La triste nouvelle de la disparition de Luc Levannier que j’avais relayée la semaine dernière sur ma page Facebook, ainsi que les commentaires qu’elle avait suscités m’ont inspiré quelques réflexions.
D’abord concernant Luc Levannier. Il était un des pionniers du judo français, ceux à qui nous devons l’incroyable engouement suscité par cet art martial dans notre pays ; c’était aussi un grand technicien amoureux de la beauté du geste et attaché aux principes de base du judo. J’ai eu la chance et le plaisir de le côtoyer dans les années 1990, nos réunions traitaient bien évidemment de nos deux disciplines, le judo et le ju-jitsu. En plus de ses compétences techniques et pédagogiques, j’appréciais sa conception des arts martiaux qui lui avait d’ailleurs fait prendre ses distances avec une certaine politique ultra-sportive. Un jour, il avait eu une formule que je n’oublierai jamais : «Nous pratiquons des arts martiaux bios ». Je trouvais cette formule très jolie et bien imagée ; j’étais très flatté qu’il m’y associe. Enfin, chez lui, j’aimais une autre grande qualité, plus exactement l’absence d’un certain défaut : la « compromission » ! Il était fidèle à ses convictions, et ce n’était pas pour me déplaire !
L’autre réflexion qui me vient spontanément à l’esprit, c’est que l’actualité allant très vite, les évènements s’enchaînant à un rythme de plus en plus rapide, nous avons tendance à tourner les pages de plus en plus prestement et à oublier un peu trop vite ceux qui nous quittent ; la mémoire a tendance à se raccourcir.
J’ai eu la chance de connaitre quelques uns de ces fameux « pionniers du judo français » ; ils possédaient en commun la passion de leur art, ils avaient une très haute considération de leur mission, celle de transmettre. Ils étaient animés toute à la fois par la fraicheur liée à la découverte, mais aussi par une incroyable maturité dans leur attitude de transmission. Leurs dojos n’étaient pas des sanctuaires, mais il y « transpirait » aussi l’expression exacte de la traduction de dojo : le lieu où l’on trouve la voie. Cela commençait par le respect de certaines règles élémentaires, le respect des lieux et des personnes qu’aucun n’aurait eu l’idée de transgresser.
A propos de ces pionniers, il existe un excellent ouvrage qui leur rend hommage en évoquant avec précision leurs parcours ; il s’agit du livre, le bien nommé, « les pionniers du judo français » écrit par Claude Thibaud, une autre personnalité de notre judo national que l’on pourrait qualifier d’historien de judo français. La première parution de ce livre remonte à 1966, une réédition actualisée à l’année 2000 (chez Budo Editions).
Parmi les sommités qui figurent dans cet ouvrage, je citerai les noms de ceux dont j’ai pu bénéficier de l’enseignement et qui m’ont influencé : Guy Pelletier, Maurice Gruel, Jacques Leberre, Luc Levannier et bien évidemment Henri Courtine et… Bernard Pariset. Mais il y en a beaucoup d’autres que je n’ai pas eu la chance de connaitre et qui ont marqué le pays. Et puis il ne faut surtout pas oublier les experts japonais qui se sont installés en France, notamment Mikinosuke Kawashi et Shozo Awazu. Ensuite, d’autres « grands noms » qui ne figurent pas dans cet excellent ouvrage sont venus grossir la liste de ces experts. Je suis peut-être de la « Vieille Ecole », celle animée par des sentiments qui semblent désuets et dépassés à certains, celle qui respecte les « anciens » surtout lorsqu’ils ont accompli de tels parcours. (Et je l’assume pleinement !)
Dans cette période pour le moins troublée je terminerai avec une notre positive. En effet, le nombre important de réactions et de commentaires sur ma page Facebook – à propos de Luc Levannier (en pourcentage par rapport aux autres parutions) – me font penser que, s’agissant d’un homme habité par des valeurs essentielles, tout n’est peut-être pas perdu dans certains domaines.