L’enchaînement des 24 techniques

Dans le livre bleu, récemment évoqué, il y a un enchaînement  que j’affectionne particulièrement. Je veux parler des « 24 techniques ». Je suis fier d’avoir été à leur origine.

Cette suite est représentative de l’art que j’enseigne, elle peut être utile pour démontrer un ju-jistu complet, efficace et spectaculaire, mais avant tout il s’agit d’un outil  de travail au service des enseignants et des élèves.

Les quelques lignes qui suivent présentent cet enchaînement, mais juste avant je voulais  évoquer le plaisir que l’on retire de telles créations.

J’ai toujours ressenti le besoin de créer. Non pas pour « inventer » des techniques, mais tout simplement essayer d’assembler harmonieusement celles qui appartiennent au très riche patrimoine de ma discipline et proposer ainsi  des « outils » qui permettent de varier les méthodes d’entraînement, que ce soit en matière d’efficacité en self-défense, d’épanouissement physique et/ou tout simplement pour se faire plaisir. Sans oublier la possibilité d’utiliser ces enchaînement pour faire connaître un art martial qui le mérite.

Dans la plupart des arts martiaux les enchaînements ont toujours existé, on les appelle les « kata », ce qui peut se traduire par « formes imposées ». Je n’ai jamais eu la prétention d’accoler cette appellation à mes créations, mais juste de participer au développement de mon art.

Présentation des « 24 techniques ».

Les 24 techniques ont été créées dans le but de proposer le plus possible de situations d’attaque et de mettre en face à la fois un maximum de techniques de riposte mais aussi  de combinaisons dans les enchaînements. Coups, projections et contrôles peuvent se marier  de façon presque infinie.

Pour faciliter la mémorisation, l’enchaînement se divise en huit séries de trois attaques : défenses sur tentative de saisie, sur coups de poing, coups de pied, saisies avec bras tendu, saisies « corps à corps », couteau, bâton et menaces de revolver. Dans les ripostes on retrouve  les grandes projections, les principaux coups et contrôles. L’accent devra être mis sur la liaison de ces éléments, la fluidité dont il faudra faire preuve pour une réelle efficacité.

Le plaisir éprouvé dans cette forme de  création – qui consiste à assembler harmonieusement les techniques – peut s’apparenter à celui que doit éprouver  un peintre à marier les couleurs, à celui d’un compositeur avec les notes de musique  ou encore à l’écrivain avec les mots.
Il y a trois phases : la recherche, la création et ensuite la satisfaction de la « chose » aboutie. Les trois sont enthousiasmantes.

L’enchaînement  pourra être utilisé tel qu’il est, mais il sera également possible de se servir de sa structure en proposant des attaques similaires avec des ripostes différentes au travers desquelles les élèves pourront laisser libre cours à leur imagination. En résumé, il constitue une base de travail que j’espère utile.
En illustration : la couverture et trois extraits du livre dans lequel est proposé cet enchaînement (parmi d’autres thèmes également développés).

Notre tenue

Cette semaine j’évoquais sur Facebook  « notre tenue », celle que nous portons lors des entraînements et qui nous manque terriblement depuis des mois.

Cela m’a donné l’envie de proposer la « rediffusion » d’un article qui me tient à cœur.

« L’habit ne fait pas le moine », un peu quand même.

Par facilité on l’appelle le « kimono », mais ce nom désigne plus spécifiquement un vêtement, très joli, par ailleurs.

Chaque art martial possède sa propre appellation pour désigner ce que l’on revêt dans un dojo ; parmi les plus répandues on trouve le judogi, le karategi, le keikogi. On évoque très peu le « jujitsugi ». Pour les principaux arts martiaux japonais  on peut le nommer « dogi ». En taekwondo, c’est le dobok. Quel que soit son nom, cette tenue est importante et ne saurait être négligée ; j’y vois plusieurs raisons.

D’abord, chaque discipline sportive possède son « uniforme » ; il ne viendrait pas à l’idée d’un footballeur de se rendre sur un terrain de foot en judogi.

Ensuite, grâce à sa texture, cette tenue est pratique et hygiénique. Elle est résistante aux différents assauts et autres sévices qu’on lui fait subir. Elle est hygiénique, elle permet d’absorber les litres de sueur produits lors des entraînements.

Cette uniformité possède également comme vertu d’effacer toute distinction sociale. On ne frime pas vraiment dans un « gi ». Nous sommes tous égaux pour ces moments d’étude et de partage.

Enfin, dans le combat rapproché elle évite une proximité qui peut  être rebutante pour certains et certaines.

Cette tenue, je la respecte au plus haut point ; n’est-elle pas mon principal « outil de travail » ? (quand on a du travail).  Elle est aussi  devenue au fil des années ma « deuxième peau ». Parfois elle a même été mon « bleu de travail », comme nous le verrons plus bas. Certains s’en affranchissent quelques fois,  c’est dommage, surtout dans des disciplines dites « à traditions ».

Au début des années 1970, à l’initiative du champion de judo néerlandais Anton Geesink, il y eut une tentative de kimonos de couleurs qui n’a pas vraiment connu le succès. Ensuite, au début des années 1990, le kimono bleu est apparu lors de certaines compétitions de judo, dans le but de faciliter la compréhension des combats. Dans le même esprit, j’ai moi-même opté pour cette couleur dans mes démonstrations et dans des ouvrages.

Quelques professeurs l’utilisent à l’occasion de leurs cours, cela a été mon cas durant un temps, pour « aérer » mes tenues de démonstration, à l’époque où j’en faisais. Une fois cette époque passée, je suis revenu à la pure tradition. Et puis un enseignant doit pouvoir se distinguer davantage par son savoir et son aura que par sa tenue.

Dans cet article j’évoque les arts martiaux, mais d’autres sports de combats possèdent leur propre tenue (boxe, lutte, etc.) et l’arborent fièrement.
Enfin, l’utilisation de la « tenue de ville » (adaptée) pourra être considérée comme un complément à l’étude de la self-défense, dans des cours spécifiques. Ce pourra être aussi une approche et une étape avant de rejoindre le monde des budos.

En illustration, un kimono ayant appartenu à Jigoro Kano !

La défense dans la ville

Dans cette période d’activité inexistante pour notre secteur et d’avenir incertain, il reste l’évocation de bons souvenirs. C’est ce que je propose aujourd’hui avec « La défense dans la ville «, en nous plongeant vingt-cinq-années en arrière.

Cela se passait en 1986. Au sein de la FFJDA la mise en place de la revalorisation du ju-jitsu portait ses fruits. Les stages de formation des professeurs se succédaient à un bon rythme, j’avais eu l’honneur et le plaisir d’encadrer les premiers, notamment à Chamonix en 1982.

Une commission technique fédérale avait été créée et de nombreuses sections ju-jitsu voyaient le jour avec chacune d’elles un nombre impressionnant de nouveaux adhérents. L’idée avait alors germé de proposer une série destinée à « vulgariser » le ju-jitsu en le présentant sous sa forme très utilitaire ; on m’avait confié la conception de vingt-six clips de six minutes, chacun destiné à passer à une heure de bonne écoute sur une grande chaîne de télé. Grâce à Christian Quidet, éminent journaliste sportif, c’est « Antenne 2 » devenu ensuite « France 2 » qui avait accepté le projet.

A chaque épisode était présentée une agression en extérieur, puis l’étude technique de sa riposte en dojo. Enfin nous retournions en extérieur pour voir l’agressé venir à bout de son agresseur et cela grâce à la riposte apprise et répétée.

Le tournage s’était étalé sur environ six mois, de septembre 1986 jusqu’en février 1987. Les épisodes étaient proposés pendant l’émission « Stade 2 » que l’on pouvait voir le samedi après-midi.

A l’occasion du lancement de la série, une émission spéciale avait été prévue, c’était au mois de mars 1987. Une bonne demi-heure de direct, juste avant la diffusion du premier épisode ; ça commençait bien.

Sur le plan purement pratique, l’idée était de montrer diverses formes d’agressions et différents profils « d’agressés ». Défenses sur coups de poing et coups de pied, sur saisies, au sol, contre armes. Tout cela présenté par des hommes, des femmes, des jeunes et des moins jeunes. Les séquences se déroulaient dans la rue, mais aussi en pavillon, en appartement, au DAB d’une banque, dans un square, à la terrasse d’un café (à l’époque ils étaient ouverts), etc. Sans oublier des scènes tournées dans le métro.

Malheureusement les téléspectateurs n’ont pu assister à la totalité des épisodes, la diffusion s’est arrêtée brutalement après le sixième épisode, pour des raisons qui restent obscures ; sans doute le succès remporté par l’émission dérangeait certains.

Dommage, en effet, Jean Pucci et son équipe de techniciens de l’image et du son avaient réalisé une série de très haute qualité. Grâce aux réseaux sociaux j’ai pu conserver d’excellents contacts amicaux avec le réalisateur.

la photo d’illustration est extraite d’un numéro de « Karaté-Bushido » de l’année 1987

Ukemi : savoir chuter !

Un petit rappel sur l’utilité de bien savoir chuter… Ne serait-ce que pour mieux pouvoir se relever !

Dans la pratique de la plupart des arts martiaux et notamment en ju-jitsu, apprendre à chuter est une nécessité absolue. C’est également utile dans la vie courante. C’est une sorte d’assurance. Certes, nous ne tombons pas à longueur de journée, mais beaucoup de fâcheuses conséquences pourraient être évitées avec un minimum de maîtrise du « savoir se rétablir » ; sur de la neige, de la glace ou tout simplement après s’être « emmêlé les crayons ».

Lors des entraînements, il est indispensable de savoir chuter, sans cela l’apprentissage et le perfectionnement dans le travail des projections sont impossibles.

Certains y sont réfractaires, mais peut-être faut-il appliquer un apprentissage progressif ? Tout en sachant que malgré tout la meilleure façon d’appendre à chuter, c’est de…chuter.

On distingue les chutes sur l’arrière et les chutes sur l’avant.

Dans chacune de ces catégories, il y a la chute qui se pratique sur un tatami et celle « de situation », c’est à dire en extérieur, si par malheur elle survient sur un sol dur, par accident, maladresse ou causée par une agression. Dans cette dernière situation il faudra tout à la fois se relever sans dommages et être opérationnel immédiatement.

Dans les deux cas de figure (dojo et « situation ») il faudra préserver deux parties essentielles, la tête et les articulations des membres supérieurs. Pour la tête il suffira de « la rentrer », menton dans la poitrine. Pour les bras, sur un tatami on frappera au sol « bras tendus » paumes de main vers le sol, pour à la fois protéger les articulations et repartir l’onde de choc. Sur un sol dur on se limitera à ce que les bras soient tendus vers l’extérieur et on évitera de frapper le sol. Si nous sommes bousculés et que l’on perd l’équilibre sur l’arrière, on essaiera de rouler sur une épaule en ayant préalablement pliée une jambe, pour se retrouver le plus vite possible debout face à un éventuel adversaire (photo 1).

Concernant la chute avant, il faudra se servir du bras avant comme d’une roue et d’un amortisseur. Là aussi il sera indispensable de protéger la tête avant tout et ensuite les articulations et notamment l’épaule. En dojo après avoir roulé, on se réceptionnera jambes tendues et parallèles. Dans la réalité à la réception, on pliera une jambe pour se retrouver face à l’endroit d’où l’on vient, face à un agresseur qui nous aurait poussé dans le dos (photo 2).

Tout cela est un peu technique, rien ne remplace le tatami à condition de pouvoir y accéder. Ce qui, nous l’espérons tous, arrivera un jour ou l’autre, enfin nous le souhaitons et l’espérons vivement.
(Les photos sont extraites du livre « ju-jitsu-Défense personnelle ». Édition parue en 2000.)

« Essentiel »

Ce qui est certain, c’est que ce n’est ni de la faute des bistrots, ni des restaurants, ni des cinés, ni des théâtres, ni des salles de sport, ni des dojos, si nous sommes contraints à un troisième confinement !

Ces quelques lignes sont à nouveau l’expression non pas d’un découragement, mais d’un sentiment d’étonnement, pour ne pas dire davantage. Pour plusieurs raisons déjà maintes fois évoquées, mais de plus en plus difficiles à supporter, notamment dans notre secteur.

D’abord pour les professeurs, surtout lorsqu’il s’agit de la principale activité professionnelle. L’impossibilité d’exercer son  métier pendant plus d’une année n’est pas sans conséquence. Ce n’est pas non plus sans conséquences pour les élèves privés d’une éducation physique et mentale (dont les bienfaits ne sont plus à prouver ) et de l’apprentissage de techniques qui permettent d’acquérir une inestimable confiance en soi et les moyens de pouvoir éventuellement faire face à une agression.

L’étonnement devient de plus en plus difficile à supporter quand en même temps nous assistons à quelques aberrations, notamment dans les transports, obligeant un nombre important de gens à s’affranchir quotidiennement des « gestes barrières » au motif qu’il est indispensable de pouvoir se rendre sur son lieu de travail, alors que pour les mêmes gestes barrières  d’autres professions sont proscrites.

Le ressentiment est d’autant plus profond quand profession rime avec passion et que chaque jour, chaque semaine, chaque mois qui passent abiment un peu plus nos arts martiaux.

Sans aucun doute,  un jour la reprise se fera. Mais plusieurs questions s’associent  à cette affirmation. D’abord quand ? Ensuite dans quel état ? Sur le plan quantitatif, ce seront plusieurs années de retour en arrière. Financièrement, que ce soit pour les fédérations, les clubs et les professeurs, ce sera compliqué, pour le moins. A cela s’ajoute l’interrogation par rapport à la motivation. Il faut espérer qu’elle sera toujours là, tant au niveau des élèves que des acteurs qui entourent le monde des arts martiaux et plus largement de tout le sport. Un exemple : est-ce que l’envie d’être professeur d’arts martiaux  animera toujours un nombre suffisant de pratiquants, permettant ainsi la pérennité de nos disciplines ? La motivation nécessaire à l’acquisition  de diplômes qui demandent une importante préparation sera-t-elle toujours au rendez-vous ? En clair, existera-t-il encore l’envie de devenir professeur, face à un avenir incertain ? (Concernant le virus, certains commencent à évoquer la possibilité d’une quatrième vague.)

Et puis, comme indiqué plus haut, pour beaucoup de professeurs, l’enseignement rime avec passion. La passion de la transmission, de l’éducation, et même de la création ; en être privé depuis si longtemps et sans horizon est tout simplement destructeur sur bien des plans.

En aucun cas il ne s’agit de se montrer défaitiste, mais juste réaliste.  Il ne faut pas se voiler la face, ce sera difficile. Ne pas l’ignorer est aussi une façon de bien préparer un retour sur les tatamis que nous espérons tous le plus proche possible.

A plusieurs reprises je n’ai pas manqué d’insister sur le fait que nous sommes des combattants, « on ne lâche rien » selon l’expression consacrée, mais sans cesser de faire remarquer que pour combattre il faut un adversaire identifiable et un arbitre compétent ! Est-ce le cas ?

Ces quelques paragraphes paraîtront peut-être redondants à quelques-uns qui ne sont pas concernés, mais ils souhaitent participer, malgré le peu d’armes dont nous disposons, à faire en sorte que nos disciplines ne soient pas sacrifiées. Elles sont d’une grande utilité, elles sont « essentielles » à une vie meilleure en société, elles ne sont pas qu’un simple loisir (ce qui est important aussi).

Petite philosophie des arts martiaux

Voilà un petit livre empli d’une grande sagesse.  Je ne peux que le recommander aux pratiquants d’arts martiaux, mais aussi à tous les autres. Ils découvrirons  – si ce n’est déjà fait – que ces disciplines ne se limitent pas au développement physique et à la science du combat.

Il y a quatre ans, sur Facebook et sur mon blog, je lui avais déjà consacré un article, je me permets de le publier à nouveau. Il est toujours d’actualité et peut-être encore davantage.

« L’auteur de ce livre édité en 2006, André Guigot, Docteur en philosophie, explique que l’éducation du corps passe par l’éducation de l’âme, corps et âme étant inséparables. Mais il est aussi question d’un travail en harmonie avec son entourage. « L’amour de la sagesse ne s’oppose pas à l’art du combat. Dès l’origine, que l’on peut situer en Inde puis en Chine il y a plus de cinq mille ans, l’histoire des arts martiaux se confond avec une recherche de paix et d’harmonie avec soi-même et le monde extérieur ». Ainsi commence ce recueil rempli d’informations et de sagesse.

Cela nous rappelle forcément le grand principe de Jigoro Kano qui, au travers de son judo (un ju-jitsu féodal adapté aux évolutions de la société), proposait une méthode d’éducation physique et mentale. A l’aide d’exercices corporels représentant des techniques de combat, l’objectif tend à renforcer son corps non pas pour devenir meilleur que les autres mais devenir meilleur soi-même, ce qui est une belle nuance. L’étude de techniques de défenses (efficaces) était un prétexte à une quête plus large.

Sur le thème de la violence, l’auteur nous explique que celle-ci n’est pas un état naturel chez l’homme, mais qu’elle découle d’une frustration et qu’une pratique sereine et apaisée des techniques de combat participe à la disparition de l’agressivité. De plus, il affirme que la violence et la bêtise sont contraires à l’art du combat. Il évoque les hiérarchies superficielles qui perdent leur sens lorsqu’on revêt une tenue identique pour tous. Le respect qui ne doit pas être le fruit de la crainte mais celui de la reconnaissance. Les grades, avec cette belle phrase : « C’est l’homme, ou la femme, qui donne de la valeur à son grade, pas l’inverse ». Il évoque « l’art de l’évasion » (l’esquive) et celui de la souplesse (il s’agit là de la souplesse comportementale – l’utilisation de la force de l’adversaire) avec la présentation de l’aïkido, de l’aiki-jitsu et du judo. Le comportement en dojo, dans lequel « on n’entre pas comme dans un magasin, ni tout à fait comme dans un centre d’entraînement sportif ». La compétition, qui n’est pas indispensable et qui, pour les compétiteurs, doit être considérée comme un simple moment dans la vie. L’esthétisme, que l’on peut associer à une parfaite maîtrise physique et donc à l’efficacité, ne serait-ce que par la précision que cette qualité impose. Le plaisir dans la pratique et dans la satisfaction de sa propre évolution.

Bien d’autres thèmes sont abordés, tous plus intéressants les uns que les autres, comme l’émergence de certaines pratiques dites « modernes ».

Tout aussi instructives sont les nombreuses citations égrainées au fil des chapitres comme ce proverbe d’Okinawa (l’île qui a vu naître le karaté) : «La douleur fait penser l’homme. La pensée rend l’homme sage. La sagesse rend la vie acceptable ». On ne peut mieux conclure un article ! Bonne lecture. »

Comme promis…

Henri Courtine

Comme promis un nouvel hommage, plus personnel, cette fois !

Dissocier Henri Courtine de mon père est impossible, le contraire l’est tout autant.
Mon chagrin en a été que plus important à l’annonce de sa disparition.

Il a été un champion au palmarès exceptionnel, son judo l’était tout autant, grâce à un style d’une grande pureté. Spécialiste, entre autre, des balayages, ce qui lui avait d’ailleurs valu la « une » d’un journal qui n’avait pas manqué d’humour : Courtine le « roi des balayeurs ».

Il y a eu le champion, le professeur, mais aussi le dirigeant qui a occupé des postes prestigieux en France, mais aussi au niveau international.

Cette carrière force l’admiration. Mais pour moi qui ai eu la chance de le côtoyer dans la sphère privée, il représente bien plus que tout cela. Celui qui fut l’adversaire de mon père sur les tatamis, mais aussi et surtout son meilleur ami dans la vie est devenu au fil des années mon « père spirituel ».

Nous avons eu un long parcours en commun.
Je l’ai connu alors que j’étais tout jeune enfant à Beauvallon-sur-mer, sur les bords de cette Méditerranée qu’il aimait tant. Précisément au camp de vacances du Golfe bleu où il dirigeait chaque été avec mon père et Anton Geesink le stage international.

Ensuite il a été mon professeur à la section judo du collège de Saint-Michel de Picpus à Paris. Cela me vaut d’avoir mes ceintures de couleur signées de la main de Bernard Pariset (naturellement mon premier et principal professeur) et de celle d’Henri Courtine (ils ne doivent pas être nombreux sont qui ont eu cette chance et cet honneur).

Puis, alors qu’il exerçait la fonction de Directeur technique national et qu’il avait validé la remise en valeur du ju-jitsu initiée par mon père, j’ai participé à l’élaboration de nombreux documents techniques sous sa responsabilité.

Ensuite nous nous sommes retrouvés sous les couleurs de la section judo du Stade Français. Lui président  et moi combattant.

Quand à la fin de sa carrière il a été nommé directeur du CREPS de Boulouris, nous avons eu à nouveau l’occasion de nous retrouver en Provence lorsque je participais à l’encadrement de stages fédéraux.

Je n’oublie pas les fois où j’ai été invité à passer quelques semaines de vacances en sa compagnie et celles de Micheline son épouse et de sa fille Catherine, à Sainte-Maxime, toujours dans le Var. Notamment en 1969, ce qui nous a valu d’assister ensemble en direct, le 21 juillet précisément (le jour de mes quinze ans) « aux premiers pas sur la Lune ».

Nous avons pu également faire quelques balades à cheval dans le beau département de l’Yonne, lorsqu’il venait passer quelques jours dans notre famille.

D’ailleurs si l’équitation était devenue la deuxième passion de mon père c’est grâce à Henri Courtine qui l’avait « trainé » un jour dans un ranch à Saint-Aygulf, pour occuper les « soirées d’après judo » du golf bleu. Il n’imaginait pas qu’ensuite, en plus de la direction de son club de la Rue des Martyrs à Paris, mon père allait créer un centre équestre à deux heures de la capitale.

A l’heure actuelle nous avons une propension à tourner trop rapidement les pages, à oublier nos aînés et ce qu’ils nous ont légué, faisons en sorte qu’il n’en soit pas de même pour le judoka qui m’a enchanté, le dirigeant que j’ai respecté et l’homme que j’ai admiré !

Sur la photo d’illustration (scène de la vie quotidienne au camp de vacances du Golfe bleu à Beauvallon-sur-Mer) déjà publiée dernièrement mais qui « colle » parfaitement à l’article, de gauche à droite : Mon père, Madame Courtine, Catherine Courtine, Henri Courtine, ma mère, votre serviteur et Massanori Fukami.

Recueil de contes !

Voilà un merveilleux recueil de contes, tous plus enrichissants les uns que les autres. Humour et leçons de vie pour le plus grand plaisir des lecteurs.
Ci-dessous un « petit échantillon » avec une courte histoire qui confirme le pouvoir de la dissuasion. (Cette histoire à déjà été proposée, il s’agit en quelque sorte d’une rediffusion, mais franchement on ne s’en lasse pas.)

Trois mouches

Dans une auberge isolée, un samouraï est installé, seul à une table. Malgré trois mouches qui tournent autour de lui, il reste d’un calme surprenant. Trois rônins entrent à leur tour dans l’auberge. Ils remarquent aussitôt avec envie la magnifique paire de sabres que porte l’homme isolé. Sûrs de leur coup, trois contre un, ils s’assoient à une table voisine et mettent tout en œuvre pour provoquer le samouraï. Celui-ci reste imperturbable, comme s’il n’avait même pas remarqué la présence des trois rônins. Loin de se décourager, les rônins se font de plus en plus railleurs. Tout à coup, en trois gestes rapides, le samouraï attrape les trois mouches qui tournaient autour de lui, et ce, avec les baguettes qu’il tenait à la main. Puis calmement, il repose les baguettes, parfaitement indifférent au trouble qu’il venait de provoquer parmi les rônins. En effet, non seulement ceux-ci s’étaient tus, mais pris de panique, ils n’avaient pas tardé à s’enfuir. Ils venaient de comprendre à temps qu’ils s’étaient attaqués à un homme d’une maîtrise redoutable. Plus tard, ils finirent par apprendre, avec effroi, que celui qui les avait si habilement découragés était le fameux Miyamoto Musashi.

Le ne-waza (le travail au sol)

Dernièrement j’ai évoqué Shozo Awazu – personnage incontournable du judo français –  à propos d’un livre paru en 1959. Cet ouvrage  traite d’un domaine d’une richesse exceptionnelle et d’une incontestable efficacité : le ne-waza (le travail au sol). Il est utilisé dans de nombreuses disciplines. Son étude et sa pratique sont passionnantes pour bien des raisons.

Je propose un article déjà publié sur mon blog ; il vante les mérites d’un secteur que j’apprécie tout particulièrement. En outre, cela permet de renouer avec des articles plus techniques, en attendant de pouvoir renouer la ceinture.

Le travail au sol constitue un domaine qui possède une richesse technique exceptionnelle, dans lequel il est possible de s’exprimer très longtemps, il offre la possibilité d’aller au bout de l’effort et enfin il n’est pas dénué d’un fort aspect ludique, ce qui ne gâche rien.

L’objectif n’est pas de détailler sa composition technique mais d’évoquer  ce que j’affectionne dans ce domaine. Il est malgré tout utile de remarquer que le panel technique du travail au sol est impressionnant : clés, étranglements, immobilisations et toutes les possibilités de combinaisons entre ces familles de techniques.

Les détracteurs du travail au sol se plaignent d’une promiscuité qui peut paraître gênante, mais aussi du fait que l’on n’est jamais au sol dans la réalité. Les plus présomptueux affirment qu’ils ne laisseront pas le loisir à un agresseur de venir au contact. D’autre part, certains (sans l’avouer) trouvent qu’il n’est pas agréable, à l’entraînement, d’être souvent « en dessous », ce qui arrive lorsque l’on n’est pas à l’aise dans ce secteur. On touche là à un cercle vicieux dans la mesure où moins on le pratique, moins « on est bon », et moins « on est bon » moins on l’aime et donc moins nous sommes enclins à le pratiquer. Il n’y a qu’à renverser le problème en pratiquant davantage.

Je reviens sur les points forts de ce domaine, ceux que j’apprécie particulièrement. En plus d’une incontestable efficacité si l’on est amené au sol, il y a un engagement total, la possibilité de s’y exprimer même en avançant dans l’âge et enfin l’aspect ludique.

Développons ces différents points. L’efficacité en matière de self-défense d’abord : elle est incontestable si par malheur on se retrouve à terre. En judo, bien maîtriser ce domaine ne peut que renforcer l’efficacité générale ; une autre fois, il sera intéressant de développer cet aspect.

A l’entraînement, le ne-waza  offre  un engagement complet dans la mesure où il est possible d’aller au bout de l’action et de l’effort, sans atteinte à l’intégrité physique du partenaire (si les deux respectent les règles préétablies). Il s’agit là d’une grande satisfaction.

Il est possible de s’y exprimer longtemps, même en avançant dans l’âge, puisque la stratégie et la technique sont plus importantes que la vitesse : « Le serpent n’avale pas la grenouille en une fois ».

Quant à l’aspect ludique, il est incontestable. Les joueurs d’échecs affirment qu’ils y trouvent un parallèle. Il est intéressant, par exemple, de pouvoir préparer plusieurs « coups à l’avance », surtout dans la mesure où la vitesse n’est pas déterminante (à l’inverse du travail debout). On peut donc tranquillement tendre des pièges et malicieusement, comme le chat joue avec la souris, prendre son temps jusqu’à ce que le partenaire tombe dans la toile d’araignée.

Si pour le néophyte le ne-waza n’offre pas beaucoup d’intérêt côté spectacle, en revanche un pratiquant confirmé appréciera l’évolution d’un combat, et pas seulement sa finalité, mais les moyens  et la stratégie utilisés afin d’y parvenir.

Ce domaine mérite l’appellation de « science du combat ».

Souhaitons que très vite nous puissions à nouveau y consacrer une grande partie de nos entraînements.

eric@pariset.net

Matériel, psychologie et physique

N’étant ni psychothérapeute, ni médecin, ni scientifique (mes connaissances se limitant principalement à la « science du combat »), je me contenterai  donc de l’exposition de sentiments et de légitimes ressentiments provoqués par la perte d’un outil de travail, d’un travail et par l’interdiction de pratiquer et d’enseigner une discipline éducative. Cela va faire un an que dure cette situation invraisemblable. Que de dégâts, de désastres pour revenir à la case départ avec l’annonce un troisième confinement « très serré » (le choix des mots n’est jamais anodin) !
Les confinements et autres couvre-feux sont pour tous une épreuve, mais lorsqu’à ces enfermements s’ajoute la suppression de votre travail, l’addition est lourde.

Le présent est terrifiant et l’avenir l’est tout autant.

Il y a la pandémie et ses victimes directes mais il y a aussi ce que l’on appelle depuis bientôt un an les dommages collatéraux avec bien d’autres victimes. Certaines personnes  sont à la limite de la rupture économique et de l’effondrement psychologique (pour beaucoup, c’est déjà acté). Qui accepterait d’être privé de revenu depuis bientôt un an, tout en ignorant l’issue de ce cauchemar?  Certes, il y a quelques aides de l’État, mais elles ne sont pas à la hauteur des préjudices, quant aux assurances elles sont aux abonnés absents. Ceux qui ont subi une perte d’exploitation doivent s’en passer !

Cela va faire un an que l’on souhaite du courage à ceux qui sont en difficulté, qu’on leur demande de la patience, qu’on leur impose de la résilience.
Du courage, aucun « entrepreneur » n’en manque, je dirais presque par définition. L’entrepreneur n’est démuni ni de courage, ni d’énergie. Ces deux qualités sont indispensables, quel que soit le secteur d’activité. Il y a une prise de risque inévitable dans l’entreprenariat. Ceux qui s’y lancent le font en connaissance de cause, ils savent qu’ils devront compter sur leur compétence, leur énergie (et parfois un peu de chance). S’ils échouent, ce n’est qu’à eux-mêmes qu’ils devront s’en prendre ; c’est un peu la règle du jeu. Mais dans la situation actuelle, les dés sont pipés. Il ne s’agit ni de courage, ni d’énergie, ni de compétence, puisque nous sommes face à une interdiction, il s’agit juste de résistance. Il est indispensable de ne pas en être dépourvu.

Quand ça va mal, le petit entrepreneur se retrousse les manches, il se remet en question, il cherche des idées, il innove, mais dans la situation actuelle, c’est face à un mur qu’il se trouve. Certains ont essayé et continuent courageusement avec quelques palliatifs, comme dans la restauration avec le « click and collect », mais de leurs propres aveux le résultat est dérisoire, cela ne peut  s’inscrire dans la durée. Tout comme les cours d’arts martiaux en vidéo, ils sont louables et permettent de garder le contact, mais bien insuffisants par rapport à la raison d’être de nos disciplines, c’est à dire un échange qui permet de s’exprimer et de progresser.

Si l’aspect matériel est prédominant, dans tous les secteurs (qui pourrait supporter d’être privé de revenu depuis presque un an ?) la privation de l’exercice d’un métier que l’on aime est également traumatisante. Les sentiments de marginalisation et d’inutilité sont terrifiants.

Dans les métiers qui ont pour objet l’éducation, qu’elle soit mentale ou physique, ne plus pouvoir transmettre provoque un profond sentiment de gâchis. Pouvons-nous durablement nous passer de  ce complément d’éducation (l’éducation physique) qui est aussi une forme de culture ? Certes, les écoles, – pour le moment – restent ouvertes, mais personne n’ignore les bienfaits de la pratique sportive que l’on appelait avant  la « culture physique » ! Elle n’est pas simplement utile sur le plan corporel, Jigoro  Kano ne voulait-il pas que le judo soit avant tout une méthode d’éducation physique et mentale ?

Enseigner c’est transmettre, mais c’est aussi nouer des relations sociales qui sont indispensables pour le bon fonctionnement de la société.

Enfin, pour un pratiquant d’arts martiaux, ne plus pouvoir fouler les tatamis ni revêtir la tenue que l’on appelle par facilité le kimono, sur une si longue période, est difficilement acceptable. A fortiori, pour ceux qui, comme moi, ont donné leur vie à leur art, pour qui enseigner est une seconde nature et le kimono une seconde peau.

On nous dit qu’il ne faut rien lâcher, que nous sommes des combattants, qu’il faut se battre. C’est vrai, mais comment combattre pieds et poings liés ? Imaginons un combat dans de telles conditions, ou tout simplement un affrontement au cours duquel un seul protagoniste aurait le droit d’attaquer. C’est un peu les impressions qui émanent de cette situation. Les seules armes à notre disposition sont les mots pour s’insurger et dénoncer cette interdiction.

Bien sûr, un jour ou l’autre nous pourrons pratiquer à nouveau, tout du moins nous l’espérons, mais cela ne dépend pas de nous, et c’est là tout le problème. S’il était juste question de volonté, les pratiquants d’arts martiaux n’en n’étant pas dépourvus, le problème n’en serait pas un, mais ce n’est pas le cas. Dans cette situation précise, la suite nous échappe, elle ne dépend ni de notre volonté, ni de notre pugnacité, il nous reste la possibilité de dénoncer  – sans cesse – des décisions qui semblent incohérentes. Il est quand même question de la survie de  « trésors  éducatifs » qui nous ont  été légués,  ils ont su traverser les siècles, il ne faut pas les laisser se faire massacrer.

A tout cela on nous répond parfois qu’il s’agit d’une crise sanitaire sans précédent, que ces arguments sont bien dérisoires (et parfois déplacés) face à l’ampleur de la pandémie. Mais beaucoup s’accordent, y compris au sein du corps médical, pour admettre  que cette situation ne peut plus durer ! Que les dégâts collatéraux, dont l’ampleur nous est cachée, commencent à être monstrueux. Combien faudra-t-il déplorer de faillites d’entreprises et personnelles, de sévères dépressions entraînant l’irréparable, sans parler d’un avenir plus au moins violé ?
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