Petite histoire

Cette semaine, à la place de l’article technique, une petite histoire savoureuse extraite du recueil « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ».

L’art de vaincre sans combattre. L’intelligence au service de la victoire. Un concept qui n’a pas d’âge, et pourtant…

« Le célèbre Maître Tsukahara Bokuden traversait le lac Biwa sur un radeau avec d’autres voyageurs. Parmi eux, il y avait un samouraï extrêmement prétentieux qui n’arrêtait pas de vanter ses exploits et sa maitrise du sabre. A l’écouter, il était le champion toutes catégories du Japon. C’est ce que semblaient croire tous les autres voyageurs qui l’écoutaient avec une admiration mêlée de crainte. Tous ? Pas vraiment, car Bokuden restait à l’écart et ne paraissait pas le moins du monde gober toutes ces sornettes. Le samouraï s’en aperçut et, vexé, il s’approcha de Bokuden pour lui dire : «Toi aussi tu portes une paire de sabres. Si tu es samouraï, pourquoi ne dis-tu pas un mot » ? Budoken répondit calmement :

-« Je ne suis pas concerné par tes propos. Mon art est différent du tien. Il consiste, non pas à vaincre les autres, mais à ne pas être vaincu. »

Le samouraï se gratta le crâne et demanda :

– « Mais alors, quelle est ton école ? »

– « C’est l’école du combat sans armes. »

– « Mais dans ce cas, pourquoi portes-tu des sabres ?

– « Cela me demande de rester maître de moi pour ne pas répondre aux provocations. C’est un sacré défi. »

Exaspéré, le samouraï continua :

-« Et tu penses vraiment pouvoir combattre avec moi sans sabre ? »

– « Pourquoi pas ? Il est même possible que je gagne ! »

Hors de lui, le samouraï cria au passeur de ramer vers le rivage le plus proche, mais Bukuden suggéra qu’il serait préférable d’aller sur une île, loin de toute habitation, pour ne pas provoquer d’attroupement et être plus tranquille. Le samouraï accepta. Quand le radeau atteignit une île inhabitée, le samouraï sauta à terre, dégaina son sabre, prêt au combat.

Budoken enleva soigneusement ses deux sabres, les tendit au passeur et s’élança pour sauter à terre, quand, soudain, il saisit la perche du batelier, puis dégagea rapidement le radeau pour le pousser dans le courant.

Budoken se retourna alors vers le samouraï qui gesticulait sur l’île déserte et il lui cria – « Tu vois, c’est cela, vaincre sans arme ! »

Les sutemi…

Ils sont l’illustration parfaite du principe de non opposition et de celui de l’utilisation de la force de l’adversaire. Dans notre langue, nous les appelons les « techniques de sacrifices », en effet, pour les appliquer il faut s’effacer devant l’adversaire en se mettant volontairement au sol, sur le dos ou le flanc. Les sutemis sont de fait praticables par tous les gabarits et notamment les plus faibles sur les plus forts.  Par conséquent, une fois bien maîtrisés, leur efficacité est redoutable. Tomoe-nage la fameuse « planchette japonaise » est le plus célèbre d’entre eux.

Dans leur exécution, non seulement on ne s’oppose pas à la force de l’adversaire, mais on y ajoute la nôtre. Même dénué de toute puissance, il suffit de « conduire » celle de l’opposant. A partir de là, « tout le monde peut faire tomber tout le monde ». Nous sommes au cœur de l’efficacité du ju-jitsu tel qu’il doit être enseigné et pratiqué.

Certes sans action offensive de l’adversaire, il est impossible d’appliquer ces principes d’addition de force, mais le ju-jitsu (bien présenté) a toujours revendiqué le titre de méthode de défense et non pas d’attaque.

En judo, avec l’avènement de la compétition et des catégories de poids, certaines projections ont dû être adaptées, c’est le cas des sutemis ; dans la mesure où, à technique (presque) équivalente et à poids égal, les principes de base n’ont plus les même effets, y compris celui de la surprise pour la personne qui en agresse une autre et qui n’envisage pas forcément que celle-ci puisse se défendre en utilisant de telles techniques. Le meilleur exemple d’adaptation, pour lequel on peut presque utiliser le terme de nouvelle technique, s’appelle tomoe-nage avec l’apparition du yoko-tomoe-nage. Cette dernière forme ne trouvant sa raison d’être que dans le randori et le combat de judo. Il n’existe pas vraiment d’applications en self défense. Une analyse approfondie de cette belle technique pourra faire un beau sujet par la suite.

Il y a donc des différences techniques mais aussi d’utilisation selon que l’on se trouve dans le cadre de la (self) défense ou bien dans celui du judo.  Ne serait-ce que dans la rue, sur un sol dur, nous nous placerons sur le dos qu’en dernière analyse, lorsque la poussée est tellement forte que nous sommes déjà en déséquilibre et que l’application de techniques, comme hiza-guruma, par exemple, qui nous laisserait debout, n’est plus possible. A l’inverse, en judo les sutemis peuvent être pratiqués directement, comme toute autre technique.

Il existe aussi les « makikomi », ils sont un peu les « cousins éloignés » des sutemis. Littéralement, il s’agit de techniques d’enroulement. Le corps de Tori venant au contact de celui d’Uke pour l’entraîner avec lui jusqu’au sol. La différence essentielle réside dans le fait que pour les sutemis, il y a séparation des corps durant l’action et que pour les makikomi, c’est l’inverse, l’efficacité se réalisant dans le plus étroit contact entre les deux protagonistes (au profit de Tori, évidemment, qui emmène le corps d’Uke avec le sien dans une synergie rotative). Le point commun étant que dans les deux cas l’idée est d’entraîner l’adversaire au sol en y allant soi-même.

La maîtrise de ces « techniques de sacrifices » requiert de la patience, comme toutes les autres, mais leur parfaite exécution, qui donne l’impression d’agir sans aucun effort et même de façon un peu magique, procure une joie supérieure à celle ressentie dans la réalisation des autres projections. C’est en tout cas un sentiment que je ne pense pas être le seul à partager.

Enseignement

Parmi les trois grands axes (  enseignement, démonstrations et publications ) qui ont animé ma vie professionnelle, c’est naturellement l’enseignement qui a occupé la plus grande part de mon activité, c’est aussi celui qui m’a donné le plus de satisfactions.

Les cours dans mes différents dojos et les stages en France et à l’étranger ont été mon cœur de métier. Sans surprise, c’est au ju-jitsu que j’ai consacré le plus de temps avant le judo et la boxe française. Bien qu’ayant suivi la formation de ce que l’on appelait « l’Ecole des cadres », je revendique une pédagogie de terrain, d’instinct et d’expérience. Il y a des choses qui s’apprennent essentiellement dans l’action, pour peu que l’on possède un peu de bon sens et de sensibilité.

Dans l’enseignement,  il ne suffit pas de maitriser parfaitement un bagage technique et d’avoir suivit des cours de formation réservés aux futurs enseignants pour être capable de bien transmettre. Il faut être pourvu (entre autres) de deux vertus principales : la passion et  la capacité d’adaptation. Cela peut sembler évident, et pourtant.

La passion d’abord. Certains métiers ne peuvent s’exercer sans. L’enseignement en fait partie. Certes, il y a des professeurs qui vont donner leurs cours en  « trainant les pieds », pour différentes raisons, à ce moment là, il s’agit d’un calvaire pour l’enseignant et d’une catastrophe pour l’élève. Quelque soit la discipline, l’enseignement est un métier enthousiasmant, mais difficile, il réclame beaucoup d’énergie. Donc, il faut être animé par cette passion qui fournira l’indispensable énergie  à l’accomplissement de la mission, quelques soient les circonstances.

La capacité d’adaptation. Certes on peut choisir son public, son affectation (pas toujours), se spécialiser. Si on prend l’exemple d’un art martial, il est possible d’être amené à enseigner aussi bien à des enfants de quatre ans qu’à des adultes non sportifs. Ce  n’est pas la même approche, dans l’esprit et dans la forme.  Il y aussi les objectifs recherchés ou imposés. Si nous sommes dans le loisir, l’utilitaire ou la compétition.

Cette capacité d’adaptation est aussi valable dans un cours en fonction du ressenti dans l’application d’un programme préparé, à moins qu’il y ait un objectif bien précis à court terme.

Dans tous les cas, les premières séances seront déterminantes, d’où l’importance du premier professeur, un sujet sur lequel je suis revenu quelques fois. Si la structure a les moyens d’avoir plusieurs créneaux horaires, les cours par niveaux sont les bienvenus. Dans le cas contraire, il se peut que la personne qui commence se trouve un peu perdue et en manque de bases. Dans une maison les fondations sont aussi importantes que les éléments qui vont l’élever, sinon davantage. Certes, dans le cas où il n’y a qu’un seul atelier, les plus anciens sont au service de ceux qui font leurs premiers pas sur les tatamis, il y a des répétitions de gestes de base dont on ne doit pas faire l’économie.

Encore une fois, c’est au professeur de savoir s’adapter à toutes les situations et « d’organiser » son tatami. Quand  l’effectif va de la ceinture blanche à la ceinture noire, il est indispensable que chaque grade puisse travailler ce qui doit l’être à son niveau. C’est souvent difficile de contenter à la fois une ceinture blanche, et une ceinture noire. Éviter que la première se décourage, n’acquiert pas les fondamentaux ou pire se blesse à cause d’une technique qui demande un niveau supérieur pour l’exécuter et la subir sans danger. A l’inverse, il faudra éviter que le plus haut gradé se lasse avec l’impression de « rabâcher » (ce qui, soit dit en passant, n’est jamais inutile, mais il faut malgré tout avancer). C’est là que l’expérience est indispensable, mais aussi  le bon sens.

Lors des explications, il est inutile de se lancer dans des discours à n’en plus finir qui font relâcher l’attention, quitte à revenir à plus reprises sur les explications en question, les progrès se réalisent essentiellement en pratiquant. On peut être ébloui par une belle démonstration du professeur, mais le but reste l’acquisition.

Démontrer parfaitement une technique va créer l’envie d’en faire autant, mais pour cela il faut donner les outils.   « L’essentiel n’est pas ce que l’on enseigne, mais ce que les élèves apprennent ». André Giordan

Quelques mots à propos des grades

Dans les arts martiaux, les grades occupent une place importante. Cependant, il ne faut ni les surévaluer, ni les négliger.

Ils permettent de situer le niveau de maîtrise technique et d’ancienneté dans la pratique, mais aussi d’évaluer le parcours du pratiquant, cela en fonction de la couleur de la ceinture qu’il porte autour de la taille.

Au début, les ceintures de couleur n’existaient pas, seules la blanche, la marron et la noire « tenaient » la veste du judogi. C’est à l’initiative de Maître Kawaishi , lorsqu’au milieu du siècle dernier il prit en main le judo français, que les ceintures de couleur ont fait leur apparition. Il avait bien compris l’esprit européen (et français en particulier) toujours friand de reconnaissances à arborer.

Jigoro Kano, fondateur du judo en 1882, a souhaité hiérarchiser les valeurs pour l’accession à ces différents niveaux avec le fameux « shin-gi-tai » ! Ce qui signifie : l’esprit, la technique et le corps. L’ordre établi n’est pas le fruit du hasard. L’esprit (le mental) arrive en premier, il nous habite jusqu’à la fin de notre aventure sur terre. Ensuite, il avait placé la maîtrise technique, que l’on peut démontrer assez longtemps et enseigner tout le temps. C’est assez logiquement que le corps (le physique) arrive en dernier ; malheureusement avec l’âge même si on en prend soin, le déclin est inéluctable.

L’expérience qui m’anime me fait dire qu’il y a deux ceintures très importantes dans la vie d’un budoka : la ceinture jaune et la ceinture noire. La ceinture jaune, tout simplement parce que c’est la première et la ceinture noire parce que, malgré tout, elle représente toujours un symbole très fort. Une sorte de graal ! Cependant, il ne faut pas oublier qu’elle n’est pas une finalité, mais simplement une étape importante. Elle est une belle récompense, la preuve d’une pratique qui s’est inscrite dans la durée, synonyme de rigueur. Cependant, elle doit représenter aussi un contrat signé avec l’art martial que l’on pratique et… avec soi-même. Un engagement qui signifie, qu’à partir de son obtention, s’impose le devoir de ne  jamais abandonner les tatamis, sauf cas de force majeur.

Les grades sont des encouragements à ne pas lâcher la pratique et même à la renforcer dans la dernière ligne droite de chaque préparation.

Certains les assimilent à des « hochets » et les négligent. Il est tout à fait possible de pratiquer et de s’en passer, mais nous sommes dans un système où ils existent et nous devons l’accepter. Même si parfois on peut s’interroger légitimement sur quelques attributions cocasses.

Peut-être que leur valeur prend vraiment son sens par rapport à l’organisme ou à la personne qui les décernent. Et puis, arrivé à un certain niveau, le pratiquant ne peut pas tricher avec lui-même.

L’obtention d’un grade (mérité) est de toutes les façons une grande satisfaction pour l’ensemble des pratiquants d’arts martiaux.

Tori et Uke, amis pour la vie

Tori et Uke sont deux personnages bien connus des pratiquants d’arts martiaux et notamment des ju-jitsukas. Pour les novices et afin de faciliter les présentations, nous pourrions expliquer que dans ce couple d’inséparables, Tori incarne « le gentil » et Uke « le méchant ».

Cette définition, même si elle facilite l’identification des rôles, est un peu réductrice dans la mesure où les deux protagonistes, dans ces positions interchangeables, sont complémentaires et non pas adversaires. Sans Uke, Tori n’existe pas. Dire que c’est Tori qui conclut une action est plus juste pour signifier les implications respectives.

Une traduction littérale nous révèle que Tori est celui qui « prend » ou « choisit » et Uke celui qui « reçoit » ou « subit ». Cela semble assez explicite.

Dans la connivence qui unit ces deux personnages, il n’existe aucune rivalité, ils doivent être continuellement en quête d’une parfaite osmose.

Bien souvent c’est Tori qui attire davantage l’attention et le rôle d’Uke n’est  pas toujours considéré à sa juste valeur et parfois même il peut paraître ingrat. Or, son rôle est déterminant. C’est grâce à lui que Tori réalise ses progrès, qu’il peut ouvrir et élargir son champ des connaissances. En plus d’une parfaite maîtrise de la chute,  Uke doit être capable d’adopter toutes les situations, les postures et les réactions qui peuvent se présenter à son partenaire. Il se doit d’être d’une disponibilité corporelle totale, malléable à souhait, dans le bon sens du terme. Il doit «jouer le jeu ».

Pour parfaitement maîtriser une technique ou un enchaînement, il est indispensable de pouvoir les répéter des dizaines, des centaines, des milliers de fois. Imaginons un seul instant le faire sur un mauvais partenaire, pire encore sur un partenaire qui résiste systématiquement ! Pas de répétition, pas de progrès.

Le rôle d’Uke étant déterminant, il serait presque préférable d’être d’abord un bon Uke avant de devenir un bon Tori. Au-delà de cette constatation, somme toute assez logique, par l’intermédiaire de ce billet, c’est l’occasion de rendre hommage à ces personnages qui doivent être interchangeables et rappeler qu’entre eux il n’y a pas ni vainqueur ni vaincu, mais une victoire commune, celle de la conquête du savoir.

Il y a des anniversaires que l’on ne fête pas !

Deux ans après le début d’une crise qui a bouleversé beaucoup de vies, nous sommes assez nombreux à ne pas être encore sortis d’affaires, dans une certaine indifférence, pour ne pas dire une indifférence certaine. Nous n’avons pas tous été traités de la même manière. Les sinistrés (et laissés-pour-compte)  de la crise économique déclenchée par  la crise sanitaire et sa gestion, n’ont pourtant pas manqué ni de volonté, ni d’énergie pour tenter de réparer des désastres qui ne doivent pas tous être mis sur le compte des « coups du sort ».

Et l’horreur qui se déroule à nos portes depuis plus de trois semaines ne favorise pas une reprise  indispensable à la survie.

Les images de plus en plus effroyables qui nous sont délivrées nous prouvent qu’il y a toujours pire situation que la nôtre ; la cruauté n’a décidément pas de limite. Là, nous atteignons le comble de l’inhumanité.

J’appartiens à la catégorie de ceux qui sont en difficulté depuis maintenant deux ans : une vie abîmée, des projets anéantis, des espoirs massacrés et de lourds investissements totalement perdus, et non indemnisés.

Cette horrible guerre (pléonasme) confirme qu’il y a toujours pire situation que la sienne, mais cela n’enlève pas le droit d’essayer de s’extraire du marasme dans lequel certains ont été plongés, avec injustice et dans l’indifférence.

L’injustice, parce que ce ne sont pas ceux qui prennent les décisions qui sont impactés par celles-ci. Je le constate amèrement depuis deux ans. L’indifférence, parce qu’en autres nombreuses actions entreprises, mes lettres adressées au ministre de l’Economie sont restées sans réponse. Par contre, on ne manque pas de me réclamer des cotisations sociales au titre de mon statut d’indépendant : le comble de l’indécence !

On va me dire qu’il faut cesser de ruminer, qu’il est temps de passer à autre chose, « se bouger », que je pourrais être sous les bombes.

Me bouger, c’est bien évidemment ce que je fais, je n’ai pas attendu les conseils et encore moins les critiques de certains donneurs de leçons qui sont « bien au chaud », sans risque pour leur avenir.  Je ne me plains pas, j’exprime une colère qui me semble légitime. Maintenant avec « l’épée de Damoclès » que l’on fait planer sur la nos têtes (entre retour de pandémie et guerre), il faudrait faire preuve d’une formidable inconscience pour investir à nouveau dans une entreprise privée.  J’ai largement donné il y a deux ans ! Je n’ai pas traversé la rue pour trouver du travail, mais la moitié du pays.

Deux ans sans travail ou si peu, c’est long, trop long, les efforts fournis aboutissent à de bien maigres résultats. Et l’explosion du prix des produits de première nécessité, ne peut que renforcer l’inquiétude quant à l’avenir.

Les quelques animations mises en place sont utiles moralement, mais bien insuffisantes. Je l’avais déjà évoqué.

Les stages, puisqu’il est question d’eux, sont de véritables moments de bonheur, de réconfort moral et de sentiments d’utilité, je remercie très chaleureusement tous ceux qui peuvent y participer. Je suis bien placé pour savoir que l’on ne fait pas ce que l’on veut, beaucoup souhaiteraient être présents, mais ne le peuvent pas. Je ne suis pas le seul à rencontrer des difficultés, avec ce que nous subissons depuis vingt-quatre mois, beaucoup sont touchés… et oubliés.

Donc aujourd’hui, pour moi,  c’est un bien triste anniversaire que celui de la fermeture imposée d’un tout jeune dojo dans lequel tant d’espoirs avaient été mis.

Quelques mois avant, en juillet 2019, après des années difficiles, j’avais décidé de repartir au combat. A un âge où certains profitent de la retraite ; il s’agissait d’un pari audacieux, j’assumais ce risque. D’autant que l’insignifiante pension de retraite des indépendants impose une réactivité de survie. Encore faut-il être en capacité physique, mentale et matérielle pour l’assumer. Malgré tout, que l’on se rassure, le combat continue.

Mes 16 techniques

C’est pour les besoins d’une démonstration qu’est né cet enchaînement.

Nous étions en 1982, le remise en valeur du ju-jitsu battait son plein et j’avais été sollicité pour produire une prestation à l’occasion des deuxièmes championnats du monde de judo féminins qui se déroulaient à Paris. Il était entendu que le rôle de Tori serait tenu par une femme. Ce fût une de mes élèves, Marie-France Léglise qui était « la gentille », j’officiais dans le rôle « du méchant ». (Je n’ai pas toujours été Tori.)

J’avais donc mis au point une démonstration en deux parties. Une première dans laquelle chaque technique était démontrée d’abord au ralenti, puis à vitesse normale, et, stage  une seconde qui proposait un enchaînement très rapide. Les 16 Techniques étaient nées.

A titre personnel, je ne les ai jamais abandonnées. Plusieurs raisons à cela.

D’abord, elles sont d’une indiscutable efficacité pour peu qu’on se donne la peine de les assimiler et de les répéter. Certes, il ne faut pas nier la difficulté de bien maîtriser certaines projections, mais évoluer n’est-il pas un but dans la vie ? Si ce n’est « le » but, quelque soit le domaine !

Cet enchaînement permet de renforcer son savoir-faire technique sur un nombre varié d’attaques et de ripostes. Des ripostes qui proposent des coups, des projections et des contrôles, et les fameuses liaisons qui font la force du ju-jitsu.

Il est aussi un moyen d’acquérir des qualités indispensables, comme les automatismes, la vitesse d’exécution et il améliore la condition physique.

Cet enchaînement est également une sérieuse base de travail. En effet, à partir de chaque technique, il est possible de proposer ce que j’appelle des « déclinaisons » : enchaînements à partir de réactions de Uke, mise en place de ripostes différentes à chaque attaque, avec la possibilité d’imposer un thème : par exemple ne proposer que des clefs ou bien des étranglements ou encore des projections différentes des originelles.

On peut aussi envisager d’étudier des contre prises, même si, s’agissant de self défense, cela peut paraître surprenant, mais pour renforcer une technique, étudier les moyens d’y échapper n’est pas inutile.

Les détracteurs trouvent cet enchaînement trop difficile et lui opposent le fait que l’on peut faire plus simple en matière de self défense,  ce qui est vrai ! Mais rien n’empêche le professeur de proposer dans un premier temps des ripostes plus faciles. Ensuite, « qui peut le plus, peut le moins » ; viser plus haut, c’est une façon de ne pas se scléroser et puisque nous sommes dans les proverbes et citations faciles, on peut citer celle-là : « qui n’avance pas recule ».

Il est également utile de se souvenir que nous pratiquons un art martial, avec une histoire et un patrimoine technique que nous ne pouvons pas renier et que cette discipline est aussi un moyen d’épanouissement physique et mental. Même si l‘aspect utilitaire est incontournable, il ne serait pas sain de se limiter à celui-ci à longueur de saison.

Il ne faut pas oublier non plus qu’à cette époque (en 1982), l’objectif  était de respecter l’histoire en rendant indissociables judo et ju-jitsu, en les considérant comme complémentaires. Le ju-jitsu peut être une façon d’apprendre les techniques de judo dans leur utilisation première, ce qui de mon point de vue est un excellent moyen. Malheureusement cela n’a pas toujours été compris.

« Les 16 techniques » sont une preuve indiscutable du lien qui existe entre le judo et le ju-jitsu, comment pourrait-il en être autrement ?

Enfin, les enseigner, les pratiquer et les démontrer sont à chaque fois de véritables moments de plaisir !

(La couverture qui sert d’illustration à cet article est celle d’un livre qui présente, entre autres, cet enchaînement.)

Le ne-waza (travail au sol)

Cette semaine, l’article technique est consacré au ne-waza (le travail au sol).

Voilà un domaine à la richesse technique exceptionnelle et dans lequel il est possible de s’exprimer très longtemps. Il est pratiqué dans beaucoup de disciplines, son efficacité est incontestable, que ce soit dans le domaine sportif ou dans le domaine « utilitaire ». En judo, par exemple, les conclusions au sol ne sont pas rares et en self défense, même si une agression à de fortes chances de débuter debout, il ne serait pas raisonnable de le négliger. Enfin, l’aspect ludique, sur lequel j’insiste souvent, est bien présent.

Développons !

La richesse technique est importante, puisque l’on y trouve des clefs, des étranglements et des immobilisations, plus toutes les combinaisons et enchaînements réalisables.

On peut s’y exprimer longtemps, la vitesse n’est pas un critère déterminant, à l’inverse du travail debout. On peut « prendre son temps » pour aboutir, et même préparer plusieurs coups à l’avance. Les joueurs d’échecs y trouvent d’ailleurs un parallèle.

En plus d’un sérieux bagage technique, on développera une bonne condition physique et un renforcement musculaire naturel.

Dans les disciplines qui se pratiquent en compétition d’affrontements directs, beaucoup de combats trouvent leur conclusion au sol. En self défense, on doit être en capacité de réagir lorsque l’on y est amené, souvent contre son gré. Une maîtrise technique dans ce domaine permet de ne pas subir et de pouvoir contrôler sans trop de violence. Et puis, il serait peut-être un peu présomptueux d’affirmer qu’on ne laissera pas le loisir à un éventuel agresseur de venir au contact.

Enfin, c’est sans doute dans ce domaine que l’aspect ludique est le plus présent. Certes, cela se vérifie davantage quand on est celui qui domine. C’est à ce moment-là que l’on pourra être un peu « joueur » comme le chat l’est avec la souris.

Certains sont assez bloqués par rapport au ne-waza. C’est vrai que le souvenir (ou la perspective) de se trouver étouffé(e) sous un torse velu et suintant, n’est pas forcément engageant. Je peux en attester, pour l’avoir vécu en tant que jeune pratiquant. A ce moment-là, il faut se dire qu’existent deux solutions : soit arrêter la pratique, soit la renforcer pour ne plus être celui qui subit. Et puis, la diversité des partenaires, des niveaux et la bonne organisation du tatami par le professeur, doivent permettre de trouver plus fort et moins fort que soi. En sachant que c’est naturellement l’entraînement qui offre les progrès, cette évidence est malgré tout bonne à rappeler ; il n’existe pas de remèdes magiques, ni de disciplines ou de domaines dans lesquels règne la « science infuse ». Par contre, le ne-waza est une véritable « science du combat ».

Les méthodes d’entraînement…

L’article de cette semaine est consacré aux méthodes d’entraînement.

Ce sont des exercices de perfectionnement possédant, chacun dans son domaine une spécificité. Ils permettent de renforcer la vitesse, les automatismes, la tonicité, la forme de corps, le placement, les déplacements, etc.

Ils renforcent ces qualités  dans le domaine de l’atemi-waza (le travail de coups), du nage-waza (les projections) et dans le ne-waza (le travail au sol). Ils  peuvent se faire seul ou à deux (le plus souvent), mais aussi à plusieurs, statiques ou en déplacement.

Il y a les exercices qui consistent à faire d’inlassables répétitions sans aucune opposition de la part du partenaire et d’autres qui se font avec une opposition plus ou moins importante, mais toujours conventionnelle.

Par conséquent on peut définir deux groupes : le premier où le partenaire ne produit aucune opposition et le second au cours duquel il offre une certaine résistance qui permet de se renforcer en situation d’opposition relative.

La plus connue de ces méthodes d’entraînement est l’uchi-komi ; elle consiste à répéter une technique de projection sans faire chuter, juste en soulevant le partenaire. On peut aussi effectuer cette répétition dans le domaine de l’atemi-waza et du ne-Waza. Pour certaines techniques l’uchi-komi peut aussi s’effectuer dans « le vide », c’est-à-dire tout seul.

On trouve ensuite (plus particulièrement dans le domaine des projections) le nage-komi qui consiste à se faire chuter à tour de rôle, ou plusieurs fois de suite, avec un certain rythme. Et puis, il y a le randori (qui n’est pas un véritable combat) et qui offre un travail en opposition « mesurée », sur un thème précis, au sol et debout, en atemi-waza et en projections.

On oublie trop souvent des exercices tels que le kakari-geiko et le yaku-soku-geiko. Le premier permet à Tori de renforcer son système d’attaque sans la peur de contre prise de la part d’Uke. Celui-ci se contentant d’essayer d’esquiver les initiatives de Tori, l’obligeant ainsi à s’adapter et à trouver d’autres solutions.

Le second, le yaku-soku-geiko, que l’on peut qualifier de « randori souple » offre la possibilité aux deux protagonistes de s’exprimer dans une opposition uniquement axée sur une reprise d’initiative, sans contre prise directe, uniquement en « sen-o-sen. », l’attaque dans l’attaque (pour ce qui concerne les projections).

On pratique également cet exercice en atemi-waza, on peut utiliser des gants de boxe qui servent de cibles. Uke « appelant » les coups en plaçant les gants sur différentes parties du corps. A lui de diversifier les demandes pour que Tori diversifie ses coups.

En ne-waza existent aussi des méthodes d’entraînement. Une que j’affectionne particulièrement est de définir une  position de départ – par exemple Tori sur le dos et Uke entre les jambes – et à partir de là, Tori a une minute pour aboutir à un résultat. Uke ne faisant que de la défense. Cela permet au premier de travailler son système d’attaque sans craindre de se faire contrer.

Une autre méthode, purement ju-jitsu (que mes élèves connaissent bien), consiste à répéter une technique de défense sur une situation précise, puis une seconde et ensuite de les enchaîner vite et fort, sans temps d’arrêt ; de même avec une troisième et ainsi de suite, jusqu’à six, ce qui est déjà très bien.

Les katas peuvent aussi être considérés comme des méthodes d’entraînement, puisqu’ils sont le reflet d’un combat. Un combat pré arrangé, certes, mais qui permet d’affûter les techniques et d’acquérir des automatismes.

Les exercices qui se limitent aux séries de répétitions, seul ou avec un partenaire, peuvent parfois sembler ingrats ; la récompense viendra avec le constat des progrès réalisés lors des randori. Et lorsque ces randori en  question sont exécutés avec un partenaire possédant le même état d’esprit, c’est à dire démunie de toute violence, ils ne sont jamais dépourvus d’un aspect ludique, ce qui n’est pas incompatible avec une pratique sérieuse des arts martiaux.

 

Katame-waza, le travail des contrôles

Après l’atemi-waza et le nage-waza, place au katame-waza, pour aborder la troisième composante du ju-jitsu.

Dans les techniques de contrôle se trouvent les clefs (kansetsu-waza), les étranglements (shime-waza) et les immobilisations (osae-waza). Ces trois domaines sont utilisés en judo comme en ju-jitsu, avec des objectifs différents.

En ju-jitsu ces techniques marquent souvent la dernière phase d’une défense, après les coups et les projections, mais pas systématiquement, elles peuvent être utilisées directement sur une attaque. En judo elles se concrétisent toujours au sol.

En ju-jitsu, elles peuvent s’appliquer aussi bien debout qu’au sol. Leur efficacité est redoutable et elles permettent parfois de moduler la riposte. A l’aide d’une clef, par exemple, il est possible de maîtriser un agresseur sans forcément mettre ses jours en danger, ce qui n’est pas inutile ; le respect de la vie et la notion de légitime défense sont des notions à respecter.

Les clefs (kansetsu-waza) consistent à « forcer » les articulations à « contre-sens » pour celles en hyper-extension ou aller au-delà des possibilités de flexion pour les clefs en torsion.  Le premier groupe appartient aux « gatame », le second aux « garami ». En ju-jitsu self-défense  existe aussi les torsions de poignet, les clefs de jambes, autant de techniques interdites en judo, pour des raisons évidentes de sécurité.

Concernant les étranglements (shime-waza), l’étude doit être sérieusement encadrée, il est évident que l’issue peut s’avérer fatale. Cependant, comme pour beaucoup de techniques, l’apprentissage est long et avant une parfaite maitrise il faut une longue pratique au cours de laquelle on aura acquis de la sagesse et du contrôle. Il y a deux formes d’étranglements : respiratoires et sanguins. Ils se pratiquent essentiellement à l’aide des membres supérieurs, mais les jambes sont aussi de redoutables armes naturelles dans ce domaine, la preuve  avec le fameux « sankaku-jime ».

Quant aux immobilisations (osae-waza), elles sont surtout utilisées en judo et uniquement au sol. En ju-jitsu self-défense l’intérêt se limite à celles qui emprisonnent aussi les bras de l’adversaire.

Comme indiqué plus haut, l’efficacité demande beaucoup de pratique, donc de patience, de volonté et de rigueur. Mais ne s’agit-il pas de qualités indispensables dont doit être doté tout étudiant dans les arts martiaux ?

Bien réaliser un waki-gatame, par exemple, demande énormément de travail. Il y a la précision, la meilleure utilisation des ressources naturelles du corps et pour cela une « forme de corps » que l’on va modeler, un peu comme un sculpteur le ferait avec son « ouvrage ».  Pour cela les conseils du professeur sont indispensables, mais plus encore il s’agira de ne pas se lasser de longues, très longues répétitions pour « ressentir » la technique.

Côté efficacité, je ne manque de témoignages de personnes agressées ayant pu se sortir de situations très délicates, pour ne pas dire périlleuses, notamment face à des attaques avec armes, grâce au « katame-waza ». Cela vaut la peine de consacrer du temps à l’étude de cette composante incontournable du ju-jitsu.