Anniversaire, ou pas ?

Dans une semaine, si tout va bien, nous devrions retrouver un tout petit peu de liberté et pour certains du travail.

Par contre et bien malheureusement, si on en croit les dernières infos, il est acquis que pour les arts martiaux et les sports dit de contact la reprise ne pourra pas se faire avant la rentrée prochaine, au mieux. J’ai évoqué à plusieurs reprises les fâcheuses conséquences, je n’y reviendrai pas ce matin.

Dans deux mois exactement nous aurions du, avec mes élèves, fêter le premier anniversaire du dojo, mais à moins d’un miracle et devant l’interdiction de nous rassembler, cela semble compromis. Je sais que cela peut paraître dérisoire au regard des événements, mais la vie est aussi faite de quelques futilités et de petits bonheurs ; sinon, vaut-elle la peine d’être vécue ? Et enfin, à titre personnel, le dojo c’est aussi mon métier !

Cela ne m’empêche pas, bien au contraire, de vous souhaiter un très bon dimanche, avec quelques fleurs de saisons. A défaut de pouvoir les cueillir, il est toujours agréable de les regarder.

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J comme JU (souplesse)

Nous arrivons à la lettre J de mon dictionnaire : J comme Ju-Jitsu et Judo, mais tout simplement comme Ju, « la souplesse ».

Il s’agit là de souplesse comportementale, d’un état d’esprit, bien plus que de souplesse physique ; qualité que l’on ne reniera pas, bien au contraire. C’est cette souplesse comportementale qui donne son originalité et sa valeur ajoutée à nos deux arts martiaux, aussi bien en matière d’efficacité dans d’éventuels affrontements qu’en matière d’éduction, à la condition que ces disciplines soient enseignées dans l’esprit qui était celui du fondateur.

De la « technique (ou l’art) de la souplesse » que représentait le ju-jitsu, Jigoro Kano a voulu élargir le champ d’action de l’art martial avec le judo « voie de la souplesse » (jitsu = technique, art ; do = voie). Il souhaitait ainsi démontrer que cette « souplesse » était aussi bien un principe à adopter en opposition lors d’un affrontement physique, que dans le cadre des relations sociétales, professionnelles, familiales ; bref il souhaitait un quotidien rendu harmonieux grâce à l’application de ce précepte. Il ne s’agissait plus d’un simple principe de combat, mais aussi d’une règle de vie.

Ne pas s’opposer à la force brutale en pliant, évitant ainsi de rompre, comme dans « Le chêne et le roseau » est un principe intelligent, mais faire en sorte que cette force, cette puissance de l’adversaire se retourne contre lui, l’est encore davantage ; cela ne relève pas du miracle mais d’une technique, et même d’une technologie de pointe. L’appliquer dans les relations humaines est parfois plus difficile, et pourtant n’est-ce pas essentiel de faire en sorte d’anticiper pour « gérer » au mieux d’éventuels désaccords de façon à éviter les conséquences toujours désastreuses d’un conflit ? C’est en cela que cette souplesse d’esprit est d’une inestimable valeur.

Cette souplesse comportementale ne doit pas être considérée comme un signe de faiblesse, bien au contraire ; n’y a-t-il pas plus belle victoire que celle remportée sans combattre, sans blessure physique ni mentale ?

Jigoro Kano n’hésitait pas non plus à évoquer l’utilité de ce principe dans le cadre professionnel, une sorte de « gagnant/gagnant ». N’y a-t-il pas meilleur accord que celui qui satisfait les deux parties ?  Lorsque le plus fort écrase le plus faible, dans la rue, dans les conflits familiaux, dans le monde du travail : est-ce vraiment une heureuse issue ?

L’acquisition de cette souplesse comportementale ne peut se faire que par l’éducation, la transmission. Cela nous ramène une fois de plus au rôle capital de l’enseignant. Dans les arts martiaux, celui-ci ne doit pas se limiter à être un distributeur de techniques, ni (quant il s’agit de l’aspect sportif) à celui d’un « brailleur » le week-end sur les bords d’un tatami de compétition. Le professeur remplira son rôle par l’apprentissage des techniques de combat, auxquelles seront attachées les valeurs morales inculquées de la façon la plus naturelle possible, en premier lieu par l’exemplarité.

Cette souplesse, ce « Ju » qui différencie l’art martial de la simple activité physique, n’est-il pas aussi et même tout simplement « une forme de philosophie » ? Cette philosophie qui doit permettre de conduire son existence avec sagesse, pour la quête du bien-être… du bonheur, tout simplement.

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I comme Ippon Seoi Nage…retour du dictionnaire

Retour au dictionnaire et à un article plus technique, avec la lettre I comme Ippon Seoi Nage.

Mon but n’est pas de développer une étude approfondie, mais d’expliquer simplement les raisons de mon engouement pour cette projection qui est l’une des plus emblématiques du ju-jitsu et du judo. Elle est utilisée aussi bien en self-défense qu’en compétition. J’ai une affection particulière pour elle, et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, c’est une des premières projections que l’on apprend, bien qu’elle ne se réalise pas aussi facilement que l’on puisse l’imaginer lorsque nous la regardons exécutée par un spécialiste. Mais, répondant à des principes naturels, si elle est bien expliquée, son apprentissage se fait assez rapidement ; elle offre une des premières satisfactions aux nouveaux étudiants. De plus, Tori (celui qui exécute), même s’il est encore balbutiant, ne rencontre pas de difficultés particulières pour bien retenir Uke (celui qui subit) dans la chute, ce qui est rassurant et sécurisant. L’aspect spectaculaire ne retire rien au plaisir de la réaliser ou de la voir bien exécutée.

Son principe de base consiste tout simplement à faire passer le partenaire « par-dessus nous », en se servant de son déséquilibre avant. Celui-ci étant obtenu de différentes manières, selon que l’on se situe en ju-jitsu ou en judo. Comme dans toutes les techniques il existe des variantes, elles sont fonction du gabarit, mais aussi de l’influence du professeur.

En ju-jitsu, elle est utilisée aussi bien sur des attaques venant de face, comme un coup « en marteau » en direction de la tête, que sur des saisies arrière, à la gorge ou au dessus des bras. En judo le nombre des opportunités, combinaisons, contres, liaisons debout-sol est colossal.

Ippon Seoi Nage, en règle générale, est pratiqué par des plus petits sur des plus grands, puisque passer sous le centre de gravité est la première des conditions. Bien exécutée, cette projection ne demande pas d’efforts physiques particuliers, ce qui par ailleurs doit être la condition de toutes les techniques, puisqu’à l’origine la non-opposition, l’utilisation de la force de l’adversaire et l’utilisation la plus rationnelle de notre propre énergie, sont les fondements du ju-jitsu. On pourrait facilement prendre Ippon Seoi Nage comme modèle pour expliquer des principes parfois négligés et même oubliés.

Enfin, si j’apprécie particulièrement cette technique c’est aussi parce qu’elle était l’un des redoutables « spéciaux » de mon père qui, lors de ses exploits sportifs, a « terrassé » plus d’un « grand » grâce à elle. Par atavisme, mimétisme et avec un excellent apprentissage, elle est devenue l’une de mes projections favorites.

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Déception et des questions

A défaut de pouvoir cueillir quelques brins de muguet le 1er mai nous pensions pouvoir bénéficier « d’un brin de liberté » le 11 mai ! Ce sera un maigre brin !

Pour certains départements classés «rouges», c’est pratiquement le même confinement qui sévira, avec les dommages que nous endurons depuis deux mois. Est-ce un test sur nos capacités de résistance ? Elles ont forcément des limites, nous ne sommes pas des machines. Surtout quand les conditions de confinement ne sont pas les meilleures (appartement, solitude, etc.). Pour Paris, par exemple, ça se limitera donc très souvent à… Paris (avec les parcs sans doute toujours condamnés)  !

Et puis il y a cette menace de continuer et/ou de reprendre la privation de circuler librement.

Comme nous pouvions nous y attendre, nous n’avons donc pas beaucoup progressé et certaines mesures ont des allures d’usines à gaz, comme seuls des technocrates déshumanisés et éloignés du terrain savent nous en imposer. Les mesures attachées à l’école, par exemple. Quant aux transports en commun ça se passe de commentaires.

Certes il nous faut  combattre un redoutable adversaire et il n’est sans doute pas utile (pour le moment) de revenir sur les moyens préventifs qui auraient du être mis en place et dont les carences nous distinguent de beaucoup de nos voisins européens. Et puis il faut espérer que le fait de continuer à limiter certains rassemblements ne cache pas d’autres intentions.

Dans tous les cas les combats que nous devrons mener dans les semaines et les mois à venir ne sont pas moins redoutables. les premières conséquences de l’arrêt de l’activité sont apparues, elles sont effrayantes sur le plan social et sur l’accentuation de la misère, tout cela engendrera une crise sanitaire sans précédent.

Pour ce qui concerne le sport et les arts martiaux, le secteur qui nous concerne, rien de nouveau, toujours cette incertitude lancinante et malfaisante.

Avant-hier j’évoquais le problème d’une dé-fidélisation possible dans nos disciplines, certains me faisaient remarquer que les vrais fidèles seront toujours présents au moment de la reprise, mais cela suffira-t-il pout faire vivre les structures ? Le vrai problème, si les clubs ne peuvent pas ouvrir, c’est qu’ils ne bénéficieront pas de nouvelles vocations, par la force des choses. Et même si une ouverture se profilait, les conditions qui l’accompagneront s’annoncent aussi draconiennes que dissuasives. Or, on sait qu’il en est des clubs comme d’une population, s’il n’y a pas de nouveaux, il y a forcément extinction.

Il faut savoir que les statistiques des fédérations font état d’environ 50% d’abandons à chaque nouvelle saison ; et cela en temps de normal. On peut facilement envisager les dégâts dans la période trouble que nous traversons.

Au moment où l’on nous donnera une date de réouverture, il nous faudra un grand pouvoir de persuasion pour convaincre de futurs samouraïs ! Nous n’en sommes pas démunis, en espérant qu’il ne sera pas trop tard !

Les principales victimes de ce déconfinement sont : la culture, le sport et les lieux de convivialités. La conjugaison de leur fermeture est inédite, à ma connaissance ! Souhaitons qu’elle soit la moins longue possible !

(L’illustration est l’œuvre d’Utagawa Toyokuni)

H comme Honneur…(reprise du dictionnaire)

Reprise du « dictionnaire » (et rediffusion) avec la lettre H. H comme Honneur.

Pour les samouraïs il s’agissait d’une valeur qui n’avait pas de prix ; presque systématiquement sa perte les conduisait à l’acte ultime, le hara-kiri ou seppuku. Il est vrai que leur rapport à la mort était différent de celui qui est le nôtre. Il n’empêche, l’honneur est une des plus fortes valeurs que nous nous devons de défendre, à fortiori pour un pratiquant d’arts martiaux. Elle est inestimable et ne pas la respecter, surtout pour un éducateur, c’est commettre une faute inqualifiable.

Même dans notre beau pays, et jusqu’au siècle dernier, lorsque l’on estimait qu’il était bafoué, il était fréquent (et autorisé) de demander réparation à l’occasion d’un duel à l’épée ou au pistolet.

La définition qu’en donne le Larousse est la suivante : « Ensemble de principes qui incitent à mériter l’estime de soi et des autres ». Quels sont ces principes ? Et quelle est l’estime la plus précieuse, entre celle que l’on a de soi et celle que les autres nous portent ?

Les principes, d’abord. Dans le code moral du judo-ju-jitsu affiché dans tous les dojos (mais pas toujours appliqué) on peut lire à propos de l’honneur : « C’est être fidèle à la parole donnée ». Cela m’inspire trois remarques. D’abord l’honneur devrait figurer en première place et non pas en quatrième, comme c’est le cas, ensuite il pourrait tout simplement s’appeler le Code d’honneur, il existe bien le Code d’honneur des samouraïs ! Enfin, même si la fidélité peut englober un ensemble de principes, on peut être plus généreux dans l’énumération des qualités qui correspondent à l’idée que l’on se fait de l’honneur. L’honneur, c’est aussi le respect des autres (ceux qui le mérite), de son métier, de ses convictions, du gout de l’effort et de la rigueur. Parfois il s’agit d’un dépassement de soi lorsque cela est nécessaire, notamment face à l’adversité. Effectivement, c’est aussi le respect de la parole donnée, un comportement dans lequel sont exclues lâcheté et traitrise (ce qui n’est pas facile pour certains). .

Il ne faut pas confondre honneur et héroïsme. Se montrer héroïque mérite les honneurs, mais le bon accomplissement de notre vie quotidienne, sans faillir, est aussi « tout à notre honneur », comme la réalisation d’une mission qui nous a été confiée.

L’honneur, c’est tout simplement pouvoir se regarder dans la glace en toute sérénité. Personne ne peut revendiquer la perfection, tout le monde a sa part d’ombre et ses défauts, mais il y a des actes et des agissements qui font baisser le front.

Ensuite, entre l’estime que l’on a de soi et celle des autres vis-à-vis de nous, quelle est la plus importante ? Sans hésiter, celle envers soi-même. Traiter avec sa propre conscience est difficile. Quant à l’estime des autres, cela dépend de « qui sont les autres » ; une simple remarque d’une personne que l’on respecte est mille fois plus importante que les déblatérations d’un individu que l’on méprise et/ou qui n’a rien accompli de convenable, ce qui va souvent de paire.

Pour conclure, je pense que la défense de son honneur ou de celle d’une personne que l’on aime, que l’on admire et que l’on respecte est un devoir.

Le but de cet article est de donner en quelques lignes mon avis sur une valeur qui mérite davantage de développement, ce qui ne manquera pas d’être fait à l’occasion de la parution future – du moins je l’espère – de « mon dictionnaire (complet) des arts martiaux ».

eric@pariset.net

Les arts martiaux menacés ?

Je ne reviendrai pas sur le confinement, si ce n’est pour dire qu’il est temps qu’il s’arrête et que nous puissions passer à la suite, mais quelle suite et dans quelles conditions ? Surtout qu’à priori, ce n’est pas encore une « vie normale » qui nous attend le 11 mai, loin de là.

Il ne viendrait à l’idée de personne de sous-estimer les graves conséquences qui nous attendent . Bien malheureusement, peu de secteurs seront épargnés, nous allons connaître une crise sociale dévastatrice débouchant elle-même sur une crise sanitaire qui ne le sera pas moins ; nous commençons déjà à en ressentir les premiers effets.

Certains domaines seront plus touchés que d’autres. En premier lieu ceux qui subissent un arrêt total d’activité depuis le 16 mars, sans date précise de reprise, ce qui entretien une terrible incertitude qui ne calme pas l’inquiétude.

Parmi les nombreux secteurs impactés il y a la restauration, l’hôtellerie et les bars. Mais aussi les cinémas, les théâtres, tous ces lieux de rassemblements culturels (d’ailleurs il n’y a pas que sur le plan économique que cela interpelle).

Et il y en aura bien d’autres, notamment un domaine qui me concerne particulièrement, celui du sport en général et des arts martiaux en particulier. Certains médias ont évoqué la disparition des arts martiaux, tout du moins l’impossibilité de les pratiquer durant une période relativement importante. Ce qui engendrerait chez les élèves une « défidélisation » temporaire et peut-être définitive.

Plusieurs aspects doivent être pris en considération. Nous savons que l’activité physique est essentielle et préventive, que le loisir est bon pour le moral. Ensuite sur le plan économique ; il faudrait être irresponsable pour ne pas l’évoquer. Sans ignorer l’aspect psychologique dévastateur qu’entraîne la mise au rebut d’une activité pratiquée avec passion depuis des années. Mais  comment pouvoir appliquer les fameux « gestes barrières », dans des disciplines qui par définition demandent un contact inévitablement rapproché entre deux partenaires ?

Certes, nous ne manquons ni de méthodes d’entraînement, ni d’exercices que l’on peut pratiquer en solo ; beaucoup s’y adonnent d’ailleurs depuis maintenant deux mois.
Mais pour progresser et s’épanouir dans les projections ou dans le travail au sol, l’ours en peluche à qui certains ont attribué le rôle d’Uke a atteint ses limites, il fatigue.

Dans nos disciplines l’aboutissement qui est la maîtrise (pacifiste) du partenaire en le projetant ou en le forçant à l’abandon à l’aide d’une clef, par exemple, implique forcément un contact entre les protagonistes.

D’autre part, ne plus pouvoir pratiquer une méthode de combat qui donne confiance en soi et permet, le cas échéant, de se défendre paraît « bizarre ». Il existe dans le passé quelques exemples que l’on voudrait chasser de notre esprit.

Je sais, en tant que combattant, qu’il ne faut jamais abdiquer, qu’il ne faut jamais  « baisser les bras », qu’il faut y croire jusqu’au bout, relever les défis, mais là le combat est d’une inégalité patente. Combattre à mains nues, c’est un peu dans l’ADN de la plupart des arts martiaux, dont le ju-jitsu, mais en ce moment, nous combattons en toute impuissance, pieds et poings liés, attachés à un poteau d’exécution ! Pas facile de réagir dans telles conditions, si ce n’est d’attendre un sauveur, un justicier « masqué », par exemple !

Il faudra pourtant que les survivants survivent !

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L’école du combat sans arme…

Une petite pause dans la présentation du dictionnaire avec une courte histoire extraite, une fois de plus, du recueil « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ». L’art de vaincre sans combattre. L’intelligence au service de la victoire.   :

« Le célèbre Maître Tsukahara Bokuden traversait le lac Biwa sur un radeau avec d’autres voyageurs. Parmi eux, il y avait un samouraï extrêmement prétentieux qui n’arrêtait pas de vanter ses exploits et sa maitrise du sabre. A l’écouter, il était le champion toutes catégories du Japon. C’est ce que semblaient croire tous les autres voyageurs qui l’écoutaient avec une admiration mêlée de crainte. Tous ? Pas vraiment, car Bokuden restait à l’écart et ne paraissait pas le moins du monde gober toutes ces sornettes. Le samouraï s’en aperçut et, vexé, il s’approcha de Bokuden pour lui dire : «Toi aussi tu portes une paire de sabres. Si tu es samouraï, pourquoi ne dis-tu pas un mot » ? Budoken répondit calmement :

-« Je ne suis pas concerné par tes propos. Mon art est différent du tien. Il consiste, non pas à vaincre les autres, mais à ne pas être vaincu. »

Le samouraï se gratta le crâne et demanda : –

– « Mais alors, quelle est ton école ? »

– « C’est l’école du combat sans armes. »

– « Mais dans ce cas, pourquoi portes-tu des sabres ?

– « Cela me demande de rester maître de moi pour ne pas répondre aux provocations. C’est un sacré défi. »

Exaspéré, le samouraï continua :

-« Et tu penses vraiment pouvoir combattre avec moi sans sabre ? »

– « Pourquoi pas ? Il est même possible que je gagne ! »

Hors de lui, le samouraï cria au passeur de ramer vers le rivage le plus proche, mais Bukuden suggéra qu’il serait préférable d’aller sur une île, loin de toute habitation, pour ne pas provoquer d’attroupement et être plus tranquille. Le samouraï accepta. Quand le radeau atteignit une île inhabitée, le samouraï sauta à terre, dégaina son sabre, prêt au combat.

Budoken enleva soigneusement ses deux sabres, les tendit au passeur et s’élança pour sauter à terre, quand, soudain, il saisit la perche du batelier, puis dégagea rapidement le radeau pour le pousser dans le courant.

Budoken se retourna alors vers le samouraï qui gesticulait sur l’île déserte et il lui cria – « Tu vois, c’est cela, vaincre sans arme ! »

Geesink, un géant avec un grand G

Geesink, un géant avec un grand G

Aujourd’hui, mon dictionnaire s’attaque à un monument du judo. La lettre G ne pouvait être consacrée qu’à Anton Geesink. Pour moi, il représente un géant en 3 G. Géant par sa taille, par sa carrière et pour l’enfant que j’étais.

Un géant par sa taille d’abord. Un mètre quatre vingt dix huit ! Assez banal pour un néerlandais, mais pas pour l’enfant que j’étais la première fois que je l’ai vu !  Ce ne sont pas uniquement des prédispositions naturelles qui lui ont donné ce corps d’athlète hors-normes, mais aussi un travail de Titan, une appellation qui lui sied très bien, par ailleurs. C’est aussi le résultat de séances d’entraînement monstrueuses sur les tatamis, mais également en extérieur avec une musculation faite à l’aide d’éléments naturels, comme avec les troncs d’arbres du Massif des Maures en été, quand il venait au camp du Golf Bleu. Un gabarit de poids lourds, mais avec la rapidité d’un poids léger et tout en haut de ce corps une volonté de fer.

Un géant par son œuvre. Une carrière phénoménale ; il a eu tous les titres, dont le plus prestigieux : champion olympique à Tokyo en 1964 en clouant au tapis le japonais Kaminaga. Ce jour là, c’est toute une nation qu’il a fait pleurer. Il a bien sûr été champion du Monde, en signant un autre exploit lors de la troisième édition de ces « mondiaux » à Paris en 1961 en battant à la suite, les trois meilleurs poids lourds japonais du moment ; en ¼ de finale, ½ finale et finale. Il s’agissait de Kaminaga (déjà), Koga et Sone. Par ippon, s’il vous plait. Il possédait toutes les qualités requises : une parfaite technique debout et au sol, une rapidité exceptionnelle, une puissance surnaturelle et une volonté indestructible.

Enfin, un géant pour l’enfant que j’étais. La première fois que j’ai vu Anton Geesink, j’avais quatre ans et c’était au Camp du Golf bleu à Beauvallon-sur-mer, en face de Saint-Tropez. Chaque été, dans les années 1950, 1960 et jusqu’en 1990, les meilleurs judokas mondiaux s’y rassemblaient. Mon père avec Henri Courtine et Anton Geesink assuraient l’encadrement au tout début de l’aventure de ce club qui alliait «vacances et judo ». Ceux qui l’ont fréquenté, ne serait-ce qu’une seule fois, ne peuvent l’oublier. Donc, nous passions presque les trois mois d’été dans le Var et c’est là que pour la première fois j’ai approché Anton Geesink. L’enfant de quatre ans que j’étais n’avait aucune idée de ce que représentait un palmarès de judoka, par contre ce géant l’impressionnait, par sa taille bien sûr, mais aussi par sa musculature, par un visage volontaire, un timbre de voix très grave, bref, il était fascinant . Comme beaucoup de néerlandais il parlait plusieurs langues dont un français presque parfait, avec cet accent et cette voix qui raisonnent encore dans ma tête aujourd’hui.

Et puis, entre lui et mon père, il y avait toute une histoire sur laquelle je ne manquerai pas de revenir plus tard. On peut juste dire que les deux hommes – adversaires sur les tatamis – s’appréciaient et se respectaient au-delà de l’imaginable. En 2000, dans un entretien publié dans le journal l’Equipe, Geesink déclarait que, hors japon, l’adversaire qu’il redoutait le plus s’appelait Bernard Pariset. Autre hommage que je n’oublierai jamais, en janvier 2005 il avait tenu à être présent lors de la cérémonie organisée par la fédération française de judo pour rendre hommage à mon père, disparu tragiquement quelques semaines avant. Il avait pris la parole pour lui rendre un vibrant hommage, avec gravité, émotion, mais aussi avec humour. Un humour particulier qui me plaisait énormément.

Lors d’une suite à cet article consacré à ce géant, je reviendrai sur des impressions, des sentiments et des anecdotes plus personnelles.

Anton Geesink était né en 1935 à Utrecht, une rue porte son nom dans cette ville, il nous a quittés en 2010.

eric@pariset.net

F comme être le Fils de…

Nous arrivons à le lettre F de mon dictionnaire, F comme être le Fils de…Bernard Pariset.

Etre le fils ou la fille de quelqu’un, cela arrive à tout le monde. Etre le fils ou la fille d’une personnalité, même dans un petit cercle comme celui du judo de l’époque, c’est singulier ! A fortiori quand le chemin emprunté est identique à celui du parent en question.

Personnellement, dès la plus jeune enfance, se manifestait un sentiment de fierté, ensuite s’imposait la nécessité de faire mes preuves.

Ce n’était pas banal d’avoir un père champion de judo, surtout à un moment de l’histoire où cette discipline commençait juste à être connue dans notre pays, que les catégories de poids n’existaient pas et que la réputation paternelle était celle du « petit qui faisait tomber les grands ». Dans le milieu sportif et même au-delà il était presque considéré comme un héros, en tout cas il l’était pour moi. Ensuite, qu’il devienne mon professeur, me faisant ainsi profiter d’un enseignement exceptionnel, était une chance. Comme cela en a été une autre, qu’il m’apprenne mon métier.

Son parcours et sa forte personnalité ajoutés au fait que je sois fils unique m’ont placé parfois dans des situations difficiles ; en fonction de certaines circonstances dans lesquelles sévit la jalousie, par exemple.

Comme indiqué plus haut en introduction, cette situation impose de « faire ses preuves », la comparaison ne peut être évitée de la part de certains. Lorsque l’on est un peu plus « affuté » dans la réflexion, on admet que « comparaison n’est pas raison » et que les époques ne sont pas les mêmes, les disciplines et les arts évoluent, la société aussi. Et puis, il y a les circonstances, les hasards et les nécessités, les aspirations personnelles, etc. Par exemple, je me suis tout de suite passionné par la remise en valeur du ju-jitsu (initiée justement par mon père, ancien compétiteur et pourtant fervent défenseur de l’aspect utilitaire et traditionnel du ju-jitsu). Cette belle croisade m’a permis, tout en construisant quelque chose, de me faire connaitre et reconnaitre avec des actions différentes, mais en restant dans le même milieu.

Mon père ne considérait pas comme un aboutissement le fait que je me constitue un palmarès important en judo, il estimait que l’essentiel était que j’apprenne bien mon métier et que je l’exerce tout aussi bien. Il connaissait parfaitement les conséquences en termes de séquelles physiques engendrées par le haut niveau dans les sports de combats ainsi que les aléas de la victoire.

Quant on appartient au même milieu, les responsabilités sont importantes. Elles vous obligent à continuer à faire briller le nom qui vous a été légué. Je pense ne pas avoir démérité grâce à quelques actions en faveur du ju-jitsu.

Maintenant, il faut être franc, le besoin de s’affranchir existe, comme celui de faire ses preuves pour être reconnu – par et pour son travail – bref, tout en assurant la pérennité du patronyme on ressent le besoin de « se faire un prénom ».

A ce sujet, il y a une anecdote que j’aime beaucoup et que je n’ai aucun scrupule à raconter dans la mesure où c’est mon père lui-même qui me l’avait rapportée.

Cela se passait au milieu des années 1980. Louis Renaudeau, professeur en Vendée, à La Roche-sur-Yon et aux Herbiers, avait souhaité que ce soit mon père (le plus haut gradé du judo français avec Henri Courtine) qui vienne lui remettre son 5ème dan.

Avant de continuer, il faut souligner que j’étais venu à de multiples reprises dans le bocage vendéen pour y animer des stages et participer à des galas magistralement organisés par Louis Renaudeau. Au début de la cérémonie, et avant la remise du grade, la personne qui officiait au micro faisait état du palmarès exceptionnel de mon père : champion de France et d’Europe toutes catégories, demi-finaliste aux championnats du Monde toutes catégories, ainsi que des titres de toutes les fonctions qu’il avait occupées : entraîneur national, directeur des équipes de France, membre de la Commission nationale des grades, etc. Puis, il marqua un temps avant de conclure cette présentation par : « et papa d’Eric Pariset ». C’est à ce moment qu’une clameur venue de l’assistance s’est manifestée, ainsi que des applaudissements, qui pouvaient laisser à penser qu’enfin… on leur annonçait une référence ! Je le répète, si ce n’avait été mon père lui-même qui m’en avait fait part, jamais je ne me serais permis d’évoquer cette séquence. J’avoue avoir été touché par celle-ci qui prenait d’autant plus de saveur qu’elle était rapportée par mon père lui-même. Il l’avait fait avec un humour emprunt d’une certaine fierté, du moins il me semble.

Ses connaissances, son parcours, mais aussi son caractère, son charisme, sa rapidité de réaction (pas seulement sur les tatamis) et bien d’autres qualités, même si parfois il n’était pas tendre dans ces principes éducatifs, forment un ensemble qui me permet d’affirmer que je ne suis pas le « fils de personne ».

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E comme Enchaînement (troisième partie)

 

E comme Enchaînement (troisième partie)

Nous arrivons au troisième et dernier volet consacré à la lettre E de mon dictionnaire : E comme Enchaînement. Le premier volet proposait une présentation générale des enchaînements créés, le deuxième était consacré aux plus important d’entre eux, à savoir les « 16 techniques ». Aujourd’hui je propose un rapide historique de ceux qui sont venus après.

Très vite, à la suite des « 16 », sont apparues les « 16 bis » et les « 16 ter ». Leur appellation ne relève pas d’une forte originalité, à l’inverse de leur composition. A partir de placements et d’attaques identiques à celles des « 16 de base », des combinaisons plus élaborées et d’un niveau plus élevé sont proposées. L’objectif étant toujours le même : s’élever et progresser dans le domaine technique.

Par la suite, avec les « 16 contrôles », un autre enchaînement original a vu le jour. Une fois de plus, dans le souci de faciliter la mémorisation, les attaques sont identiques à celles des « 16 », mais les ripostes sont uniquement consacrées au domaine des contrôles en clefs. C’est une façon d’élargir encore et toujours le panel technique, mais aussi de mettre l’accent sur les moyens de maitriser un adversaire – en fonction des circonstances – et sans forcément que cela lui soit fatal ; Il est utile de prendre en considération l’aspect « légitime défense », mais également celui du respect de la vie.

Quant aux « 24 techniques », leur histoire – déjà évoquée il y a quelques temps sur ce blog – est très simple : en 1992, un professeur de judo ignorant tout (ou presque) du ju-jitsu était venu me trouver afin que je l’aide à préparer l’unité de valeur  ju-jitsu pour l’acquisition de son 5ème dan technique judo-ju-jitsu. Pour cette U.V. il était demandé de présenter un enchaînement libre dans lequel devait être démontrés les différents aspects de notre discipline (c’était l’époque où dans le « grande institution » était encore pratiqué un « ju-jitsu normal »). Nous ne bénéficiions pas de beaucoup de temps, il fallait donc procéder avec méthode, de façon à proposer le plus possible de situations d’attaques et mettre en face un maximum de techniques, de familles de techniques, de schémas de riposte, de finalités et, détail important, que ce soit assez facile à mémoriser ; cela explique les huit séries dans lesquelles on trouve dans chacune d’elles, trois attaques appartenant à un même groupe. Trois défenses à mi-distance, trois sur coups de poing, trois sur coups de pied, puis sur saisies avec bras tendus, puis « au corps à corps », ensuite sur couteau, bâton et revolver.

Enfin, il y a un dernier enchaînement, mis au point en 2015, et qui propose quinze défenses sur diverses attaques et pour lesquelles les ripostes mettent en valeur la liaison « coups-contrôles » (atemi-waza et katame-waza).

Je n’oublie pas les « 16 atemis », mais je les mets un peu à part dans la mesure où cet exercice est le fruit d’une collaboration « père-fils ». En s’inspirant des katas tels que le kime-no-kata et le goshin-jitsu il permet de progresser dans un domaine qui, dans notre art, ne doit pas être considéré comme une finalité, mais qui facilite la possibilité d’y parvenir. Dans certaines situations, il procure un déséquilibre indispensable. Il est aussi utile de rappeler qu’en ju-jitsu l’atemi-waza doit être pratiqué dans des postures qui facilitent les liaisons avec les autres composantes (projections et contrôles).

Un dernier mot à l’attention de ceux qui pourrait s’interroger sur la redondance du chiffre 16 pour leur signifier qu’il ne s’agit pas de raisons mystérieuses, n’y mystiques, mais simplement du fruit du hasard.

D’autres enchaînements, issus de recherches personnelles et d’expérience sont « en gestation ».

eric@pariset.net