C’est compliqué de faire simple

Cette contradiction n’en est pas vraiment une. Mon professeur (qui était aussi mon père) me répétait souvent : « divise par deux l’intensité technique de ce que tu prévois d’enseigner et ça risque encore d’être dix fois trop difficile ».

Certes, il s’agit d’une formule, elle vaut ce que valent les formules ; elles sont là pour forcer le trait. Il n’empêche que la première qualité d’un enseignant est de se mettre au niveau de ses élèves et que cette évidence n’est pas toujours la règle.

Parfois il y l’envie de « montrer trop » sans que les étudiants aient le temps de digérer, ou le besoin de montrer « trop difficile » sans que l’élève possèdent les outils indispensables à l’assimilation ; ou encore les deux. Avant d’apprendre à plonger, il faut savoir nager.

Faire simple dans le contenu et dans l’expression. L’essentiel n’est pas ce que l’on montre, mais ce que les élèves retiennent.

Maintenant, il n’est pas toujours évident de satisfaire tous les niveaux lorsqu’ils sont rassemblés dans un seul cours. Surtout si l’effectif n’est pas assez important pour créer des ateliers. Il faut pourtant que chacun travail son programme.

Se trouver dans une telle situation, et la gérer, demande un minimum d’organisation. J’y reviendrai à l’occasion d’un autre article.

Aujourd’hui, imaginons un groupe de débutants. C’est sans doute un des cours les plus difficiles à dispenser. Enseigner à des gradés, pour peu que l’on possède un bagage technique correct, est plus facile et d’une certaine façon plus gratifiant.

Tout au long de ma carrière j’ai éprouvé de plus en plus de plaisir à initier et à enseigner à des personnes qui débutent. D’abord ils sont « vierges » de toutes (éventuelles) mauvaises habitudes, ce qui n’est pas rien et ils ont soif de découvertes. Ensuite, il faut s’astreindre à une indispensable patience, trouver les « trucs et astuces » pédagogiques qui facilitent l’acquisition. Tout au long de la leçon, il faut faire preuve d’un savant dosage dans les intensités techniques et physiques. Simplifier et non pas compliquer. S’adapter à l’âge, à la condition physique (surtout si elle est inexistante ou presque).

Les débutants d’aujourd’hui seront les confirmés de demain, donc le professeur a une responsabilité immense. Il ne doit pas les décourager avec un enseignement inadapté.

J’ai connu des professeurs qui avouaient ne pas avoir les clefs et la patience nécessaires pour s’occuper des débutants. Chacun possède ses spécialités, mais si un jour on veut enseigner à des ceintures noires, il faut d’abord que les ceintures blanches aient été bien formées.

Quant aux confirmés, il faut être en mesure de ne pas les lasser et leur donner l’envie de persévérer.

S’adapter et donc ne pas décevoir, ne pas décourager ceux qui ont fait l’effort de franchir les portes d’un dojo. Déjà, avant l’inscription il faut découvrir précisément ce que la personne est venue chercher et le cas échéant la réorienter, chaque art martial possédant ses spécificités. Et puis, si l’enseignant et le dojo doivent plaire à l’élève, l’élève doit aussi plaire au dojo.

En conclusion, s’il est essentiel de s’occuper de tous les échelons, il est indispensable de bien s’occuper des débutants. Un dojo, c’est comme une population, s’il n’y a pas de renouvellement, c’est fatalement l’extinction.

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Sutemi-waza

A l’occasion d’une une semaine calme, je propose une rediffusion.

Ils sont l’illustration parfaite du principe de non opposition et de celui de l’utilisation de la force de l’adversaire.

Dans notre langue, nous les appelons les « techniques de sacrifices », en effet, pour les appliquer il faut s’effacer devant l’adversaire en se mettant volontairement au sol, sur le dos ou le flanc : se sacrifier.

De fait les sutemis sont praticables par tous les gabarits et notamment les plus faibles. Par conséquent, une fois « bien maîtrisés », leur efficacité est redoutable. Tomoe-nage la fameuse « planchette japonaise » est le plus célèbre d’entre eux.

Dans leur exécution, non seulement on ne s’oppose pas à la force de l’adversaire, mais on y ajoute la nôtre. Même avec peu de toute puissance, il suffit de « conduire » celle de l’opposant. A partir de là, « tout le monde peut faire tomber tout le monde ». Nous sommes au cœur de l’efficacité du ju-jitsu tel qu’il doit être enseigné et pratiqué.

Certes sans action offensive de l’adversaire, il est impossible d’appliquer ces principes d’addition de force, mais le ju-jitsu (bien présenté) a toujours revendiqué le titre de méthode de défense et non pas d’attaque.

En judo, avec l’avènement de la compétition et des catégories de poids, certaines projections ont dû être adaptées, c’est le cas des sutemis ; dans la mesure où, à technique (presque) équivalente et à poids égal, les principes de base n’ont plus les même effets, y compris celui de la surprise pour la personne qui en agresse une autre et qui n’envisage pas que celle-ci puisse se défendre en utilisant de telles techniques.

Le meilleur exemple d’adaptation, pour lequel on peut presque utiliser le terme de nouvelle technique (apparue à la fin des années 1960), s’appelle tomoe-nage avec l’apparition du yoko-tomoe-nage. Cette dernière forme ne trouvant sa raison d’être que dans le randori et le combat de judo. Il n’existe pas vraiment d’applications en self défense. Une analyse approfondie de cette belle technique pourra faire un beau sujet par la suite.

Il y a donc des différences techniques mais aussi d’utilisation selon que l’on se trouve dans le cadre de la (self) défense ou bien dans celui du judo. Ne serait-ce que dans la rue, sur un sol dur, nous nous placerons sur le dos qu’en dernière analyse, lorsque la poussée est tellement forte que nous sommes déjà en déséquilibre et que l’application de techniques comme hiza-guruma, par exemple, qui nous laisserait debout, n’est plus possible. A l’inverse, en judo les sutemis peuvent être pratiqués directement, comme toute autre technique.

Il existe aussi les « makikomi », ils sont un peu les « cousins » des sutemis. Littéralement, il s’agit de techniques d’enroulement. Le corps de Tori venant au contact de celui d’Uke pour l’entraîner jusqu’au sol. La différence essentielle réside dans le fait que pour les sutemis, il y a séparation des corps durant l’action et que pour les makikomi, c’est l’inverse. L’efficacité se réalisant dans le plus étroit contact entre les deux protagonistes (au profit de Tori, évidemment, qui emmène le corps d’Uke avec le sien dans une synergie rotative). Le point commun étant que dans les deux cas l’idée est d’entraîner l’adversaire au sol en y allant volontairement.

La maîtrise de ces « techniques de sacrifices » requiert de la patience, comme beaucoup d’autres, mais leur parfaite exécution – qui donne l’impression d’agir sans aucun effort et même de façon un peu magique – procure peut-être une joie supérieure à celle ressentie dans la réalisation d’autres projections. C’est en tout cas un sentiment que je ne pense pas être le seul à partager.

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Bloc-notes post rentrée

A mi-parcours du premier trimestre de la saison en cours, voici quelques réflexions et constats.

La rentrée.
Après les dégâts  causés par la crise sanitaire, l’année dernière j’ai pu renouer avec une (petite) activité régulière à l’IME de Niort. Ce mois de septembre célébrait le premier anniversaire d’une nouvelle aventure. La rentrée, c’est le plaisir de retrouver ceux qu’on appelle « les anciens ». Ils ont envie de continuer, je ne peux que les remercier pour leur fidélité et saluer leur détermination.  Malheureusement, comme chaque année, on constate des abandons. Les raisons sont diverses, parfois on ne fait pas ce que l’on veut. Il n’est pas toujours facile de tout concilier. Par contre, lorsqu’on a arrêté, il n’est pas impossible, ni interdit  « de reprendre », même si ce n’est pas évident de remettre le pied à l’étrier. On ne sera jamais déçu d’avoir fait preuve de détermination.

La rentrée, c’est aussi le moment d’accueillir de nouveaux élèves. Accueillir est le bon mot. Le rôle du professeur est important, mais celui des élèves déjà inscrits, l’est aussi. La tradition qui consiste à aider ceux qui débutent doit perdurer, ne serait-ce qu’en souvenir d’un temps où nous étions des novices bien contents de bénéficier de l’aide des « anciens » que nous allions d’ailleurs devenir. Dans certaines disciplines, les débuts ne sont pas toujours évidents, parfois il faut se « discipliner » pour ne pas lâcher.

Self défense
Déjà évoquées dans un précédent long article, voici quelques réflexions sur un thème qui est source de débats, entre ceux qui pensent que cela ne sert à rien d’apprendre à se défendre et ceux qui ne sont pas avares d’auto satisfactions et bien d’autres façons de penser. Je reviendrais juste sur le fait que nul n’est invincible, mais qu’à l’inverse, il existe beaucoup d’exemples de personnes qui se sont sorties d’affaires grâce à une pratique régulière dans un dojo. Affirmer que ce que l’on apprend dans ce lieu ne sert à rien, c’est remettre en question des siècles d’étude et de pratique des « sciences du combat ». Et puis, il y a plusieurs sortes d’agressions et de situations, on ne tombe pas toujours sur des « professionnels » de la bagarre, souvent il s’agit d’embrouilles qui peuvent dégénérer. D’autre part, n’y a pas deux situations identiques. L’invincibilité n’existe pas, mais apprendre à se défendre est loin d’être inutile. A la condition d’être avec les bonnes personnes.

La « Rue des Martyrs ».
Chaque semaine je propose un article qui traite d’un sujet, d’une technique, d’une personnalité, d’un événement, ou encore d’un lieu particulier.  Ces dernières semaines, c’est l’article consacré au dojo mythique de la rue des Martyrs qui a connu le plus grand succès. Rien d’étonnant et je me range forcément du côté de tous ceux qui ont connu directement ou indirectement ce lieu que l’on ne peut oublier et qui s’en souviennent avec une certaine nostalgie. Il a marqué plusieurs générations.

Stages
Les stages occupent une partie importante de mes activités. Depuis la reprise en septembre dernier, il y en a eu deux. D’abord à Paris, le 24 septembre avec un groupe de fidèles à ces rendez-vous réguliers, mais aussi avec quelques nouveaux visages que l’on accueille toujours avec plaisir. Et puis, le week-end dernier, il y a eu une « première » à Blagnac, proche de Toulouse. Une première édition qui va sans doute en appeler d’autres, dans la mesure où ce stage a connu un beau succès. Il était magistralement organisé conjointement par le « Blagnac Arts Martiaux » et le « Club de Nailloux »  et leurs responsables : Jean-Louis Mourlan, Agnès Francastel et Pascal Toudouze. Merci à eux et à tous ceux qui nous ont rejoints. Le prochain stage se déroulera le 12 novembre aux Pays-Bas, où je suis une nouvelle fois invité. Prochainement il y aura Paris le 19, Fontenay-le-Comte le 26 novembre et Léognan le 10 décembre.

Open Taekwondo de Poitiers
Dimanche prochain, je suis invité pour assister à une compétition de Taekwondo à Poitiers. Je remercie Sylvie Marchais, coorganisatrice de l’évènement, pour cette attention et c’est avec grand plaisir que je m’y rendrai. Mon ouverture d’esprit et l’esprit de partage seront satisfaits.

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Goshin-jitsu-no-kata : un point de vue

« Dé-kata-iser ». Peut-être que ce néologisme surprendra, mais je n’ai rien trouvé de mieux pour exprimer un point de vue personnel.

Le goshin-jitsu-no-kata, ou « système de self défense du kodokan », a été créé par Maître Tomiki. Il l’a présenté à l’occasion des premiers championnats du monde de judo qui se déroulaient à Tokyo en 1956.

L’objectif était de démontrer que même si le judo devenait un sport de compétition, il ne fallait pas oublier ses aspects utilitaires et traditionnels.

Un kata est une suite de techniques, un enchaînement. Il véhicule des principes et des techniques au fil des ans et des siècles. C’est une méthode d’entraînement, un moyen d’évaluation pour l’obtention des grades et un exercice de style.

Il en existe beaucoup, chacun ayant sa spécificité. Le goshin-jitsu rassemble vingt et une techniques de défenses à mains nues et armées.

Comme tout kata, sa présentation, pour un passage de grades ou une démonstration, doit être entourée d’une certaine rigueur. On respecte l’ordre, les déplacements doivent être exécutés avec une attitude empreinte de solennité. Cependant l’efficacité est le premier objectif.

Alors, je pense, tout du moins pour ce kata, qu’il faut débuter l’étude par cet aspect là, avant d’entrer dans les détails qui parfois rebutent. Au même titre que le sculpteur commence par « la masse » avant de s’atteler aux finitions.

En fait, l’idée est de sortir chaque technique du contexte du kata, pour la travailler dans son utilité première : une attaque, une riposte. En fournissant des explications sur certains points qui peuvent sembler obscurs.

Par exemple, dans la première technique, Uke saisit les poignets de Tori pour l’empêcher de se défendre avec les mains. Celui-ci est donc contraint de reculer une jambe pour ne pas recevoir le coup de genou que veut lui administrer Uke.

Pour la quatrième technique, il est souhaitable d’expliquer ce que représentent les trois pas de déplacement sur la saisie de côté après qu’Uke se soit emparé du bras de Tori pour le pousser. Le premier pas, je suis surpris et je cède à la poussée. Le deuxième, je reprends mon équilibre. Au troisième, je prends l’initiative en portant un yoko-geri qui sera enchaîné avec un waki-gatame.

Chaque technique mérite d’être extraite du kata et travaillée pour sa première raison d’être (l’efficacité). Ensuite, on les assemble dans l’ordre où elles doivent être présentées et on impose progressivement ce qui fait un kata : les déplacements, les postures, etc.

Ayant testé cette méthode, j’ai pu constater que la perception du kata était davantage recevable, et que de fait il ne représentait pas seulement (pour certains) une « purge » que l’on doit s’administrer avant de passer un grade, de fait il devient plus concret, donc plus accessible. C’est aussi une façon certaine de revaloriser ces exercices qui sont « un plus ».

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Un petit tour par la rue des Martyrs

Des dojos, j’en ai fréquentés et dirigés beaucoup, pour étudier, me perfectionner, m’entraîner, transpirer et bien sûr enseigner.

Le premier a été celui de la rue des Martyrs, dans le neuvième arrondissement parisien, le célèbre « Club français » ! Fondé juste à la fin de la seconde guerre mondiale par Roger Piquemal, professeur de sports converti au judo, ce lieu a marqué beaucoup de pratiquants.

C’est dans cet endroit que j’ai revêtu mon premier judogi, j’y ai appris mon métier et j’ai commencé à l’exercer. C’est là aussi, en 1947, que mon père, Bernard Pariset, a débuté le judo, intrigué et fasciné, comme beaucoup de ses contemporains, par cette « lutte mystérieuse » venue d’orient et grâce à laquelle les plus petits pouvaient faire tomber les plus grands. Il ne s’en n’est pas privé tout au long de sa carrière.

Situé au cœur de Paris, tout en bas de cette rue des Martyrs qui traverse une partie du IXème arrondissement pour se terminer au pied du Sacré-Cœur, le Club Français a été l’un des premiers clubs de judo et de ju-jitsu ouverts dans notre pays, mais aussi l’un des plus célèbres des débuts de l’histoire des arts martiaux en France. Pas seulement pour ses résultats sportifs, mais aussi pour la qualité de l’enseignement dispensé et pour les nombreuses personnalités reçues. Bref, pour l’ensemble de son histoire.

Minoru Mochizuki ( immense personnalité des arts martiaux) a séjourné dans l’appartement situé au-dessus. Pendant une période les entraînements de l’équipe de France de judo s’y déroulaient. Une des premières sections de karaté a vu le jour sous la houlette de Jacques Delcourt, le président historique de la Fédération française de cette discipline.

Au début du XXème siècle, ce vaste local avait déjà été une salle de sport. A l’origine ce devait être une cour commune à plusieurs bâtiments, avant d’être un lavoir et/ou des écuries.

Puis il est devenu un endroit où l’on pratiquait de la « Culture Physique », mais aussi de la Boxe anglaise. En effet, il n’y pas si longtemps le nouveau propriétaire qui gère un cabinet d’architecte a découvert, en retirant les couches de feutres et la bâche qui les recouvraient (les tatamis n’étaient pas les mêmes qu’actuellement), qu’un ring de boxe y avait été installé au milieu. Quatre plaques de fer rivées dans le plancher et sur lesquelles devaient être fixés les poteaux qui formaient le carré en attestent.

Au milieu des années 1980, alors que j’étais en plein cours, un beau matin une dame âgée entre dans le dojo et m’informe que, bien avant la seconde guerre mondiale, cette salle appartenait à la famille Rothschild et que tout au fond, dans un espace clos, pour ne pas dire caché, étaient dispensés les tous premiers cours de judo en France. Cette dame m’avait également appris que l’appartement qui surplombait le dojo, et qui avait été successivement celui de Roger Piquemal, puis celui de mon père, était une mezzanine qui accueillait les visiteurs. De cet endroit, ils pouvaient assister aux entraînements en toute convivialité, autour d’un verre.

Fermé durant le second conflit mondial, le local a été repris par Roger Piquemal en 1944. Il en a assuré la direction jusqu’en 1954, l’année de sa disparition. A compter de cette date, c’est mon père qui a pris le relais – et de quelle manière – jusqu’à sa propre disparition en 2004.

A partir de l’âge de cinq ans j’y ai commencé une pratique avec plus ou moins de plaisir. Comme il s’agissait du métier de mon père, je devais y voir une certaine forme d’obligation, je dois avouer que l’enthousiasme n’était pas toujours au rendez-vous, même si je faisais preuve de régularité.

Ce n’est qu’à l’adolescence que la plus grande partie de ma formation s’est faite et que j’ai découvert une passion qui ne s’est jamais éteinte.

J’ai exercé mon métier rue des Martyrs jusqu’en 1989 ; ensuite, j’ai souhaité prendre mon indépendance.

Tout a une fin en ce bas Monde et le dojo mythique a fermé ses portes en 2005, un an après la disparition de mon père. Ne bénéficiant pas d’issue de secours et face à l’impossibilité d’en créer une, il a fallu se faire une raison et s’incliner devant des mesures de sécurité de plus en plus importantes ; ce lieu ne pouvait plus recevoir du public, tout du moins au dessus d’un certain nombre, ce qui condamnait sa survie. Plusieurs années après, je ne peux l’oublier.

Aujourd’hui, c’est une architecte talentueux qui a investi les lieux pour y installer ses bureaux et son appartement.

La première photo d’illustration présente le dojo au début des années 1950. La seconde à la fin de ces années-là.

Sur la première il s’agit d’une vue d’ensemble prise de la mezzanine. On y voit sur le mur du fond la photo grandeur nature de Roger Piquemal, le maître des lieux de l’époque et sur la droite, debout, mon père qui donne son cours. A l’époque il n’était pas encore le patron, mais le professeur principal. A noter les judogi pendus sur les côtés. Très peu de pratiquants possédaient leur tenue. Les kimonos ne devaient pas être lavés très régulièrement, ce qui expliquait une certaine odeur qui prenait à la gorge lorsqu’on entrait dans la salle.

La deuxième photo a été prise un peu plus tard. Père et fils dans la petite cours que l’on franchissait avant d’entrer et devant la vitrine dans laquelle on constate que le club s’est d’abord appelé « Club Français de Jiu-jitsu ». On y revient régulièrement à cet art martial indestructible qui bénéficie de la « force de sa vérité ». Voilà une formule que j’aime bien.

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La finesse technique

Quoi de plus beau qu’une projection exécutée au bon moment, « dans le temps » ? Un de-ashi-barai, par exemple. Ou bien un contre réalisé en sen-no-sen, l’attaque dans l’attaque, ou bien encore une technique réalisée en « action-réaction ». Sans oublier un atémi additionnant vitesse et précision et qui atteint sa cible avec l’intensité voulue.

La recherche de la finesse technique est une quête utile, en termes d’esthétisme, d’efficacité et de satisfactions.

Esthétisme, efficacité, satisfaction

D’abord l’esthétisme. « Toute bonne technique est belle et gracieuse ; elle est une figure dessinée dans l’espace où efficacité et beauté ne font qu’un. »                              « Les chaussons de la révolution ». Marc-Olivier Louveau

Voilà une belle description issue d’un livre qui m’a passionné.

Finesse technique et esthétisme sont forcément liés. Dans la pratique d’un art de combat, la recherche de la « beauté du geste » n’est pas insignifiante. Certes en cas d’agression dans la rue, l’esthétisme n’est pas de rigueur, mais le temps passé dans un dojo est un temps consacré à toutes les formes d’élévations. Cette finesse technique n’est pas offerte à tous systématiquement, mais avec de la volonté et du travail, on peut tous y arriver.

Donner l’impression que la technique a été réalisée sans effort, avec fluidité et précision et offrir ainsi une impression magique : voilà le but.

Ensuite l’efficacité. Trouver le bon geste au bon moment est forcément gage d’efficacité. Contrairement à certaines idées, l’esthétisme n’est pas contre productif en matière d’efficacité, la finesse technique non plus, au contraire. A l’inverse ce n’est pas parce qu’une technique n’est pas belle qu’elle est efficace. Il est possible d’être efficace sans être fin, mais avec des limites. Toujours en termes d’efficacité, cette finesse offrira d’autres avantages, comme celui d’une pratique moins « accidentogêne », elle s’inscrit dans la régularité et la durée.

Cette recherche impose de ne pas se contenter du minimum. Il y a beaucoup de maximes populaires qui vont dans ce sens : « qui peut le plus, peut le moins », « qui n’avance pas recule ». Et peut-être la plus poétique « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles ». Tout cela contribuera à la réalisation de progrès, donc d’efficacité.

Enfin la satisfaction personnelle.                                                                                    Ce n’est pas rien. C’est ce qui donne envie de continuer. La satisfaction d’avoir réalisé le geste technique parfait, au bon moment, est indescriptible. Cette récompense est l’association de beaucoup de travail technique et physique, mais également un travail interne de concentration avec l’envie d’élever le « niveau ». D’élever le niveau technique, mais aussi son niveau mental. La finesse et l’élégance en dehors des tatamis n’est pas superflue. Elle participe au combat contre la violence, ce poison pour la société. Certes, il s’agit d’un vaste programme, mais c’est une des missions attachées aux éducateurs.

Cette acquisition de la finesse technique, je n’ai pas la prétention d’affirmer la posséder, mais de tenter de l’approcher et de donner à mes élèves l’envie de la rechercher et surtout de la préférer à la force brutale que l’on peut d’ailleurs combattre (justement) avec le bon geste exécuté au bon moment.

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Photo d’illustration : un magnifique uchi-mata exécuté par mon ami le regretté Jean-Claude Leroy. Photo extraite d’un des premiers supports techniques présentant la méthode Atemi ju-jitsu en 1976.

A propos de self défense

Entre ceux qui disent que ça ne sert à rien d’apprendre à se défendre, ceux qui affirment que leur méthode est la meilleure ou encore ceux qui soutiennent que la vraie expérience c’est celle de la rue, il y a de quoi être perplexe, sinon perdu.

On se doute que mon opinion est plus modérée et plus pragmatique.

UNE BONNE MÉTHODE, UN BON PROF, UNE BONNE RÉGULARITÉ

D’abord je pense qu’il n’y a rien sans travail. A la base, nous possédons tous un potentiel, plus ou moins important en matière de défense personnelle. Ce potentiel que l’on pourrait graduer de 1 à 100, et bien, chaque séance permettra de l’augmenter, en sachant qu’on n’arrivera jamais à 100, c’est-à-dire à l’invincibilité.

Pour se sortir d’une mauvaise situation, il y a d’abord deux éléments à prendre en considération. Premièrement essayer de ne pas s’y trouver. Deuxièmement, si on y est, tenter de désamorcer le conflit afin d’éviter un affrontement qui finira forcément mal, pour l’un des deux, l’agressé ou l’agresseur, ou encore pour les deux.

Ensuite, c’est mon point de vue, au moins trois éléments sont déterminants : la chance, le stress et la pratique.

Concernant la chance, nous n’y pouvons rien, par définition. Même si on évite les situations à risque et que l’on est décidé à ne pas envenimer les choses, le facteur chance existe.

Pour ce qui concerne le stress, là aussi c’est très personnel, nous ne sommes pas tous égaux dans ce domaine. Même entraîné physiquement et affuté techniquement, on ne sait pas comment nous réagirons.

Cependant, si nous n’avons jamais été confrontés à ce genre de situation, il n’est pas envisageable d’en provoquer une, juste pour voir…

Enfin, ce qui est certain, comme indiqué plus haut, c’est qu’une pratique qui s’inscrit dans la durée et la régularité est indispensable. A moins d’être dans les mains d’un enseignant incompétent et/ou pratiquer une méthode incomplète.

Le professeur est déterminant, comment pourrait-il en être autrement ? Il doit donner l’envie de commencer et surtout de continuer. De continuer en proposant une pratique efficace dans laquelle la lassitude ne s’installera pas et surtout qui limite les blessures. En effet, la régularité est indispensable pour progresser. Être souvent blessé est la meilleure façon de ne pas s’entraîner et donc de ne pas faire de progrès.

Enfin, il doit proposer une pratique dans laquelle ne suinte ni brutalité, ni violence.

Ceux qui affirment que la réalité est brutale et violente et que de ce fait il faut faire la même chose à l’entraînement sont irresponsables. La réalité, c’est la réalité, on sauve sa vie, mais l’entraînement c’est l’entraînement. Dans un dojo nous ne sommes pas en survie, bien heureusement. Dans un dojo on s’élève techniquement, physiquement et mentalement !

En conclusion, la méthode est déterminante, certes, mais celui qui l’enseigne l’est tout autant. Une bonne méthode mal enseignée n’est d’aucune utilité, bien au contraire !

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Choisir

Nous sommes encore en début de saison et il se peut qu’il y ait des personnes qui ne se sont pas encore décidées à franchir les portes d’un dojo.

Pour une pratique optimale et qui s’inscrit dans la durée, il faut réunir trois conditions. D’abord trouver la bonne discipline, ensuite un bon professeur, enfin être déterminé.

La bonne discipline c’est celle qui nous convient. Comment le deviner ? En l’essayant bien sûr, on dit souvent que la première impression est la bonne. Cependant, avant d’entrer dans un dojo, on possède déjà sa petite idée. Soit on est attiré par l’aspect sportif, soit par le côté traditionnel ou encore le « tout utilitaire », et dans ce domaine il y a beaucoup d’offres. D’ailleurs est-ce la demande qui fait l’offre ou le contraire ? Je reviendrai sur cet aspect la semaine prochaine.

Ensuite, une fois que le choix est fait, il faut trouver le bon professeur. Là aussi, la première impression est la bonne, mais lorsqu’on débute, nous ne sommes pas toujours qualifiés pour juger des compétences et des qualifications de celui-ci. La réputation et l’avis des élèves doivent être pris en considération ; à la condition que les habitués soient en phase avec ce que l’on recherche. Un professeur pourra être un très bon formateur de champions, mais si vous êtes venus pour de la self-défense… A noter que parfois, c’est le professeur qui détermine le choix d’une discipline.

Enfin, être déterminé. Savoir que la progression dans les disciplines de combat est associée à une régularité, davantage que dans d’autres activités. Par exemple, pour ceux qui ne sont intéressés que par l’aspect utilitaire, il n’y a pas de miracle, du style « la méthode en dix leçons ». Les automatismes font partie de l’efficacité, or il n’y pas d’automatisme sans répétition. Quant à ceux qui sont attirés par le côté traditionnel, il y a tellement de choses à découvrir qu’une pratique trop en pointillé n’apportera pas grand-chose. Enfin, ceux qui ont choisi l’aspect sportif, encore davantage que dans d’autres sports, la régularité est indispensable. Dans un sport de combat, on attaque et on se défend. Attention, je n’ai pas dit « on défend », j’ai dit « on SE défend ». Prendre un but au Foot, ce n’est pas pareil que prendre un direct en pleine face ou un uchi-mata mal contrôlé.

En conclusion il faut d’abord essayer, rien ne vaut l’expérience personnelle, même juste le temps d’une séance. Ne serait-ce que pour savoir si l’état d’esprit qui règne dans le lieu est en phase avec celui que l’on souhaite trouver.

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Ce métier que j’aime

Dans le prolongement de l’article de la semaine dernière consacré à la conscience professionnelle, j’ai voulu aborder ce que j’appelle « mon métier » et la passion qui l’entoure.

C’est toujours mieux d’aimer son métier et d’ailleurs je préfère ce mot à celui de travail. Un métier on l’a souvent choisi. Parfois il s’est imposé et nous l’avons apprivoisé.

Même si j’ai effectué beaucoup de démonstrations pour promouvoir ma discipline, ma tâche principale a été, et est toujours, l’enseignement.

Si j’aime ce métier, c’est pour quelques raisons ; la principale étant le partage d’un art avec lequel je me suis tout de suite senti en phase, bref un art qui me va bien.

Ceci grâce à sa pluralité technique, à ses principes de bases comme celui de l’utilisation de la force de l’adversaire, aux mécanismes naturels, bref une discipline intelligente pour peu qu’elle soit enseignée dans le respect de ses fondamentaux.

Un art dans lequel il est davantage question de maîtriser que d’exterminer, dans lequel la finesse technique prend le pas sur la brutalité.

Et puis, justement, une discipline dans laquelle l’éducation physique et mentale est incontestable. Mais aussi dans laquelle « on s’amuse », nous sommes également dans le loisir. On s’amuse et on progresse continuellement, pour l’efficacité, mais tout simplement pour éprouver la satisfaction procurée par les progrès. Ce qui est bon pour la tête est bon pour le corps et le contraire.

J’aime ce métier parce qu’il permet la rencontre et les échanges entre toutes les classes sociales et rien n’est plus agréable de voir un jeune employé tutoyer un cadre supérieur quinquagénaire, pour le conseiller et le rassurer lors d’une première séance.

J’aime ce métier parce que j’enseigne à des pratiquants de tous âges, de toutes conditions physiques, auxquels il faut savoir s’adapter.

J’aime ce métier pour l’entraide qui règne dans un dojo, mais aussi à l’extérieur grâce à de solides relations nouées dans le dojo en question.

J’aime ce métier quand certains élèves me confient que la pratique leur a apporté énormément dans leur quotidien, en dehors des tatamis et même « beaucoup plus » que ce qu’on peut imaginer. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on possède le pouvoir de changer la vie (comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman) mais un peu quand même. Bref, être utile. Et tout simplement constater le plaisir éprouvé par un pratiquant à la recherche de la finesse technique et plus encore lorsqu’il s’en approche. µ

J’aime mon métier car, ayant eu la chance que ce soit mon unique activité professionnelle, j’ai pu m’y consacrer pleinement. Ce qui, il faut l’admettre, est de plus en plus rare, ceci est un autre sujet.

J’aime mon métier parce qu’il consiste à enseigner une discipline qui a su traverser les siècles, avec des hauts et des bas, renaissant toujours des ses cendres. Il n’est pas question d’obstination, juste de bon sens et de fidélité en ce qu’on croit, surtout lorsque c’est juste. Enseigner une discipline d’une telle richesse technique, cela me semble intemporel. Tout comme partager des valeurs utiles à la société dans son ensemble. Et puis, en le diffusant, rendre au ju-jitsu ce qu’il m’a donné.

J’aime encore davantage mon métier quand on me laisse l’exercer !

Enfin, j’aime ce métier parce que même si, avec le temps, les capacités physiques s’amenuisent, il n’en est rien pour la passion de transmettre, bien au contraire.

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La conscience professionnelle

Conscience professionnelle (utile en début de saison).

Elle a toujours guidé mon action et encore davantage au fil des ans. L’expérience venant s’ajouter à l’idée que l’on se fait de la profession exercée.

La conscience professionnelle ne se limite pas à arriver à l’heure pour donner ses cours, et même en avance afin d’accueillir les élèves, ni d’éviter de se faire remplacer sauf cas de force majeur ; ce sont des évidences.

On veillera également à la façon de s’adresser à ses élèves (le respect, ça se partage), tout comme être exemplaire en termes d’hygiène corporelle et vestimentaire. La conscience professionnelle, c’est aussi faire en sorte que ce qui est enseigné soit entouré de précautions limitant les risques de blessures. Certes, dans les disciplines de combat, comme dans toute activité, forcément on ne peut éviter quelques « bobos ». C’est au professeur de proposer une pratique sécuritaire, lors de l’étude technique et surtout dans les combats d’entraînement. La priorité est d’éduquer et non pas d’abîmer. Apprendre des techniques de combat pour se rassurer, mais aussi pour évoluer physiquement. Comment progresser si on est souvent blessé ?

Il est raisonnable et même indispensable de faire un choix pour ne proposer que les techniques et les méthodes d’entraînement qui répondent à deux critères : efficacité et sécurité. On les distingue avec l’expérience, un peu de bon sens et…de la conscience professionnelle !

La conscience professionnelle c’est aussi se maintenir en forme physique pour avoir valeur d’exemple. Sur le plan technique, elle dicte la poursuite du perfectionnement personnel, des recherches, non pas pour inventer des techniques, mais pour proposer des enchaînements, des variantes, sur les bases solides livrées par nos professeurs, sans jamais renier les fondamentaux qui y sont attachés.

Dans le domaine pédagogique, ne jamais oublier que ce qui est important ce n’est pas ce que nous démontrons, mais ce que les élèves retiennent. C’est se remettre en question, s’adapter au niveau des étudiants, et de leurs aspirations. Etre capable de s’adapter rapidement avec une pédagogie d’instinct et de terrain, mais aussi avec des méthodes d’apprentissage et des formules qui marquent.

Enfin sur le plan mental, la conscience professionnelle (la conscience tout court), c’est de rester fidèle à ses engagements et à ses convictions. Certes, on peut évoluer, sans pour autant confondre évolution et reniement. Les sirènes de la mode sont puissantes, mais un esprit fort est capable d’y résister.

La conscience professionnelle du professeur c’est aussi ne pas oublier la transmission de valeurs telles que le goût de l’effort, de la rigueur, et du respect des règles du dojo. Ces règles auront un effet sur la vie en société. Les séances doivent se dérouler dans un climat de convivialité et d’entraide et sûrement pas dans une ambiance où suinte la violence. Le professeur n’est pas qu’un passeur de techniques, il est bien plus que ça. Sa conscience professionnelle ne doit cesser de le lui rappeler.

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