Triste obligation

J’ai pensé partager la lettre que j’ai adressée à mes élèves hier. Je n’ajouterai pas pour le moment de commentaires à cet envoi porteur d’une très mauvaise nouvelle. Je vous la livre telle qu’ils l’ont reçue.
Les annonces d’hier ne changent malheureusement rien !

Chers élèves, chers parents,

Comme nous pouvions nous y attendre, c’est une terrible nouvelle que je suis obligé de vous annoncer. Il ne s’agit pas d’une décision, mais bien d’une obligation.

Le virus m’a épargné, pour le moment et j’espère qu’il en sera ainsi dans l’avenir, pour nous tous. Mais il n’a pas épargné notre dojo.

Je suis contraint de remettre les clefs à la fin de cette semaine. Il n’est plus possible d’additionner  les impayés de loyer et de faire face aux autres dépenses, sans plus aucune recette, surtout pour une toute jeune entreprise. Le loyer est très élevé et la propriétaire ne peut s’en passer. En absence de décret gouvernemental  et de jurisprudence il est tout à fait impossible de prendre le risque de ne pas s’acquitter d’une somme que je ne pourrais vraisemblablement jamais rembourser.

Le Président de la République dans son allocution du 16 mars dernier, au cours de laquelle il nous annonçait un confinement aussi brutal qu’inattendu,  avait déclaré que personne ne resterait au bord du chemin, « quoiqu’il en coûte ». Je ne suis pas au bord du chemin, mais au fond du ravin et il m’en coûte.

Cette nouvelle est terrible et revêt une forme d’injustice.
Terrible  puisqu’elle va me priver de mon métier et d’une indispensable source de revenu (je suis comme tout le monde) .
Injuste, parce je ne pensais pas mériter une telle issue et me retrouver dans une situation inextricable.

C’est donc dans quelques jours que je remettrai les clefs du dojo. Ainsi s’achève une aventure tout juste entamée. Ce n’est pas faute d’y avoir mis de l’espoir, de l’énergie et de la sueur (et mes économies). Aujourd’hui, nous sommes le 28 mai 2020, il y a tout juste un an, le 27 mai 2019, je signais un bail commercial (le fameux 3.6.9) pour ce local qui allait devenir le dojo que vous connaissez et que vous aimez.

Comment en sommes nous arrivés là ? C’est assez simple et il ne fallait pas être un grand devin pour savoir que mettre un pays à l’arrêt ne serait pas sans conséquences, surtout pour les secteurs comme le notre qui n’ont toujours pas repris et pour lesquels ont ignore  la date de reprise, et surtout  les conditions qui risquent de l’accompagner. Bref, une date de reprise qui aurait du sens.

Pour moi, il ne s’agit pas d’une décision, mais d’une obligation. Renoncer s’impose à moi. S’il n’y a pas d’utilisation de la force de l’adversaire il y a au moins une esquive qui évitera d’être broyé davantage, si toutefois cela est possible.

En effet, depuis presque trois mois que le club est fermé, il n’y a plus d’inscription, plus de recette, donc plus de revenu. J’exerce en tant que travailleur indépendant, sans salaire et sans droit au chômage, bien sûr.

Le dojo est une entreprise privée, elle a des frais fixes incontournables, ceux-ci n’ont pas disparu avec cette  fermeture administrative.

Dans notre secteur d’activité, nous sommes plusieurs professionnels à réclamer, non pas le report des loyers, par exemple, mais leur annulation pure et simple. Repousser des dettes qu’il nous faudra régler par la suite, avec forcément un chiffre d’affaire en baisse, ce n’est tout simplement pas possible, tout comme emprunter à la banque, pour peu qu’elle accepte de prêter, ce qui n’est pas mon cas puisque je n’ai pas de bilan à présenter, le dojo est une toute jeune entreprise.

Donc, mis à part continuer à occuper un local vide,  tout en accumulant des loyers alors que nous avons zéro euro de recette, et bien c’est tout simplement inenvisageable.

Et puis, l’avenir est peut-être plus grave que le présent (si cela est possible). D’une part, nous ne connaissons pas la date d’une éventuelle reprise. Au plus tôt, il serait question du mois de septembre. Mais d’autre part, et c’est peut-être le plus important, nous ignorons  les conditions attachées à cette reprise ; le fameux « protocole sanitaire ». Si les gestes barrières et la distanciation sociale sont maintenus, il sera tout simplement impossible de pratiquer les arts martiaux. Je sais que certains parlent de judo sans partenaire ou bien avec des mannequins,  par exemple, d’autres de rugby sans ballon ; à quand la natation sans eau et l’équitation sans cheval ?

Enfin, quelle sera la réaction des élèves et futurs élèves ? Pouvoir ouvrir est une chose, avoir suffisamment d’inscriptions qui rendent  viable l’entreprise, en est une autre. Il y aura d’abord les prochains mois d’été  sans rien, puis une  reprise avec une inévitable baisse d’activité. Il n’est pas non plus difficile d’imaginer qu’au moment de la sortie de cette crise sanitaire, nous allons en affronter une autre, économique et sociale cette fois, et d’une grande brutalité. Elle ne  manquera pas de faire beaucoup de dégâts, auprès des petites entreprises en l’occurrence et par « effet domino » pour beaucoup de particuliers.

Il faut prendre en considération que si les mesures nous imposent un nombre limité d’élèves par cours, cela posera forcément un problème de rentabilité et s’il faut engager du personnel pour pouvoir désinfecter après chaque passage aux  sanitaires (si toutefois leur utilisation est autorisée), s’il est obligatoire de mettre en place une sorte de sens giratoire, un fléchage au sol, etc. vous imaginez qu’avec la configuration de notre petit dojo, tout cela restera impossible à réaliser ou à assumer tout seul.

Justement, parmi les projets, il y avait celui de m’attacher un collaborateur de façon à ce que le dojo puisse évoluer sans que tout ne repose pas sur mes épaules, ce qui était pour ainsi dire le cas la première année, mais il s’agissait alors d’un risque temporaire ne pouvant s’inscrire dans la durée. Or, comment embaucher avec toutes les incertitudes évoquées plus haut et par là même  envisager de continuer de s’enfoncer de façon plus profonde dans l’endettement ? Cela  relèverait de l’irresponsabilité et tout simplement d’une faute de gestion.

Par rapport à d’autres établissements également touchés, notre dojo a comme inconvénient, je le dis à nouveau  au risque de me répéter, d’être tout neuf, ou presque.

Je sais que vous devez tous être déçus. Vous m’envoyez régulièrement des messages de soutien dans lesquels vous me faites part de votre déception et de votre colère (non pas à mon égard, mais vis-à-vis des évènements) si cet établissement devait  disparaitre.  Ce lieu de culture et de partage qui « collait bien » avec le quartier. Je vous laisse imaginer quelles sont mes déceptions et mes colères face à ce qui représente pour moi, un véritable désastre, avec une certaine  impression d’iniquité devant l’épreuve et que parfois l’esprit d’entreprise n’est pas récompensé.

Comme je vous le disais précédemment, j’ai eu le temps d’envisager tous les scénarios et d’étudier toutes les solutions, hélas sans succès !

Je ne vous cache pas non plus mon épuisement physique et mental suite à ces chocs émotionnels bien compréhensibles, lorsque sont  attaqués votre métier et sa survie, à fortiori quand il s’agit d’une passion qui vous est chevillée au corps depuis des décennies.

Nous n’aurons même pas eu l’occasion de fêter le premier anniversaire de ce dojo, comme nous avions eu du mal à nous rassembler à la fin de l’année pour cause de « grande grève », ce qui me fait penser que cette saison  n’était vraiment pas la bonne  pour se lancer dans une telle aventure. Je sais que de tels propos sont stériles, mais l’amertume n’est pas bonne inspiratrice.

D’autre part, je n’ignore pas qu’il y a des abonnements en cours.  Mais je suis obligé de faire preuve de la plus grande franchise à votre égard ; cette fermeture totale imposée et ses conséquences m’empêchent complètement de pouvoir procéder à quelque remboursement que ce soit. Les plus anciens d’entre vous connaissent mes défauts, qui sont nombreux, mais je crois avoir prouvé tout au long de ma vie et de ma carrière que l’honnêteté est une qualité que je peux m’attribuer sans aucune prétention.

Beaucoup d’entre nous, à l’occasion de cette crise, doivent faire face à des cas de force majeure, à des situations qui ne sont pas de leur fait ; tout cela génère des problèmes inédits et souvent irrésolvables. Je fais donc appel à votre compréhension et à votre mansuétude.

Je reste bien évidement à votre disposition par tous les moyens  de communication.

Je ne doute pas que certains et même beaucoup d’entre vous connaissent, eux aussi des moments pénibles. A tous, je souhaite bon courage et j’espère que rapidement nous pourrons  retrouver une vie normale avec des jours meilleurs.

Il n’y a plus grand-chose à ajouter, si ce n’est que j’espère que nos chemins  puissent se croiser à nouveau ; il ne faut jamais dire jamais. Pour ce qui me concerne, c’est près de mes proches que je vais me réfugier durant quelques temps et où j’espère bien récupérer une parfaite santé et trouver les moyens de me ressourcer.

Chers élèves et chers parents, je vous adresse, l’assurance d’avoir fait preuve d’un total dévouement que ce soit dans la gestion du dojo depuis son ouverture, que face à l’épreuve qui nous a été imposée par le destin. Mais « à l’impossible nul n’est tenu ».

Je vous adresse mes salutations amicales les plus chaleureuses et je vous dis à bientôt « ici ou là » !

eric@pariset.net

Un deuxième S, comme Stage et/ou Soulac

Le dernier article consacré à la lettre S de mon dictionnaire traitait du mot Samouraï. Rien ne m’interdit de proposer un deuxième article pour la même lettre ; aussi c’est S comme Stage, mais également S comme Soulac-sur-Mer que j’ai choisi. Les deux mots ayant été intimement liés vingt cinq années durant. (La photo d’illustration nous ramène au milieu des années 2000.)

J’aurai pu choisir S comme solidarité, mais cette denrée est devenue tellement exceptionnelle…

Revenons aux stages et à Soulac.

Les stages ont été des moments importants de ma vie, la station balnéaire de Soulac-sur-Mer également.

Dans le tiercé de mes activités professionnelles (en termes de temps passé)  les stages arrivent en deuxième position entre la dispense des cours et les démonstrations. Quant à Soulac-sur-Mer, pendant un quart de siècle je m’y suis rendu tous les étés, de 1986 à 2010.

Des stages, j’ai eu le plaisir de pouvoir en animer des dizaines, soit à titre privé ou dans un cadre fédéral. Sur une demi-journée, une journée, un week-end ou bien une semaine, comme à Soulac, à Paris, en province et à l’étranger. Pour ceux qui se déroulaient en dehors de « mon territoire », c’était à chaque fois l’occasion de retrouver des habitués, mais aussi de faire de nouvelles connaissances qui, pour certaines, se sont perpétuées en relations durables.

Pour les pratiquants, le stage vient en complément d’un travail régulier effectué dans son dojo (lorsqu’il est ouvert) ; il permet de se faire plaisir en s’adonnant de façon intensive à son art et d’accélérer la progression. C’est un travail complémentaire sur le plan technique et physique, mais c’est aussi un engagement plus important qui démontre une implication qui ne l’est pas moins. Certes tout le monde n’a pas la possibilité de participer, en plus des entrainements hebdomadaires, à ces rassemblements. Ceux qui ne peuvent s’y consacrer ne sont pas pénalisés, ce sont ceux qui le peuvent qui sont favorisés.

Quant à S comme Soulac-sur-Mer, c’est avec un réel plaisir que je retournais chaque été dans cette belle et attachante station balnéaire de la Pointe de Grave dans le département de la Gironde. Stage et Soulac ont été associés pour le meilleur. Pouvoir passer des vacances, en profitant tout à la fois des bienfaits de l’océan dans un lieu de villégiature à taille humaine en pratiquant intensivement chaque jour sa discipline martiale ne peut être que bénéfique sur bien des plans : la santé, le moral et les progrès. Chaque année, il y avait un mélange de jujitsukas habitués et d’autres qui découvraient une des « perles du Médoc ». Le stage rassemblait des élèves mais aussi des professeurs venus de toute la France et de pays européens.

Pour les autres stages, ceux qui sont organisés en province et à l’étranger, ils permettent de découvrir de nouvelles contrées, de nouvelles personnes et ils sont l’occasion d’échanges passionnés sur le ju-jitsu, et lorsqu’il s’agit du ju-jitsu en France, il y a beaucoup à dire.

Après l’année 2010, étant « empêtré » dans une suite de graves problèmes qui devaient absolument être réglés et ne pouvant être sur tous les fronts, j’ai arrêté les rendez-vous girondins. J’avais pensé reprendre cet été, soit dix ans après, j’ai « malheureusement » été bien inspiré de ne pas donner suite…  Alors peut-être en 2021 !

eric@pariset.net

S comme Samouraï, bien évidement…

Pour la lettre S de mon dictionnaire c’est tout naturellement que je me suis arrêté à « Samouraï ».

Bien qu’en ce moment, même animé par l’esprit guerrier qui caractérisait ces hommes, nous ne pouvons que subir les évènements. Il est pourtant indispensable de les évoquer, ils ne pouvaient être absent de ce dictionnaire.

Comme pour chaque personnage ou élément qui compose ce dictionnaire, l’objectif n’est pas de faire un exposé sur le sujet, mais d’exprimer ce qu’il a représenté et représente pour moi.

Samouraï : ce mot je l’ai lu, entendu et prononcé un nombre de fois incalculable ; peut-il en être autrement dans la vie d’un pratiquant d’arts martiaux ? Ces valeureux guerriers sont indissociables d’une carrière consacrée aux disciplines de combat ; presqu’au point de souhaiter leur ressembler, non pas dans leur « métier », mais pour leur esprit ; acquérir cette farouche volonté, cette rigueur, cette efficacité et ce sens du raffinement dans le combat, et cet attachement à de belles valeurs, autant d’éléments qui ont participé à leur gloire et à leur histoire. Encore maintenant, Il n’y a pas plus beau compliment que celui de recevoir le qualificatif de samouraï. Non pas pour le maniement du sabre que nous ne portons plus, mais pour les valeurs exprimées ci-dessus.

Ceci étant, ne nous méprenons pas, ces hommes n’étaient pas des tendres et les combats qu’ils se livraient se finissaient par la mort d’un des deux protagonistes. Nous n’en sommes plus là, bien heureusement.

Pour ma part, deux mots me viennent spontanément à l’esprit pour les qualifier (et qualifier un « samouraï des temps modernes ») : courage et respect.

Le plus célèbre d’entre eux est incontestablement Miyamoto Musashi (1584-1645), grâce à son parcours, ses combats et ses écrits. On ne peut qu’encourager la lecture du « Traité des cinq roues ». Dans ce recueil, le samouraï philosophe fait état des cinq éléments qui représentent la nature entière : Terre, Eau, Feu, Vent, Vide. Il invite à transposer l’art de l’épée ; de l’appliquer à la vie quotidienne et qu’il devienne un art de vivre.

Je conclurai par une petite histoire : « Trois mouches » (déjà publiée sur mon blog). Réalité ou légende ? Peu importe, elle est savoureuse et démontre que parfois on peut vaincre sans combattre.

Trois mouches.

Dans une auberge isolée, un samouraï est installé, seul à une table. Malgré trois mouches qui tournent autour de lui, il reste d’un calme surprenant. Trois rônins entrent à leur tour dans l’auberge. Ils remarquent aussitôt avec envie la magnifique paire de sabres que porte l’homme isolé. Sûrs de leur coup, trois contre un, ils s’assoient à une table voisine et mettent tout en œuvre pour provoquer le samouraï. Celui-ci reste imperturbable comme s’il n’avait pas remarqué la présence des trois rônins. Loin de se décourager, les rônins se font de plus en plus railleurs. Tout à coup, en trois gestes rapides, le samouraï attrape les trois mouches qui tournaient autour de lui, et ce, avec les baguettes qu’il tenait à la main. Puis calmement, il repose les baguettes, parfaitement indifférent au trouble qu’il venait de provoquer parmi les rônins. En effet, non seulement ceux-ci s’étaient tus, mais pris de panique, ils n’avaient pas tardé à s’enfuir. Ils venaient de comprendre à temps qu’ils s’étaient attaqués à un homme d’une maitrise redoutable. Plus tard, ils finirent par apprendre, avec effroi, que celui qui les avait si habilement découragés était le fameux Miyamoto Musashi.

eric@pariset.net

R comme Randori, suite du dictionnaire

Pour la lettre R de mon dictionnaire, j’ai choisi le mot Randori. C’est donc un article plus technique qui est proposé. J’aurais pu choisir R comme Respect ou R comme Reconnaissance ou encore R comme Remerciements, mais les lignes auraient été empreintes d’une certaine « négativité » face à quelques réalités.

Restons dans la « positivité » et revenons à « notre Randori ».

En guise d’introduction je propose une définition glanée sur Internet et qui me semble être un parfait résumé : « Exercice libre orienté vers l’attaque. Le randori permet la rencontre de deux partenaires dans une confrontation dont la victoire ou la défaite n’est pas l’enjeu ».

Le randori est sans doute l’exercice le plus important pour progresser et le plus agréable à pratiquer à condition de le faire avec un partenaire habité par un état d’esprit identique.

Le randori existe dans la plupart des arts martiaux, qu’ils soient ou non à but compétitif. On peut traduire ce mot par « exercice libre ». Libre dans l’utilisation des techniques et leurs enchainements, dans l’adaptation aux situations. C’est à la fois un exercice de perfectionnement technique et d’amélioration de la condition physique mais c’est aussi un moment de vérité où l’on peut se tester dans une situation d’opposition, même si cette opposition est codifiée pour des raisons évidentes de sécurité, entre autres. Je le définirai comme un exercice d’opposition codifiée à thème.

Il est important pour trois raisons principales. D’abord il permet de progresser dans l’attaque et la défense, ensuite il participe à l’acquisition et au renforcement de la condition physique et enfin, s’il est fait dans un bon état d’esprit, on prend beaucoup de plaisir dans une opposition aux allures de jeux. On peut ainsi mesurer les progrès ; par exemple, le jour où il devient possible de projeter quelqu’un alors que cela ne l’était pas quelques temps avant.

En ju-jitsu, les trois principaux thèmes sont le randori d’atemi (les coups) le randori de projections et le randori au sol. Ils permettent de se perfectionner dans chacun de ces trois domaines en toute sécurité. A titre personnel, je suis contre un exercice d’opposition dans lequel tout est autorisé. A ceux qui ne partagent pas ce point de vue au motif que dans la réalité tout est permis, je réponds que la réalité c’est la réalité et que l’entraînement c’est l’entraînement. Dans ce dernier, les consignes d’efficacité et de sécurité sont indissociables. Une pratique constructive se fait en limitant les situations dans lesquelles les risques de blessures sont plus importants.

Dans ces affrontements qui sont essentiellement axés sur le renforcement du système d’attaque, il est évident que l’on travaille aussi la défense. Ne serait-ce que pour proposer à son partenaire une opposition correcte.

Je conclurai en soulignant que chacun des trois principaux secteurs évoqués (coups, projections et travail au sol) possède ses particularités dans le plaisir procuré. Pour le travail des projections, arriver à « faire tomber » quelqu’un à l’aide d’une belle réalisation ou un enchaînement ou encore l’application du fameux principe action-réaction est une joie que seuls ceux qui la connaissent peuvent en attester. Dans le travail au sol, l’affrontement est différent dans la mesure où, ne réclamant pas autant de vitesse d’exécution, il offre la possibilité de « fourbir » sa stratégie, de préparer plusieurs « coups » à l’avance, de prendre son temps dans l’action et dans la satisfaction. Enfin, et pour terminer, on peut établir un parallèle entre le randori « coups de poings et pieds » et une conversation. « L’assaut courtois », tel que l’on nommait cet exercice du temps de Charlemont, le fondateur de la boxe française, peut s’assimiler à une discussion au cours de laquelle les deux protagonistes éviteraient de parler en même temps, sans pour autant se priver de défendre leurs propres arguments en coupant la parole (poliment) s’il le faut, mais au cours de laquelle ne serait prononcé aucun « gros mot ».

Alors, lorsque les entraînements reprendront, n’oubliez pas les randoris.

Suite du dictionnaire avec la lettre Q comme Qualité.

La qualité, c’est ce que nous cherchons à améliorer chez nous, c’est ce que nous aimons trouver chez les autres et ce que nous sommes en droit d’attendre de la part des différents services qui peuplent notre quotidien. C’est aussi l’objectif à atteindre dans l’accomplissement d’un métier, pour ceux qui ont la chance d’assurer une profession que l’on peut qualifier de directement utile. Tout métier est utile, mais pour certains la reconnaissance est plus concrète. Dans le domaine de la médecine, dans celui de la recherche, dans le secteur de l’éducation et de l’enseignement (j’en oublie sans doute). Après, l’amélioration de la qualité de la vie passe par les loisirs, pour ceux qui ont la chance de pouvoir s’en offrir, et au travers desquels nous allons nous exprimer, nous détendre et faire des découvertes enrichissantes intellectuellement et artistiquement.

Lorsque l’on a la chance d’enseigner les arts martiaux, nous nous situons à la fois dans l’éducation et dans les loisirs. C’est aussi un métier à forte responsabilité puisqu’il s’agit d’inculquer des techniques de combat qui permettent dans des situations extrêmes « d’anéantir » un adversaire. Un haut niveau d’exigence doit être imposé, pour le moins. La conscience professionnelle, dont est pourvue la grande majorité des enseignants, impose une responsabilité, celle d’être irréprochable techniquement et pédagogiquement, mais aussi et surtout dans le comportement.

Dans mon « dico », l’évocation de cette lettre Q pour Qualité est l’occasion de mettre en avant celles qui me sont chères, qui m’apparaissent prioritaires. Les qualités vers lesquelles ont doit tendre. Pour chacune d’elles, j’ai choisi quelques mots afin de donner une définition personnelle très concise qui, à l’occasion d’un ouvrage plus étoffé, pourra être davantage développée. La politesse : pour bien commencer toute relation et vivre harmonieusement. L’honnêteté : afin de pouvoir évoluer en confiance. Le respect : indispensable pour le bien-être de la société. Cette qualité est en liaison directe avec la politesse. Le respect des personnes. Sans ce respect, il n’y a plus rien. La volonté : pour réaliser. Le courage : pour surmonter les obstacles qui ne manquent pas de se dresser devant nous au cours de l’existence, pour peu que l’on ait eu l’opportunité, le courage et les compétences pour entreprendre. La solidarité : pour une entraide indispensable dans certaines circonstances.La reconnaissance : pour ne pas oublier. La reconnaissance du ventre, mais aussi celle du cœur. La fidélité : aux personnes, aux principes et aux convictions. L’intelligence : c’est utile ! Enfin, je n’oublie pas l’honneur, la plus digne des qualités, surtout dans nos arts martiaux.

Certaines de ces qualités sont innées, elles se cultivent et s’entretiennent ; d’autres s’acquièrent grâce à l’éducation et à la motivation fournie par l’éducateur, le professeur, l’entraîneur. On en revient toujours à l’éducation, ce socle indispensable à toute société civilisée, pour que cette société puisse s’élever sans risque de s’effondrer tôt ou tard. Cet article n’est sans doute pas d’une grande originalité, certains penseront qu’il s’agit là d’évidences, j’assume et je revendique le droit d’enfoncer ce clou, parce qu’il apparait que certaines de ces évidences, sont loin, même très loin d’être mises en valeur et donc d’être appliquées. (Certaines de ces valeurs sont affichées sur les murs des dojos ; parfois juste affichées…)

« En creux » de chacune de ces qualités on trouve les défauts, ceux que j’exècre : l’impolitesse, la malhonnêteté, l’irrespect, la mollesse, la couardise, l’égoïsme, l’oubli, la lâcheté, la trahison (celle-là, pour l’avoir beaucoup subie, je la connais bien), la bêtise et le déshonneur. Un sacré inventaire contre lequel il ne faut pas cesser de lutter, pour cela il faut être doté d’optimisme : une qualité indispensable

La lettre P comme…Bernard Pariset

Je profite de ce repos forcé pour continuer la « rediffusion » de mon dictionnaire des arts martiaux.

Aujourd’hui c’est de la lettre P de mon dictionnaire dont il est question. Pouvait-elle être consacrée à une autre personne que celle évoquée dans les lignes qui suivent ?

P comme Bernard Pariset

En 1947, un jeune homme de dix-sept-ans se présente devant le 11 de la rue des Martyrs, dans un des quartiers les plus attachants de la capitale, le IXème arrondissement. Sur le mur, à coté de la porte d’entrée, une plaque porte l’inscription : « Club français de jiu-jitsu ».

Le jeune homme s’appelle Bernard Pariset ; il a été mon professeur, mon mentor, mais aussi – et surtout – mon père.

Il était né à la fin de l’année 1929 à Pantin, en Seine-Saint-Denis et a passé son enfance dans le XIIème arrondissement. Sa préadolescence a été marquée par la seconde guerre mondiale et des difficultés à tenir en place.

Très vite s’est imposé le fait que rester assis toute la journée n’était pas vraiment pour lui ; il préférait les activités physiques, les randonnées dans la campagne, le camping sauvage, les baignades en rivière, c’était un amoureux de la nature. Doté d’une curiosité naturelle, toutes ces activités plutôt physiques, ne l’empêchaient pas de nourrir un esprit très vif. Cet amour de la nature a sans doute été une des raisons de son rapprochement avec une matière noble : le bois. En effet, il est devenu apprenti dans une ébénisterie. Il possédait un certain talent dans la sculpture. Les figurines de samouraïs et autres judokas et ju-jitsukas créées dans la dernière partie de sa vie, en attestent. Mais sa véritable passion c’était bien évidemment le judo.

D’un gabarit modeste et d’un tempérament bouillonnant, il avait entendu parler de « ce judo », cette lutte un peu particulière dans laquelle les petits pouvaient faire tomber les grands. Par la suite il ne s’est pas gêné pour prouver que c’était possible, et de quelle manière !

Dans ce dojo de la rue des martyrs, Il franchit rapidement les échelons et il en devient très vite la référence. En 1954, au décès de son professeur, Roger Piquemal, il en prend les commandes et cela jusqu’à sa disparition en 2004.

A ses débuts, de son propre aveu, sa technique était assez rudimentaire. Les règles d’arbitrage étant beaucoup plus « libres », les combats d’entraînement (les randoris) offraient une physionomie différente de celle qui existe actuellement. Attraper la jambe de l’adversaire et pousser jusqu’à ce qu’il chute lui plaisait beaucoup et lui convenait tout à fait. Le problème, qui n’en était pas un, c’est que très vite il n’y avait plus un combattant au club pour résister à cette technique rustre, mais incontestablement ravageuse. Ensuite, sa technique s’est adaptée à sa morphologie et aux besoins du « toutes catégories », avec ses redoutables « mouvements d’épaules » (comme on disait à l’époque pour désigner les seoi nage), et puis elle s’est très vite affinée dans tous les domaines. Le travail au sol est notamment devenu un secteur dans lequel il faisait référence.

Ses « spéciaux » et un tempérament de combattant hors du commun lui ont permis de se constituer un palmarès exceptionnel. Champion de France et d’Europe, demi-finaliste aux premiers championnats du Monde qui se déroulaient à Tokyo en 1958, autant de titres conquis en « toutes catégories » ce qui leur confèrent davantage de saveur et un incontestable respect, surtout lorsqu’on mesure à peine un mètre soixante dix.

Mais il n’a pas été qu’un champion d’exception, il a occupé aussi différentes fonctions au sein de la fédération de judo : conseiller technique, entraîneur national, directeur des équipes de France, membre de la commission nationale de grades. On lui doit aussi la remise en valeur du ju-jitsu au début des années 1970, ce qui n’est pas rien ! Il a aussi publié différents ouvrages sur le judo et évidement sur le ju-jitsu.

On ne peut évoquer ce fantastique parcours sans rappeler qu’avec Henri Courtine ils ont été les premiers 6ème dan en 1968. Il en a été de même du 7ème au 9ème dan. Ils étaient les meilleurs adversaires sur les tatamis de compétition et les meilleurs amis dans la vie. Leurs styles différents et leurs caractères aux antipodes ont été d’une exceptionnelle complémentarité, pour servir et marquer de leurs empreintes le judo français.

Durant toute sa carrière il ne s’est jamais détaché de la base, puisqu’il n’a cessé de s’occuper de son club de la rue des Martyrs (que l’on ne peut s’empêcher de lui associer totalement). Ce qui a permis à des centaines de pratiquants de profiter d’une pédagogie aussi pragmatique qu’efficace. Sous sa houlette le « Club Français » s’est constitué en judo un palmarès impressionnant par équipe ; l’équipe A étant à plusieurs reprises confrontée à l’équipe B en finale du championnat national ; le club est aussi devenu champion d’Europe par équipe. Le dojo n’a pas manqué non plus de produire de belles individualités.

Le fait de ne jamais quitter cette base que représente un club dans lequel se côtoient des pratiquants de tous âges et de toutes conditions sociales, de s’occuper aussi bien des ceintures blanches que des plus hauts gradés, tout cela lui permettait d’être à l’écoute de tous et d’observer ainsi l’ensemble des motivations. Faire le constat, par exemple, que si les titres glanés apportaient du prestige, ce n’était pas forcément ce qui intéressait le « samouraï de base ». Celui-ci étant souvent, par exemple, attiré par l’aspect self-défense.

En dehors des tatamis, il n’était pas dénué de passion. L’équitation était son deuxième centre d’intérêt, à tel point que dans ce département de l’Yonne qu’il aimait particulièrement, il s’est occupé durant de nombreuses années d’un centre équestre.

Dans la vie, beaucoup de choses l’intéressaient, même s’il posait sur les soubresauts de notre société un regard circonspect et parfois navré. Il était pourvu d’un bon sens désarmant et sa liberté d’action était son bien le plus précieux ; il a toujours refusé les contraintes que pouvaient imposer des organisations trop rigides dans leur fonctionnement. Il avait aussi comme caractéristique un « esprit de conquête » qui le faisait toujours aller de l’avant.

Diminué physiquement en avançant en âge, il « payait » les excès d’une carrière sportive durant laquelle il ne s’était jamais ménagé, il n’a pas voulu envisager de finir sa vie sans pouvoir vraiment la vivre… Il était parfois excessif ! Il l’a prouvé malheureusement une dernière fois le 26 novembre 2004, avant de rejoindre « le jardin du souvenir »  des samouraïs.

Ci-dessous, quelques citations que nous lui devons. Humoristique : «Les catégories de poids ont été inventées pour mettre les poids lourds à l’abri des plus légers ». Compatissant (s’adressant à une personne de grande taille) : «Vous êtes grand, mais ce n’est pas de votre faute ».  Il était aussi très bavard et dans les réunions, c’était très drôle de l’entendre demander à ses interlocuteurs, qui ne pouvaient pas « en placer une », de bien vouloir le laisser s’exprimer.

Il avait aussi un sacré caractère, je suis bien placé pour le savoir, cela n’a pas été tous les jours facile d’être le fils unique de Bernard Pariset, mais est-ce possible de faire une telle carrière sans caractère ?

En janvier 2005, la fédération de judo lui a rendu un bel hommage lors de la cérémonie des vœux. A cette occasion « l’immense » (dans tous les sens du terme) Anton Geesink s’était déplacé et avait pris la parole pour un discours des plus émouvants. En 2006 le ministère des sports l’a promu « gloire du sport». Hommage et récompense amplement mérités.

Sur la photo d’illustration, nous sommes en 1958 à Tokyo, Bernard Pariset se fait remettre des mains du fils de Jigoro Kano son diplôme de demi-finaliste aux championnats du Monde toutes catégories

eric@pariset.net

Retour, pour certains…

Aujourd’hui nous retrouvons un peu de liberté et pour certains le chemin du travail. Qu’il plaise ou non, le métier que l’on exerce est un une nécessité. Pour ceux qui ont la chance de l’avoir choisi et de l’exercer avec  plaisir et avec passion, ce lundi se révélera comme une journée positive, si ce n’est que la crainte de devoir affronter un virus rampant et de nouveaux modes de vie, pourraient doucher quelques enthousiasmes.
Pour ce qui concerne le sport en général et les arts martiaux en particulier, il nous faudra encore nous armer de patience. En espérant qu’un jour nous pourrons reprendre des habitudes qui commencent à manquer aussi  bien aux élèves qu’aux professeurs, à fortiori quand pour ces derniers il s’agit d’un métier à plein temps, je sais de quoi je parle.
Ces deux mois auront été éprouvants pour tout le monde, certes à différents degrés, nous n’étions pas  tous logés à la même enseigne, que ce soit pour les conditions propres à ce confinement ou bien par rapport aux conséquences professionnelles.
Ces dernières semaines  nous avons découvert ou redécouvert de nouveaux mots et de nouvelles expressions : coronavirus, covid19, confinements, déconfinements, reconfinement (celui-là on espère qu’il ne devienne pas familier), gestes barrière, distanciation sociale (quelle horrible expression, lourde de signification, qui a bien pu l’inventer ?). Et puis, le mot « masque » qui n’a jamais du être autant prononcé. Même si cet objet semble indispensable, comme le sont les mesures sanitaires précitées, il ne faudrait pas que  ces éléments  nous imposent de nouvelles habitudes relationnelles. Espérons qu’elles n’altéreront pas de façon durable, et encore moins irréversible, notre manière de vivre en société et quelles ne deviennent pas uniquement la manifestation de la méfiance et de la peur de « l’autre », mais simplement la manifestation du bon sens et d’une entraide mutuelle qui nous fait parfois défaut.
Encore et  toujours, ne nous lassons pas d’espérer.
Bonne semaine et bon déconfinement.

eric@pariset.net

La lettre M de mon dictionnaire…

Comme Thierry Lhermite, allias Popeye dans « Les Bronzés », l’explique si bien : « Mawashi-géri est un coup de pied circulaire, parce qu’il est…circulaire ». Voilà une pédagogie simplifiée ! Et puis : «  ça vient de très loin, du Japon ». Trêve de plaisanterie, sinon : « on me retire ma licence » ! Ce passage culte de la leçon de Karaté, du film qui ne l’est pas moins, nous apprend aussi qu’il est utile d’avoir une certaine souplesse pour pratiquer cet atemi et qu’un bon échauffement s’avère indispensable !

Plus sérieusement, revenons à mawashi-géri ce « coup de pied » qui en plus d’être efficace est esthétique. Il demande peut-être plus de travail et davantage d’habilité que d’autres atemis ; il a ma préférence, c’est pour cette raison que je lui réserve la lettre M de mon dictionnaire.

Une fois bien assimilé, son efficacité est incontestable, surtout lorsqu’il est utilisé dans des situations particulièrement adaptées : en décalé par rapport à la ligne des points vitaux, par exemple.

Ce « coup de pied » on le retrouve dans différents arts martiaux et disciplines de combat sous d’autres appellations, ne serait-ce que dans notre boxe française sous le nom de « fouetté ».

L’esthétisme qui émane de cette technique, correctement appliquée, est aussi une des raisons de mon choix. La beauté du geste (qu’elle soit physique ou mentale) ne me laisse jamais indifférent. Pour l’acquérir elle impose de la rigueur dans la recherche du moindre détail et dans les efforts à fournir. La satisfaction du travail accompli et les résultats seront la récompense. Il s’agit de la recherche du geste parfait dans lequel se conjuguent efficacité et esthétisme.

L’esthétisme que certains (dont je fais partie) apprécient, n’est certainement pas un gadget, comme indiqué plus haut ; il impose rigueur et travail, il différencie l’art martial de la simple méthode de défense. Les efforts que sa recherche impose seront autant de bienfaits pour l’efficacité. Sans cette quête « du beau », du geste parfait, je ne pense pas que j’aurais passé autant de temps sur les tatamis. A mon sens il s’agit d’une importante motivation qui vient s’ajouter aux autres : souplesse, approfondissement, recherche du détail, inlassables répétitions, etc. Autant d’éléments qui renforceront, de fait, l’efficacité. Et puis, à contrario (et n’en déplaisent à ceux qui critiquent cette recherche en arguant que seule l’efficacité compte et qu’il n’y a pas de temps à perdre en fioriture), ce n’est pas parce qu’une technique est esthétique qu’elle n’est pas efficace et à l’inverse (surtout lorsqu’elle est mal exécutée) ce n’est pas le manque d’esthétisme qui donne l’efficacité.

Enfin l’art martial ouvre d’autres horizons, d’autres perspectives, prioritairement en matière éducative ; comme j’aime l’affirmer, cette rigueur et ces règles imposées sur les tatamis pourront être transposées pour une vie sociétale harmonieuse.

Je précise à nouveau que le but de ce dictionnaire – que je me plais à réaliser – n’est pas de détailler les techniques élues, ou de faire une bio complète des personnalités choisies, mais d’expliquer pourquoi leur choix s’impose à moi ; ce qui m’a plu dans ces techniques et ces personnages et ce qu’ils m’ont apporté.

L comme Jean-Claude Leroy…un ami et bien plus !

Aujourd’hui je vous propose la suite de mon dictionnaire des arts martiaux avec la lettre L comme Jean-Claude Leroy.

A une époque où l’on efface encore plus vite que l’on encense, c’est faire preuve de la moindre des corrections que de ne pas oublier ceux qui vous ont marqué et aidé. C’est ce que je m’attache à faire avec mon dictionnaire personnel.

Aujourd’hui je vous parle d’un temps que beaucoup ne peuvent pas connaître. C’était en février 1973, le Service national existait encore et je venais d’être incorporé au Bataillon de Joinville qui, comme son nom ne l’indiquait pas, était basé à Fontainebleau. Ce régiment réunissait des judokas en âge d’effectuer leurs obligations militaires et qui possédaient les qualités requises pour accéder à ce prestigieux groupe. C’est là que j’ai fait la connaissance de Jean-Claude Leroy, un des judokas le plus talentueux que j’ai connu et qui n’a pas eu le palmarès qu’il aurait dû conquérir.

Il était devenu un ami, et peut-être même, parfois un grand frère. Il était mon aîné de deux années et dans beaucoup de domaines il bénéficiait d’une expérience plus importante que la mienne. Ceci étant, je le dis avec humour et sympathie, il n’était pas forcément utile de suivre tous ses conseils, mais il allait de l’avant ; le problème c’est que l’énergie dont il disposait n’était pas assez canalisée.

Ce n’est que mon avis, mais il aurait pu (et dû) devenir notre premier champion du Monde de judo dans les années 1970. Un uchi-mata à gauche dévastateur, un panel impressionnant de techniques autour de ce « spécial », une vitesse exceptionnelle, un sens du combat développé à l’extrême, et une classe folle. En France il a battu les meilleurs de sa catégorie (les « légers », les moins de 63 kilos de l’époque), mais jamais dans la compétition qu’il fallait. Alors que lui a-t-il manqué dans sa conquête du graal ? Peut-être tout simplement l’envie ! Il aimait sans doute trop de choses dans la vie pour se consacrer à une seule. Et puis la beauté du geste lui importait davantage que les reflets de la médaille. Il préférait perdre en ayant tenté de « jolies choses », que gagner « aux pénalités ». Je l’évoque au passé, puisqu’il nous a quittés bien trop tôt au milieu des années 1990.

Né d’une mère vietnamienne et d’un père français il avait un physique fait pour les arts martiaux, surtout au cœur des années 1970, en pleine « période Bruce Lee ». Et comme entre autres qualités il maitrisait parfaitement l’atemi-waza (le travail des coups) grâce à une souplesse naturelle et à son sens du combat déjà évoqué plus haut (sens du combat qui est transposable dans toutes les arts martiaux), il n’aurait pas manqué de briller dans les autres formes d’opposition.

Après avoir passé presque tout notre Service national ensemble, nous avons continué à nous fréquenter ; il habitait dans le Val d’Oise et appartenait à un très grand club : le J.C.V.B. (Judo-Club-Villiers-le Bel). Il est venu enseigner quelques temps au dojo de la rue des Martyrs et surtout il était avec moi au début de l’aventure de l’atémi-ju-jitsu, puisque nous avions été, lui et moi, les deux « acteurs » du premier livre – produit par la F.F.J.D.A. – qui proposait la progression par ceintures. Nous avions réalisé aussi quelques documents vidéo. Puis, comme cela lui arrivait souvent, il disparaissait. C’est sans lui que j’ai continué la croisade pour cette méthode de ju-jitsu.

Le rythme de nos rencontres s’est étiolé au fil des ans ; seul, ce que l’on appelait à l’époque le « Tournoi de Paris » (grand rendez-vous annuel du judo) permettait de nous retrouver en tant que spectateurs attentifs, jusqu’à ce que la maladie nous sépare définitivement. La lettre L de ce dictionnaire ne pouvait que lui être consacrée.

Offrons-nous un troisième K

Toujours dans le cadre du « dictionnaire » Offrons-nous un troisième K avec les Katas.

Il n’est pas inutile de revenir aux premières raisons d’être des katas, à savoir qu’ils sont avant tout des moyens d’apprentissage, des méthodes d’entraînement et qu’ils permettent de codifier et de transmettre les techniques.

Certains les considèrent comme une purge qu’il est nécessaire de s’administrer pour obtenir un grade, ou encore, toujours pour les examens et pour quelques jurys, un moyen d’exercer une autorité ! Que ces « formes imposées » intègrent un ensemble de contenus techniques d’évaluation, cela semble juste, mais ils ne sont pas que cela, heureusement.

Les katas permettent de rassembler dans un enchaînement des techniques par famille et/ou par thème et de leur faire traverser les âges, mais ils sont aussi et surtout de formidables méthodes d’entraînement. Il est dommage que bien souvent ils ne soient abordés et étudiés qu’à l’approche d’un examen. En effet, ils sont le reflet d’un combat, d’un combat codifié, pour des raisons évidentes de sécurité (un bon sens qui parfois échappe à certains), mais il s’agit bien du reflet d’un affrontement et c’est pour cela que les attaques de Uke doivent être sincères et fortes de façon à ce que les ripostes de Tori le soient tout autant ; mais aussi qu’elles soient  réalistes.

Le kata est également un exercice de style, c’est-à-dire qu’une certaine attitude doit être respectée. C’est ce qui différencie l’art martial de la simple méthode de combat ou de self-défense, même si cela ne doit pas être au détriment de l’efficacité, ce qui est parfois le cas.

Ils sont aussi, tout simplement une addition de techniques intéressantes à pratiquer une par une, il n’est donc pas nécessaire d’attendre que se profile à l’horizon un examen pour commencer à les étudier.

Un problème, et même un mystère, demeurent et entourent les katas : il s’agit des  incessantes modifications dont ils sont les victimes, surtout quand elles interviennent sur des détails, pour ne pas dire des broutilles, ce qui a pour effet de décourager bon nombre de pratiquants.

Lors de l’exécution d’un kata pour un examen, l’évaluation doit concerner, avant toutes autres considérations, l’efficacité ; ça passe par la sincérité des attaques et des ripostes. Ensuite, puisqu’il s’agit de formes imposées, il est nécessaire de respecter l’ordre de la présentation, les déplacements et emplacements, sans oublier l’attitude dans laquelle sont exclus désinvolture et relâchement corporel.

Pour conclure, je pense que pour faire apprécier le kata, il suffit simplement de le présenter comme partie intégrante d’une progression  et non pas comme un passage imposé pour accéder au grade supérieur.

En ju-jitsu nous étudions principalement le Goshin-jitsu-no-kata et le Kime-no-kata, qui nous vient presqu’en ligne directe des samouraïs. D’autres enchaînements comme les 16 techniques et ses variantes pourront peut-être, un jour, être considérés comme des katas, mais ayant moi-même eu le plaisir et l’honneur d’être à leur origine, je n’aurai pas la prétention de leur donner cette appellation que je considère comme réservée à des monuments techniques et culturels.

eric@pariset.net