J comme JU (souplesse)

Nous arrivons à la lettre J de mon dictionnaire : J comme Ju-Jitsu et Judo, mais tout simplement comme Ju, « la souplesse ».

Il s’agit là de souplesse comportementale, d’un état d’esprit, bien plus que de souplesse physique ; qualité que l’on ne reniera pas, bien au contraire. C’est cette souplesse comportementale qui donne son originalité et sa valeur ajoutée à nos deux arts martiaux, aussi bien en matière d’efficacité dans d’éventuels affrontements qu’en matière d’éduction, à la condition que ces disciplines soient enseignées dans l’esprit qui était celui du fondateur.

De la « technique (ou l’art) de la souplesse » que représentait le ju-jitsu, Jigoro Kano a voulu élargir le champ d’action de l’art martial avec le judo « voie de la souplesse » (jitsu = technique, art ; do = voie). Il souhaitait ainsi démontrer que cette « souplesse » était aussi bien un principe à adopter en opposition lors d’un affrontement physique, que dans le cadre des relations sociétales, professionnelles, familiales ; bref il souhaitait un quotidien rendu harmonieux grâce à l’application de ce précepte. Il ne s’agissait plus d’un simple principe de combat, mais aussi d’une règle de vie.

Ne pas s’opposer à la force brutale en pliant, évitant ainsi de rompre, comme dans « Le chêne et le roseau » est un principe intelligent, mais faire en sorte que cette force, cette puissance de l’adversaire se retourne contre lui, l’est encore davantage ; cela ne relève pas du miracle mais d’une technique, et même d’une technologie de pointe. L’appliquer dans les relations humaines est parfois plus difficile, et pourtant n’est-ce pas essentiel de faire en sorte d’anticiper pour « gérer » au mieux d’éventuels désaccords de façon à éviter les conséquences toujours désastreuses d’un conflit ? C’est en cela que cette souplesse d’esprit est d’une inestimable valeur.

Cette souplesse comportementale ne doit pas être considérée comme un signe de faiblesse, bien au contraire ; n’y a-t-il pas plus belle victoire que celle remportée sans combattre, sans blessure physique ni mentale ?

Jigoro Kano n’hésitait pas non plus à évoquer l’utilité de ce principe dans le cadre professionnel, une sorte de « gagnant/gagnant ». N’y a-t-il pas meilleur accord que celui qui satisfait les deux parties ?  Lorsque le plus fort écrase le plus faible, dans la rue, dans les conflits familiaux, dans le monde du travail : est-ce vraiment une heureuse issue ?

L’acquisition de cette souplesse comportementale ne peut se faire que par l’éducation, la transmission. Cela nous ramène une fois de plus au rôle capital de l’enseignant. Dans les arts martiaux, celui-ci ne doit pas se limiter à être un distributeur de techniques, ni (quant il s’agit de l’aspect sportif) à celui d’un « brailleur » le week-end sur les bords d’un tatami de compétition. Le professeur remplira son rôle par l’apprentissage des techniques de combat, auxquelles seront attachées les valeurs morales inculquées de la façon la plus naturelle possible, en premier lieu par l’exemplarité.

Cette souplesse, ce « Ju » qui différencie l’art martial de la simple activité physique, n’est-il pas aussi et même tout simplement « une forme de philosophie » ? Cette philosophie qui doit permettre de conduire son existence avec sagesse, pour la quête du bien-être… du bonheur, tout simplement.

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I comme Ippon Seoi Nage…retour du dictionnaire

Retour au dictionnaire et à un article plus technique, avec la lettre I comme Ippon Seoi Nage.

Mon but n’est pas de développer une étude approfondie, mais d’expliquer simplement les raisons de mon engouement pour cette projection qui est l’une des plus emblématiques du ju-jitsu et du judo. Elle est utilisée aussi bien en self-défense qu’en compétition. J’ai une affection particulière pour elle, et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, c’est une des premières projections que l’on apprend, bien qu’elle ne se réalise pas aussi facilement que l’on puisse l’imaginer lorsque nous la regardons exécutée par un spécialiste. Mais, répondant à des principes naturels, si elle est bien expliquée, son apprentissage se fait assez rapidement ; elle offre une des premières satisfactions aux nouveaux étudiants. De plus, Tori (celui qui exécute), même s’il est encore balbutiant, ne rencontre pas de difficultés particulières pour bien retenir Uke (celui qui subit) dans la chute, ce qui est rassurant et sécurisant. L’aspect spectaculaire ne retire rien au plaisir de la réaliser ou de la voir bien exécutée.

Son principe de base consiste tout simplement à faire passer le partenaire « par-dessus nous », en se servant de son déséquilibre avant. Celui-ci étant obtenu de différentes manières, selon que l’on se situe en ju-jitsu ou en judo. Comme dans toutes les techniques il existe des variantes, elles sont fonction du gabarit, mais aussi de l’influence du professeur.

En ju-jitsu, elle est utilisée aussi bien sur des attaques venant de face, comme un coup « en marteau » en direction de la tête, que sur des saisies arrière, à la gorge ou au dessus des bras. En judo le nombre des opportunités, combinaisons, contres, liaisons debout-sol est colossal.

Ippon Seoi Nage, en règle générale, est pratiqué par des plus petits sur des plus grands, puisque passer sous le centre de gravité est la première des conditions. Bien exécutée, cette projection ne demande pas d’efforts physiques particuliers, ce qui par ailleurs doit être la condition de toutes les techniques, puisqu’à l’origine la non-opposition, l’utilisation de la force de l’adversaire et l’utilisation la plus rationnelle de notre propre énergie, sont les fondements du ju-jitsu. On pourrait facilement prendre Ippon Seoi Nage comme modèle pour expliquer des principes parfois négligés et même oubliés.

Enfin, si j’apprécie particulièrement cette technique c’est aussi parce qu’elle était l’un des redoutables « spéciaux » de mon père qui, lors de ses exploits sportifs, a « terrassé » plus d’un « grand » grâce à elle. Par atavisme, mimétisme et avec un excellent apprentissage, elle est devenue l’une de mes projections favorites.

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Geesink, un géant avec un grand G

Geesink, un géant avec un grand G

Aujourd’hui, mon dictionnaire s’attaque à un monument du judo. La lettre G ne pouvait être consacrée qu’à Anton Geesink. Pour moi, il représente un géant en 3 G. Géant par sa taille, par sa carrière et pour l’enfant que j’étais.

Un géant par sa taille d’abord. Un mètre quatre vingt dix huit ! Assez banal pour un néerlandais, mais pas pour l’enfant que j’étais la première fois que je l’ai vu !  Ce ne sont pas uniquement des prédispositions naturelles qui lui ont donné ce corps d’athlète hors-normes, mais aussi un travail de Titan, une appellation qui lui sied très bien, par ailleurs. C’est aussi le résultat de séances d’entraînement monstrueuses sur les tatamis, mais également en extérieur avec une musculation faite à l’aide d’éléments naturels, comme avec les troncs d’arbres du Massif des Maures en été, quand il venait au camp du Golf Bleu. Un gabarit de poids lourds, mais avec la rapidité d’un poids léger et tout en haut de ce corps une volonté de fer.

Un géant par son œuvre. Une carrière phénoménale ; il a eu tous les titres, dont le plus prestigieux : champion olympique à Tokyo en 1964 en clouant au tapis le japonais Kaminaga. Ce jour là, c’est toute une nation qu’il a fait pleurer. Il a bien sûr été champion du Monde, en signant un autre exploit lors de la troisième édition de ces « mondiaux » à Paris en 1961 en battant à la suite, les trois meilleurs poids lourds japonais du moment ; en ¼ de finale, ½ finale et finale. Il s’agissait de Kaminaga (déjà), Koga et Sone. Par ippon, s’il vous plait. Il possédait toutes les qualités requises : une parfaite technique debout et au sol, une rapidité exceptionnelle, une puissance surnaturelle et une volonté indestructible.

Enfin, un géant pour l’enfant que j’étais. La première fois que j’ai vu Anton Geesink, j’avais quatre ans et c’était au Camp du Golf bleu à Beauvallon-sur-mer, en face de Saint-Tropez. Chaque été, dans les années 1950, 1960 et jusqu’en 1990, les meilleurs judokas mondiaux s’y rassemblaient. Mon père avec Henri Courtine et Anton Geesink assuraient l’encadrement au tout début de l’aventure de ce club qui alliait «vacances et judo ». Ceux qui l’ont fréquenté, ne serait-ce qu’une seule fois, ne peuvent l’oublier. Donc, nous passions presque les trois mois d’été dans le Var et c’est là que pour la première fois j’ai approché Anton Geesink. L’enfant de quatre ans que j’étais n’avait aucune idée de ce que représentait un palmarès de judoka, par contre ce géant l’impressionnait, par sa taille bien sûr, mais aussi par sa musculature, par un visage volontaire, un timbre de voix très grave, bref, il était fascinant . Comme beaucoup de néerlandais il parlait plusieurs langues dont un français presque parfait, avec cet accent et cette voix qui raisonnent encore dans ma tête aujourd’hui.

Et puis, entre lui et mon père, il y avait toute une histoire sur laquelle je ne manquerai pas de revenir plus tard. On peut juste dire que les deux hommes – adversaires sur les tatamis – s’appréciaient et se respectaient au-delà de l’imaginable. En 2000, dans un entretien publié dans le journal l’Equipe, Geesink déclarait que, hors japon, l’adversaire qu’il redoutait le plus s’appelait Bernard Pariset. Autre hommage que je n’oublierai jamais, en janvier 2005 il avait tenu à être présent lors de la cérémonie organisée par la fédération française de judo pour rendre hommage à mon père, disparu tragiquement quelques semaines avant. Il avait pris la parole pour lui rendre un vibrant hommage, avec gravité, émotion, mais aussi avec humour. Un humour particulier qui me plaisait énormément.

Lors d’une suite à cet article consacré à ce géant, je reviendrai sur des impressions, des sentiments et des anecdotes plus personnelles.

Anton Geesink était né en 1935 à Utrecht, une rue porte son nom dans cette ville, il nous a quittés en 2010.

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E comme Enchaînement (première partie)

A la lettre E beaucoup de noms méritent une place dans mon dictionnaire des arts martiaux. Par exemple, E comme éducation. L’Education physique et mentale chère à Jigoro Kano qui, grâce à sa méthode de ju-jitsu devenue judo, proposait une « science du combat » mais aussi une « Ecole de vie » qui harmoniserait les rapports humains, améliorant ainsi la vie en société. Dans le même esprit il y a aussi E comme Educateur, ou Enseignant ; deux mots qui occupent une place prépondérante dans ma vie. Il est possible aussi d’évoquer le E d’Exigence, celle que l’on doit imposer à soi-même (avant de l’imposer aux autres). Mais aussi le E d’Excellence, vers laquelle chacun doit tendre, dans son métier et dans ses actes ; non pas dans un systématique esprit de compétition, mais simplement pour s’améliorer.

Après ces quelques beaux exemples, j’aborde le mot que j’ai finalement choisi de développer, à savoir «  Enchaînement ». Dans sa « coquille », ce mot peut d’ailleurs regrouper ceux évoqués plus haut. Puisque répéter des enchaînements contribue à l’éducation physique et mentale, ils sont transmis par un enseignant, ils sont éducateurs techniquement ; de plus on recherche l’excellence dans leur pratique et leur présentation, pour cela il ne faut pas être avare d’exigence.

Au travers de ce beau métier qui est le mien, j’ai toujours eu le souci d’apporter ma contribution à l’évolution qui doit être dévolue à toute science, mais – et j’insiste sur ce point – sans jamais trahir ni l’esprit, ni la forme, ni encore moins les traditions attachées à nos arts martiaux et en particulier à la sagesse de Jigoro Kano. Pour participer très activement à la diffusion de la méthode de ju-jitsu, au début des années 1980, j’ai ressenti le besoin de créer des enchaînements, sans avoir la prétention de rivaliser avec des « monuments » tels que les katas traditionnels, mais pour offrir une complémentarité.

Comme précisé plus haut, j’ai toujours été scrupuleux quant au fait de ne jamais trahir les fondamentaux, il n’a jamais été question non plus d’inventer des nouvelles techniques (ce serait prétentieux), ni remettre en cause les principes sur lesquels notre discipline a bâti ses spécificités. Cependant il est possible de peaufiner ce patrimoine en lui apportant le fruit de recherches personnelles.

Ainsi, grâce à une pratique intensive, mais aussi à la mission de transmission, j’ai eu le plaisir d’élaborer plusieurs enchaînements. Des créations qui s’apparentent à de véritables compositions, au même titre qu’un musicien assemble les notes pour créer une mélodie, et un écrivain les mots pour rédiger un roman.

A l’époque cela répondait à un réel besoin et permettait à la fois de proposer des méthodes d’entraînement novatrices, une forme de classification, des moyens d’évaluation et pour certains de ces enchaînements des démonstrations « clefs en main ».

Chaque enchainement possède son histoire et sa raison d’être. J’ai pu en élaborer personnellement six, et un autre en collaboration avec mon père (qui avait mis au point l’intégralité de la méthode « Atemi-ju-jitsu ». Il est toujours correct de rendre à César…).

L’histoire de ces créations a commencé avec les « 16 techniques », l’enchainement qui a connu un véritable succès et que je continue à faire pratiquer. Après il y a eu les « 16 Bis » et les « 16 Ter » dans lesquelles sont travaillées des ripostes plus élaborées en réponse aux attaques des « 16 de base ». Puis sont venues les « 16 contrôles » qui utilisent uniquement la famille des contrôle en clef sur les articulations, afin de proposer une maîtrise adaptée à certaines situations dans lesquelles il est souhaitable que l’issue ne soit pas « fatale ». Quant aux « 24 techniques » elles sont une présentation très concise et ordonnée des attaques les plus probables que l’on peut subir, avec comme réponses les principales techniques appartenant aux grands groupes. Dans cet enchaînement, que j’apprécie tout particulièrement, différents schémas et combinaisons de ripostes sont aussi évoqués. Enfin, en matière de création, il y a le « petit dernier » qui est une suite de quinze techniques, dans laquelle sont mis en exergue deux composantes de notre discipline : les atemi et les katame (les coups et les contrôles).  Je n’oublie pas les « 16 atemis », réalisés en collaboration avec mon père et dans lesquels l’accent est mis sur l’atemi-waza (le travail des coups), un secteur important en matière de défense, mais dans l’esprit du ju-jitsu, sachant que dans cette discipline les coups ne sont pas une finalité, mais le plus souvent une façon d’y parvenir.

D’autres enchaînements ont été déjà élaborés, bien qu’ils ne soient pas encore formalisés « sur papier » ou « en images » ; pour le moment ils sont «dans ma tête» ; il s’agit des « 16 enchainements» et des « 16 contres ». Il y en a aussi un autre que quelques élèves ont baptisé les « 16 extraordinaires » (en toute modestie).

Dans la seconde partie consacrée à cette lettre E, je reviendrai plus en détail sur l’ensemble de ces enchaînements.

(La photo d’illustration de cet article présente la couverture de la première édition du livre consacré à l’enchaînement des « 16 techniques » et au « Goshin-jitsu ». Ce devrait être en 1984.)

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D comme DOJO (2ème partie) Le Central (ou dojo fédéral)

« Voici le deuxième volet concernant la lettre D de mon dictionnaire des arts martiaux. J’ai choisi le mot       «dojo ». Comment pouvait-il en être différemment, dans la mesure où il s’agit de lieux où j’ai du passer le plus de temps ? Dans cette série d’articles consacrés à cette quatrième lettre de l’alphabet,  j’évoque ceux qui, par leur histoire et la puissance émotionnelle qu’ils ont exercé sur moi, ont marqué pour toujours ma mémoire.

Aujourd’hui, c’est du « Central » dont il est question.

Nous sommes au tout début des années 1970, les entraînements de l’équipe de France de judo sont loin de bénéficier des infrastructures actuelles ; les judokas de l’élite s’entraînent principalement dans leur club respectif et quelques rassemblements se font dans le tout petit dojo de ce qui s’appelait l’INS (Institut nationale des sports) avant de devenir l’INSEP (Institut nationale du sport, de l’expertise et de la performance). Sous la direction d’Henri Courtine le judo français prend un nouvel envol. Parmi les mesures indispensables il fallait mettre à la disposition des champions – et futurs champions – un « site » qui permettrait de les rassembler régulièrement pour des entraînements à la hauteur des ambitions nationales.

Dans le Xème arrondissement de Paris un très vaste local appelé « Le Central » était disponible. Cet endroit, fermé en 1968, avait ouvert ses portes au début des années 1920 ; un ancien hangar avait été transformé en salle de sports. Ce sont principalement des cours et des combats de boxe anglaise qui s’y déroulaient. Il y eut ensuite l’époque du catch, avec des combats mémorables durant lesquelles « l’Ange Blanc » terrassait le « Bourreau de Béthune », ou le « Boucher de la Villette », tout un programme !

Situé au 57 de la rue du Faubourg Saint-Denis dans un quartier populaire de Paris, qui ressemblait  à celui de la Rue des Martyrs (se reporter à la première partie du dictionnaire consacré à la lettre D comme Dojo) le Central a donc été repris quelques mois après sa fermeture par la fédération de judo qui pouvait ainsi offrir aux membres de l’équipe nationale un lieu d’entraînement qui, par sa surface, correspondait aux attentes. L’expérience n’a pas duré très longtemps, jusqu’en 1975, je crois. Il était compliqué d’y accéder pour des raisons de circulation, de stationnement, et puis la vétusté du lieu imposait beaucoup d’entretien. Avant d’intégrer définitivement l’INSEP, les entraînements de l’équipe de France ont fait un crochet de quelques mois au Cercle Hoche dans le VIIIème arrondissement ; cette expérience ne s’est pas inscrite dans la durée.

Il n’y a pas que l’attachement que j’avais pour ce quartier populaire devenu maintenant très « bobo », qui anime mes souvenirs. A cette époque les entraînements de l’équipe nationale étaient ouverts à tous les licenciés à partir de la ceinture marron. Il y avait notamment une séance chaque mercredi soir durant laquelle pouvaient s’affronter des anonymes aux champions de l’époque qui s’appelaient Coche, Auffray, Rougé, Mounier, Brondani, Vial, Feist, Noris, Clément, et bien d’autres encore. Les meilleures équipes du Monde ont foulé ce tatami, un des premiers, si ce n’est le premier, a être monté sur ressorts ! D’éminentes personnalités (champions, experts, etc.) sont venues faire profiter, à des centaines de judokas, de leur expérience et de leurs connaissances.
Etant affecté au Bataillon de Joinville (basé à Fontainebleau, comme son nom ne l’indique pas) pendant mon service national, avec l’équipe militaire nous nous y rendions quatre fois par semaine. Autre avantage personnel, après mes douze mois d’armée, comme j’habitais un logement contigu au dojo de la rue des Martyrs, dans l’arrondissement voisin, je pouvais me rendre à pied aux entraînements ; pour un parisien, ce n’est pas négligeable. Cela me donnait l’occasion de traverser plusieurs fois par semaine une partie de ces deux arrondissements que j’appréciais. Et puis ce local chargé d’histoire avait une architecture impressionnante (qui ressemblait étrangement à celle du dojo de la Rue des Martyrs).

Enfin, et c’est quand même pour moi l’essentiel, j’y ai appris énormément et je m’y suis renforcé considérablement physiquement et mentalement.

Aujourd’hui, dans ce quartier en pleine mutation, c’est une école de théâtre qui occupe les lieux.

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C comme Henri Courtine…

C comme Henri Courtine

Nous en sommes à la troisième lettre de mon dictionnaire des arts martiaux. Dictionnaire que j’ai le plaisir de vous proposer à nouveau.

Une bonne façon de faire passer ce temps long, tout du moins, je l’espère ! A ce propos,  si mes comptes sont exacts, à raison d’une lettre par jour, nous finirons l’alphabet deux jours après notre « libération ».

Aujourd’hui, c’est donc la lettre C que j’aborde : C comme Henri Courtine.

Ce choix s’impose à moi, sans la moindre des hésitations. Parmi les personnalités qui auront marqué mon existence, Monsieur Courtine arrive en deuxième position, juste après mon père. Ils étaient d’ailleurs les meilleurs amis dans la vie et les meilleurs adversaires sur les tatamis le temps de leurs carrières de compétiteurs. Il est difficile d’évoquer l’un sans l’autre. Avec dans la vie des personnalités aussi différentes que complémentaires et sur les tatamis des styles qui l’étaient tout autant, ils ont marqué le judo français.

Retracer l’exceptionnelle carrière de Monsieur Courtine se fera aisément par l’intermédiaire d’Internet ; au travers de ces lignes mon intention est de dresser un portrait dans lequel seront évoqués les sentiments personnels que j’éprouve pour une personne à laquelle je voue admiration et respect. La reconnaissance étant une denrée assez rare, je ne m’en prive pas.

On peut quand même brièvement rappeler l’impressionnant parcours de cet homme. D’abord sur le plan sportif ; il a été champion de France toutes catégories, champion d’Europe, demi-finaliste au 1er championnat du Monde toutes catégories à Tokyo en 1956. Ensuite durant une exceptionnelle carrière de dirigeant, il a été entraîneur national, Directeur technique national puis Directeur de la FFJDA, Directeur sportif de la Fédération internationale de judo et Directeur du haut-niveau au Comité National Olympique Français. Il a été nommé au grade exceptionnel de 10ème dan en 2008 ce qui fait de lui le plus haut gradé français. Avec mon père ils ont été les premiers 6ème dan en 1968, il en fût de même pour chaque dan jusqu’au 9ème qui leur avait été décerné en 1994 (dix ans avant la disparition de mon père).

Etant forcément mon aîné, mais aussi vis-à-vis de la hiérarchie et surtout par rapport au respect qui est le mien à son égard, le mot amitié me semble quelque peu familier. Pourtant, grâce à la complicité qui le liait à mon père, j’ai eu la chance de très bien le connaître, mais pour moi il est Monsieur Courtine, bien qu’il soit aussi un peu un « père spirituel ».

Les qualificatifs concernant cet homme au charisme exceptionnel et qui me viennent à l’esprit sont nombreux. L’intelligence, bien sûr, l’élégance – dans la vie et sur les tatamis -, la rigueur avec lui-même et envers les autres, le travail, le courage et un redoutable esprit d’organisation. Il est pourvu d’un bon sens qui évite toute perte de temps et, justement, d’une capacité d’analyse et d’action aussi rapide qu’étaient ses balayages sur les tatamis. C’est aussi une personne pleine d’humour, et un affectif qui a su préserver sa vie personnelle.

Depuis ma plus petite enfance, j’ai eu la chance de le côtoyer à de nombreuses reprises dans le cadre du judo, mais pas uniquement ! La première fois c’était au célèbre « Camp du Golf bleu » à Beauvallon-sur-Mer, dans le Var. J’avais trois ans. Avec mon père, il dirigeait le stage international de judo durant lequel, pendant deux mois, les meilleurs judokas mondiaux se retrouvaient avec leur famille pour des sessions d’une semaine, ou plus, dans ce centre qui était également un lieu de villégiature. Les familles Courtine et Pariset s’y installaient pour tout l’été et cela jusqu’à ma préadolescence. Nous prenions les repas ensemble et l’hébergement se faisait dans des paillottes, presque mitoyennes, au confort pour le moins spartiate ; toutes ces conditions de promiscuité créaient des liens privilégiés.

Ensuite, j’ai effectué mon entrée dans le secondaire à l’Ecole Saint-Michel de Picpus dans le XIIème arrondissement de Paris ; parmi les activités sportives proposées, il y avait le judo et le professeur était…Henri Courtine. C’est sous son contrôle que j’ai obtenu ma ceinture marron. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir sur son passeport sportif les ceintures de couleurs signées par Bernard Pariset et Henri Courtine. Ils étaient aussi d’excellents professeurs à la pédagogie innée.

Plus tard, et durant plusieurs saisons j’ai été licencié au prestigieux Stade Français; il occupait la présidence de la section judo  et entre autres bons souvenirs qui ont marqué cette période du début des années 1980, il y a celui d’une finale aux championnats de France par équipes « excellence ».

Enfin, alors qu’il était directeur de la FFJDA, j’ai participé à différents travaux (stages, supports techniques, commissions techniques, etc.) pour la réhabilitation du ju-jitsu. Il avait donné « carte blanche » à mon père lorsque celui-ci, au début des années 1970, lui avait exposé le projet de la mise en place d’une méthode de self-défense (l’atemi ju-jitsu), en parallèle de la progression française de judo. Initiative qui avait pour objectif d’ajouter une corde à l’arc des professeurs. On connait malheureusement la suite qui (n’) a (pas) été donnée à cette entreprise, mais ceci est une autre histoire.

Aujourd’hui, tout en restant très attentif à ce qui se passe dans le monde du judo, il prend une retraite que l’on ne peut qualifier que de « méritée », sur les bords de la Méditerranée, dans le magnifique département du Var, une région pour laquelle, lui et moi vouons la même passion.

Au travers de ces quelques lignes, je suis très fier d’exposer l’admiration qui est la mienne à son égard. Il y a des hommes qui marquent l’histoire, mais qui par leur exemplarité occupent aussi une part importante de votre vie.

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Un peu de tenue…

Ce que l’on appelle par facilité le kimono n’est pas une tenue pour pratiquer, mais plus exactement un vêtement. Chaque art martial possède sa propre appellation pour désigner ce que l’on endosse dans un dojo ; parmi les plus répandues on trouve le judogi, le karategi, le keikogi. On évoque très peu le « jujitsugi », sans doute parce que le ju-jitsu est amalgamé au judo. Problème d’identité propre à cet art dans notre pays, mais c’est un autre débat. Il n’empêche que quel que soit son nom, cette tenue est importante et ne saurait être négligée ; j’y vois plusieurs raisons.

D’abord, chaque discipline sportive possède son « uniforme » et il ne viendrait pas à l’idée d’un footballeur de se rendre sur un terrain de foot en judogi. Ensuite, grâce à sa texture cette tenue est pratique et hygiénique. Elle est résistante aux différents assauts et autres sévices qu’on lui fait subir. Elle permet d’absorber les litres de sueur produits lors des entraînements. Cette uniformité possède également comme vertu d’effacer toute distinction sociale. On ne frime pas vraiment dans un « gi ». Et puis, dans le combat rapproché elle évite une proximité et une intimité qui peuvent  rebuter certains et certaines.

Malheureusement lorsque je vois des entraînements se dérouler avec une multitude de tenues : short, t-shirt, survêtement et judogi, je ne peux m’empêcher d’être peiné. Je ne pense pas que cette réaction puisse être qualifiée de « vieux jeu ». Le respect et la tradition me paraissent indispensables. Sans respect, sous quelque forme que ce soit, il n’y a plus rien. S’affranchir de toutes les traditions au nom d’une prétendue modernité ou même d’une soi-disant liberté pourra être sans limite. Si on ne respecte pas un symbole tel que la tenue, pourquoi ne pas ignorer le salut, et puis tout simplement de dire bonjour et merci et ainsi de suite, jusqu’à manquer de respect aux personnes. Sans un minimum de rigueur et d’effort, il n’y a plus ni progrès, ni évolution, ni vie sociale digne de ce nom !

Dans cet article j’évoque bien sûr les arts martiaux ; d’autres sports de combats possèdent leur propre tenue (boxe, lutte, etc.) et continuent à l’arborer fièrement. Pourquoi serions-nous les seuls à refuser une règle basique ?

Enfin, l’utilisation de la « tenue de ville » (adaptée) pourra être considérée comme un complément à l’étude de la self-défense, ou encore comme une approche et une étape pour ensuite entrer dans le monde des budos.

Alors, un peu de tenue !

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« Bras de fer », retraite et solidarité.

Dans un dojo, comme dans beaucoup d’associations sportives, toute discussion politique ou religieuse est bannie. Aussi je ne saurais déroger à cette règle ; il n’est donc pas question de prendre parti, Il s’agit juste de s’étonner que perdure  une situation qui est préjudiciable à beaucoup de domaines. Ce qui est regrettable, c’est cette incapacité à trouver une solution satisfaisant l’intérêt général. Les dirigeants et les différents responsables ne montrent pas l’exemple ; certes, eux ne sont pas impactés, pas le moins du monde, ils sont parfaitement à l’abri ; est-ce une raison pour être à la limite de l’irrespect et de l’irresponsabilité ? Notamment quand on voit les usagers des transports en commun voyager dans des conditions que l’on n’accepterait pas de faire subir à des animaux. Sans parler des autres dommages collatéraux.

Les pratiquants d’arts martiaux, peuvent affirmer que nous sommes loin des préceptes de Jigoro Kano et des principes de son judo ; il les voulait universels et applicables dans tous les domaines, pour une meilleure vie en société. Or, dans ce conflit, chacun est arc-bouté sur ses positions et on assiste à un indécent « bras de fer ». Il semble invraisemblable que n’existe pas de solution. L’objectif de ces quelques lignes n’est pas de désigner un « coupable » (mon statut ne me l’autorise pas), mais tout simplement de faire le constat navrant que des personnes arrivées à un tel niveau de responsabilité soient dans l’incapacité de trouver une sortie de crise.
Quant à moi, « retraite et solidarité », ne bénéficiant ni de l’une ni de l’autre, j’ai du mal à évoquer le sujet. Même si je prends un plaisir sans limite à continuer à transmettre, il est évident qu’avec une solidarité corporative, j’aurais pu assouvir cette passion de la transmission sans avoir la nécessité de me relancer dans le challenge dans lequel je me suis engagé à l’âge de la retraite ;  celle des indépendants étant loin d’être viable, je n’avais pas d’autre choix. Ce choix, à contre courant, et qui demande beaucoup de sacrifices, m’offrira cependant de très belles récompenses, à savoir la fierté engendrée par une mission accomplie et la satisfaction que procure un métier que l’on aime. Sans oublier que je ne devrai rien à personne, hormis aux nombreux élèves qui peuplent ce dojo qui est d’ores et déjà une belle réussite.

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Une démonstration convaincante

Comme à chaque période durant laquelle certains ont la chance de profiter de quelques jours de repos, en lieu et place de mon billet hebdomadaire, je propose une petite histoire. Issue du savoureux livre « contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ». Des histoires qui ont été réunies par Pascal Fauliot aux éditions Albin Michel.

Plusieurs chapitres le compose, avec chacun un thème particulier. Celui de ce jour appartient à « l’art de vaincre sans combattre ». . Il s’agit d’un conte, mais allez savoir…

Une démonstration convaincante.

« Un ronin rendit visite à Matajuro Yagyu, illustre Maître de l’Art du sabre, avec la ferme intention de le défier pour vérifier si sa réputation n’était pas surfaite.

Le Maître Yagyu tenta d’expliquer au ronin que le motif de sa visite était stupide et qu’il ne voyait aucune raison de relever le défi. Mais le visiteur, qui avait l’air d’être un expert redoutable avide de célébrité, était décidé d’aller jusqu’au bout. Afin de provoquer le Maître, il n’hésita pas à le traiter de lâche.

Matajuro Yagyu n’en perdit pas pour autant son calme mais il fit signe au ronin de le suivre dans son jardin. Il indiqua ensuite du doigt le sommet d’un arbre. Etait-ce une ruse pour détourner l’attention ? Le visiteur plaça sa main sur la poignée de son sabre, recula de quelques pas avant de jeter un coup d’œil dans la direction indiquée. Deux oiseaux se tenaient effectivement sur une branche. Et alors ?

Sans cesser de les regarder, le Maître Yagyu respira profondément jusqu’à ce qu’il laisse jaillir un Kiaï, un cri d’une puissance formidable. Foudroyés, les deux oiseaux tombèrent au sol, inanimés.

« Qu’en pensez-vous » ? demanda Matajuro Yagyu à son visiteur.

« In… incroyable… », balbutia le ronin, visiblement ébranlé comme si le kiaï l’avait lui aussi transpercé.

« Mais vous n’avez pas encore vu le plus remarquable… »

Le second Kiaï du Maître Yagyu retentit alors. Cette fois, les oiseaux battirent des ailes et s’envolèrent.

Le ronin aussi. »

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Les 24 techniques

Lors du stage qui s’est déroulé le 17 novembre à Paris, nous avons travaillé sur les «24 techniques ».

A l’intention de ceux qui ne connaissent pas ou pas bien cet enchainement, j’ai pensé qu’il serait utile de lui consacrer ce billet hebdomadaire.

En 1992 un professeur de judo qui postulait à un « dan » important butait sur l’unité de valeur ju-jitsu ; celle-ci consistait à présenter une expression libre de plusieurs minutes sur le sujet. Il avait deux mois pour se préparer et il est venu me demander si je pouvais l’aider. Juste pour info, à cette période, je faisais partie de la Commission nationale ju-jitsu de la FFJDA.

Devant le peu de connaissance de ce professeur en matière de ju-jitsu et avec un temps de préparation assez mince, je me suis attelé méthodiquement à cette entreprise, partant du principe que rien ne résiste à une bonne organisation.

D’abord il était indispensable de présenter le plus possible de situations d’attaques ; à mains nues et armées, à distance et au contact, etc. En face, en terme de ripostes, il était nécessaire de faire état des principales composantes de notre discipline (coups, projections, contrôles) ainsi que des techniques les plus représentatives de chacun de ces groupes. Il fallait également mettre en avant différents schémas d’enchaînements. Enfin, et c’était important, inclure tout cela méthodiquement de façon à ce que la mémorisation s’impose facilement. J’ai opté pour un classement des attaques par groupes de trois : tentatives de saisies, défenses sur coup de poings, sur coup de pieds, etc. Une fois la mission accomplie (l’unité de valeur ayant été validée), j’ai pensé que ce serait dommage de ne pas continuer à utiliser cet enchaînement ; je l’ai donc inclus dans mon programme d’enseignement. Manifestement, il donne satisfaction à bon nombre de pratiquants de tous niveaux, si j’en crois, entre autres réactions, celles manifestées lors du dernier stage. J’ai réalisé, il y a déjà quelques années, deux supports techniques sur ces « 24 techniques », un livre (photo d’illustration) et un DVD (épuisé). Quelques vidéos qui présentent l’enchaînement circulent sur internet, je ne cautionne pas l’ensemble. De toutes les façons, il est largement préférable de transpirer sur un tatami en pratiquant que de s’user les yeux et les doigts sur un Smartphone !

J’ajoute que cet enchaînement vient en complément d’autres réalisations que j’ai eu le plaisir de concevoir, telles que les 16 techniques, les 16 bis, les 16 ter, les 16 contrôles, entres autres.

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