« Voici le deuxième volet concernant la lettre D de mon dictionnaire des arts martiaux. J’ai choisi le mot «dojo ». Comment pouvait-il en être différemment, dans la mesure où il s’agit de lieux où j’ai du passer le plus de temps ? Dans cette série d’articles consacrés à cette quatrième lettre de l’alphabet, j’évoque ceux qui, par leur histoire et la puissance émotionnelle qu’ils ont exercé sur moi, ont marqué pour toujours ma mémoire.
Aujourd’hui, c’est du « Central » dont il est question.
Nous sommes au tout début des années 1970, les entraînements de l’équipe de France de judo sont loin de bénéficier des infrastructures actuelles ; les judokas de l’élite s’entraînent principalement dans leur club respectif et quelques rassemblements se font dans le tout petit dojo de ce qui s’appelait l’INS (Institut nationale des sports) avant de devenir l’INSEP (Institut nationale du sport, de l’expertise et de la performance). Sous la direction d’Henri Courtine le judo français prend un nouvel envol. Parmi les mesures indispensables il fallait mettre à la disposition des champions – et futurs champions – un « site » qui permettrait de les rassembler régulièrement pour des entraînements à la hauteur des ambitions nationales.
Dans le Xème arrondissement de Paris un très vaste local appelé « Le Central » était disponible. Cet endroit, fermé en 1968, avait ouvert ses portes au début des années 1920 ; un ancien hangar avait été transformé en salle de sports. Ce sont principalement des cours et des combats de boxe anglaise qui s’y déroulaient. Il y eut ensuite l’époque du catch, avec des combats mémorables durant lesquelles « l’Ange Blanc » terrassait le « Bourreau de Béthune », ou le « Boucher de la Villette », tout un programme !
Situé au 57 de la rue du Faubourg Saint-Denis dans un quartier populaire de Paris, qui ressemblait à celui de la Rue des Martyrs (se reporter à la première partie du dictionnaire consacré à la lettre D comme Dojo) le Central a donc été repris quelques mois après sa fermeture par la fédération de judo qui pouvait ainsi offrir aux membres de l’équipe nationale un lieu d’entraînement qui, par sa surface, correspondait aux attentes. L’expérience n’a pas duré très longtemps, jusqu’en 1975, je crois. Il était compliqué d’y accéder pour des raisons de circulation, de stationnement, et puis la vétusté du lieu imposait beaucoup d’entretien. Avant d’intégrer définitivement l’INSEP, les entraînements de l’équipe de France ont fait un crochet de quelques mois au Cercle Hoche dans le VIIIème arrondissement ; cette expérience ne s’est pas inscrite dans la durée.
Il n’y a pas que l’attachement que j’avais pour ce quartier populaire devenu maintenant très « bobo », qui anime mes souvenirs. A cette époque les entraînements de l’équipe nationale étaient ouverts à tous les licenciés à partir de la ceinture marron. Il y avait notamment une séance chaque mercredi soir durant laquelle pouvaient s’affronter des anonymes aux champions de l’époque qui s’appelaient Coche, Auffray, Rougé, Mounier, Brondani, Vial, Feist, Noris, Clément, et bien d’autres encore. Les meilleures équipes du Monde ont foulé ce tatami, un des premiers, si ce n’est le premier, a être monté sur ressorts ! D’éminentes personnalités (champions, experts, etc.) sont venues faire profiter, à des centaines de judokas, de leur expérience et de leurs connaissances.
Etant affecté au Bataillon de Joinville (basé à Fontainebleau, comme son nom ne l’indique pas) pendant mon service national, avec l’équipe militaire nous nous y rendions quatre fois par semaine. Autre avantage personnel, après mes douze mois d’armée, comme j’habitais un logement contigu au dojo de la rue des Martyrs, dans l’arrondissement voisin, je pouvais me rendre à pied aux entraînements ; pour un parisien, ce n’est pas négligeable. Cela me donnait l’occasion de traverser plusieurs fois par semaine une partie de ces deux arrondissements que j’appréciais. Et puis ce local chargé d’histoire avait une architecture impressionnante (qui ressemblait étrangement à celle du dojo de la Rue des Martyrs).
Enfin, et c’est quand même pour moi l’essentiel, j’y ai appris énormément et je m’y suis renforcé considérablement physiquement et mentalement.
Aujourd’hui, dans ce quartier en pleine mutation, c’est une école de théâtre qui occupe les lieux.