoir exercer son métier est traumatisant et presque humiliant. Aux problèmes purement matériels s’ajoute l’aspect psychologique  qui ne peut qu’entraîner des effets négatifs sur le plan physique. Sans compter que presque six mois sans mettre le judogi, c’est un record personnel. L’impossibilité de pratiquer et d’enseigner un art qui a été toute ma vie et pour lequel j’ai sacrifié beaucoup, par choix et par passion, est un choc. Je n’oublie pas une douloureuse désorganisation de la vie privée.

Donc, par devoir et par nécessité, tournons-nous vers le futur, même s’il est incertain, surtout à quelques jours d’une rentrée qui s’annonce «spéciale».

Malheureusement, il est difficile d’évoquer l’avenir de notre société en générale et celui des arts martiaux en particulier, sans être perplexe. Depuis le mois de mars, nous sommes entrés dans  une autre vie, une drôle de vie que certains appellent « la vie d’après », je ne suis pas persuadé qu’elle sera meilleure !
Heureusement tous les secteurs d’activité, ne sont pas touchés de la même manière, mais je crains que le mien ait du mal à se remettre de cette crise, ou alors il faudra du temps.

Revenons à cet avenir pour lequel je ne peux éviter d’être inquiet, même si l’esprit combattif qui est le mien ne m’abandonne pas (mais pour quel combat et contre quel adversaire ?), certains évènements nous dépassent.

Manifestement je ne suis pas le seul à ressentir de l’inquiétude, puisque selon un sondage, 74% des français éprouvent ce sentiment au moment où j’écris ces lignes.

Je suis inquiet aussi pour la discipline que je pratique et enseigne depuis des décennies.  Et si, avec les autres arts martiaux et sports de combat, elle était reléguée au rang d’espèce « en voie de disparition » ? Je ne pense pas exagérer, je regarde les informations. On nous dit à longueur de journée qu’une deuxième vague semble inévitable. Imaginons un seul instant qu’une nouvelle fermeture administrative frappe certains établissements recevant du public ! Les salles de sports et surtout les dojos seront forcément concernés. Les clubs qui ont pu résister à la première vague, grâce à leur ancienneté et qui espéraient vivre une rentrée « normale », auront du mal à résister à un deuxième assaut.
Même en excluant le scénario d’une nouvelle fermeture,  l’inquiétude face au virus, entretenue par un climat anxiogène comme on n’en n’a jamais connu, entrainera inévitablement des abandons et un nombre beaucoup moins important de nouvelles inscriptions.
Qu’en sera-t-il de l’exception accordée à certaines disciplines par rapport au port du masque ? Avec cette obligation qui se généralise, l’exception tiendra-t-elle encore longtemps ?  Que se passera-t-il alors à ce moment là ? Sachant que cette mesure est tout simplement incompatible avec une pratique de nos activités.

Et puis, sera-t-il possible d’appliquer le protocole sanitaire imposé ? Est-ce que tous les dojos en auront les moyens humains et matériels ? Enfin, ne manquera pas de se poser un problème de responsabilité que certains élus ou dirigeants ne souhaiteront peut-être pas assumer.
Par leurs vertus éducatives qui ne sont plus à prouver, les arts martiaux ont pourtant plus que jamais, leur place dans notre société qui ne souffre pas que du virus.

A  titre personnel, pour le moment, aucune décision ne peut être prise. Comme beaucoup, je ne peux qu’attendre (Il est des moments de la vie où une reconversion professionnelle ne semble pas réaliste, quoique !).

Alors, il faudra patienter et se nourrir d’espoir, tout en ne pouvant éviter de ruminer à propos de ces derniers mois vécus – pour certains – avec un fort sentiment d’injustice, puisque, me concernant, il s’agit, ni plus ni moins, d’une perte d’exploitation qui n’est pas indemnisée. C’est violent, brutale et inacceptable.

Espérons aussi que la gestion actuelle de cette crise réponde à une logique et que la nouvelle vie qui nous est imposée et dans laquelle les barrières sociales sont devenues la règle ne détruise pas le « vivre ensemble ». Il me semble que la méfiance, pour ne pas employer le mot de peur, ait envahit le quotidien de bon nombre d’entre nous.
Il nous faudra donc être armés de patience, d’espoir et de courage (les samouraïs n’en manquent pas) mais aussi parfois d’une certaine perspicacité pour deviner vers quoi
« on nous conduit ».

eric@pariset.net

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