Tori et Uke, amis pour la vie

Tori et Uke sont deux personnages bien connus des pratiquants d’arts martiaux et notamment des ju-jitsukas. Pour les novices et afin de faciliter les présentations, nous pourrions expliquer que dans ce couple d’inséparables, Tori incarne « le gentil » et Uke « le méchant ».

Cette définition, même si elle facilite l’identification des rôles, est un peu réductrice dans la mesure où les deux protagonistes, dans ces positions interchangeables, sont complémentaires et non pas adversaires. Sans Uke, Tori n’existe pas. Dire que c’est Tori qui conclut une action est plus juste pour signifier les implications respectives.

Une traduction littérale nous révèle que Tori est celui qui « prend » ou « choisit » et Uke celui qui « reçoit » ou « subit ». Cela semble assez explicite.

Dans la connivence qui unit ces deux personnages, il n’existe aucune rivalité, ils doivent être continuellement en quête d’une parfaite osmose.

Bien souvent c’est Tori qui attire davantage l’attention et le rôle d’Uke n’est  pas toujours considéré à sa juste valeur et parfois même il peut paraître ingrat. Or, son rôle est déterminant. C’est grâce à lui que Tori réalise ses progrès, qu’il peut ouvrir et élargir son champ des connaissances. En plus d’une parfaite maîtrise de la chute,  Uke doit être capable d’adopter toutes les situations, les postures et les réactions qui peuvent se présenter à son partenaire. Il se doit d’être d’une disponibilité corporelle totale, malléable à souhait, dans le bon sens du terme. Il doit «jouer le jeu ».

Pour parfaitement maîtriser une technique ou un enchaînement, il est indispensable de pouvoir les répéter des dizaines, des centaines, des milliers de fois. Imaginons un seul instant le faire sur un mauvais partenaire, pire encore sur un partenaire qui résiste systématiquement ! Pas de répétition, pas de progrès.

Le rôle d’Uke étant déterminant, il serait presque préférable d’être d’abord un bon Uke avant de devenir un bon Tori. Au-delà de cette constatation, somme toute assez logique, par l’intermédiaire de ce billet, c’est l’occasion de rendre hommage à ces personnages qui doivent être interchangeables et rappeler qu’entre eux il n’y a pas ni vainqueur ni vaincu, mais une victoire commune, celle de la conquête du savoir.

Il y a des anniversaires que l’on ne fête pas !

Deux ans après le début d’une crise qui a bouleversé beaucoup de vies, nous sommes assez nombreux à ne pas être encore sortis d’affaires, dans une certaine indifférence, pour ne pas dire une indifférence certaine. Nous n’avons pas tous été traités de la même manière. Les sinistrés (et laissés-pour-compte)  de la crise économique déclenchée par  la crise sanitaire et sa gestion, n’ont pourtant pas manqué ni de volonté, ni d’énergie pour tenter de réparer des désastres qui ne doivent pas tous être mis sur le compte des « coups du sort ».

Et l’horreur qui se déroule à nos portes depuis plus de trois semaines ne favorise pas une reprise  indispensable à la survie.

Les images de plus en plus effroyables qui nous sont délivrées nous prouvent qu’il y a toujours pire situation que la nôtre ; la cruauté n’a décidément pas de limite. Là, nous atteignons le comble de l’inhumanité.

J’appartiens à la catégorie de ceux qui sont en difficulté depuis maintenant deux ans : une vie abîmée, des projets anéantis, des espoirs massacrés et de lourds investissements totalement perdus, et non indemnisés.

Cette horrible guerre (pléonasme) confirme qu’il y a toujours pire situation que la sienne, mais cela n’enlève pas le droit d’essayer de s’extraire du marasme dans lequel certains ont été plongés, avec injustice et dans l’indifférence.

L’injustice, parce que ce ne sont pas ceux qui prennent les décisions qui sont impactés par celles-ci. Je le constate amèrement depuis deux ans. L’indifférence, parce qu’en autres nombreuses actions entreprises, mes lettres adressées au ministre de l’Economie sont restées sans réponse. Par contre, on ne manque pas de me réclamer des cotisations sociales au titre de mon statut d’indépendant : le comble de l’indécence !

On va me dire qu’il faut cesser de ruminer, qu’il est temps de passer à autre chose, « se bouger », que je pourrais être sous les bombes.

Me bouger, c’est bien évidemment ce que je fais, je n’ai pas attendu les conseils et encore moins les critiques de certains donneurs de leçons qui sont « bien au chaud », sans risque pour leur avenir.  Je ne me plains pas, j’exprime une colère qui me semble légitime. Maintenant avec « l’épée de Damoclès » que l’on fait planer sur la nos têtes (entre retour de pandémie et guerre), il faudrait faire preuve d’une formidable inconscience pour investir à nouveau dans une entreprise privée.  J’ai largement donné il y a deux ans ! Je n’ai pas traversé la rue pour trouver du travail, mais la moitié du pays.

Deux ans sans travail ou si peu, c’est long, trop long, les efforts fournis aboutissent à de bien maigres résultats. Et l’explosion du prix des produits de première nécessité, ne peut que renforcer l’inquiétude quant à l’avenir.

Les quelques animations mises en place sont utiles moralement, mais bien insuffisantes. Je l’avais déjà évoqué.

Les stages, puisqu’il est question d’eux, sont de véritables moments de bonheur, de réconfort moral et de sentiments d’utilité, je remercie très chaleureusement tous ceux qui peuvent y participer. Je suis bien placé pour savoir que l’on ne fait pas ce que l’on veut, beaucoup souhaiteraient être présents, mais ne le peuvent pas. Je ne suis pas le seul à rencontrer des difficultés, avec ce que nous subissons depuis vingt-quatre mois, beaucoup sont touchés… et oubliés.

Donc aujourd’hui, pour moi,  c’est un bien triste anniversaire que celui de la fermeture imposée d’un tout jeune dojo dans lequel tant d’espoirs avaient été mis.

Quelques mois avant, en juillet 2019, après des années difficiles, j’avais décidé de repartir au combat. A un âge où certains profitent de la retraite ; il s’agissait d’un pari audacieux, j’assumais ce risque. D’autant que l’insignifiante pension de retraite des indépendants impose une réactivité de survie. Encore faut-il être en capacité physique, mentale et matérielle pour l’assumer. Malgré tout, que l’on se rassure, le combat continue.

Les katas…

L’article technique de cette semaine est consacré aux katas.

Il n’est pas inutile de revenir aux premières raisons d’être des katas. Les quelques lignes qui suivent ne sont que l’émanation de mon point de vue. « L’évolution vient du partage des opinions ».

On traduit kata par le mot « forme ». Pour plus de clarté on peut ajouter « imposée ».

Ils sont des moyens d’apprentissage, des méthodes d’entraînement, ils permettent la codification, la transmission et même la sauvegarde des techniques et des principes de bases. Ils sont les garants de nos traditions.

Malheureusement, considérés parfois comme des  « passages obligés » pour accéder au grade supérieur, ils ne sont abordés que dans cette optique ! Qu’ils intègrent un ensemble de contenus techniques d’évaluation, cela semble juste, mais leur utilité est plus importante que cela, heureusement. Ils ne sont pas non plus une machine à recaler, dans laquelle se nichent parfois quelques abus d’autorité (comprenne qui pourra, ou qui voudra).

Les katas permettent de rassembler les techniques par famille et/ou par thème et de leur faire traverser les âges, ce sont aussi de formidables méthodes d’entraînement.  En effet, ils représentent souvent un combat (le goshin-jitsu-no-kata notamment), certes un combat codifié pour des raisons évidentes de sécurité, mais il s’agit bien du reflet d’un affrontement ;  en conséquence, les attaques de Uke doivent être sincères et fortes de façon à ce que les ripostes de Tori le soient tout autant, mais aussi qu’elles soient  réalistes et donc efficaces.

Pour les judokas, certains katas sont aussi l’occasion d’étudier des techniques « oubliées »,  interdites en compétition, c’est le cas du kime-no-kata et du goshin-jitsu-no-kata.

Le kata est également un exercice de style, certaines attitudes doivent être respectées. C’est ce qui différencie l’art martial de la simple méthode de combat ou de self-défense.

Ils sont aussi, tout simplement une addition de techniques intéressantes à pratiquer individuellement. Il n’est pas nécessaire d’attendre que se profile à l’horizon un examen pour commencer à les étudier.

Lors de l’exécution d’un kata, à l’occasion d’un examen, l’évaluation doit se faire, avant tout, en tenant compte de l’efficacité des ripostes de Tori, celles-ci  répondant aux attaques de Uke dont la sincérité doit être incontestable. Ensuite, puisqu’il s’agit de formes imposées, il est indispensable  de respecter l’ordre de la présentation, les déplacements et emplacements. Enfin il faudra être attentif à l’attitude générale dans laquelle doivent être exclus désinvolture et relâchement corporel.

Cependant, un problème et un mystère demeurent et entourent les katas : il s’agit de ces incessantes modifications dont ils sont les victimes de la part des organismes « officiels ». Cela a pour effet de décourager les élèves, de désorienter les professeurs et le jury, allant jusqu’à discréditer ces exercices.

En conclusion, je pense que pour faire apprécier le kata, il suffit simplement de le présenter comme partie intégrante de la pratique  et non pas comme un passage imposé pour l’accession à un grade supérieur.


 

Mes 16 techniques

C’est pour les besoins d’une démonstration qu’est né cet enchaînement.

Nous étions en 1982, le remise en valeur du ju-jitsu battait son plein et j’avais été sollicité pour produire une prestation à l’occasion des deuxièmes championnats du monde de judo féminins qui se déroulaient à Paris. Il était entendu que le rôle de Tori serait tenu par une femme. Ce fût une de mes élèves, Marie-France Léglise qui était « la gentille », j’officiais dans le rôle « du méchant ». (Je n’ai pas toujours été Tori.)

J’avais donc mis au point une démonstration en deux parties. Une première dans laquelle chaque technique était démontrée d’abord au ralenti, puis à vitesse normale, et, stage  une seconde qui proposait un enchaînement très rapide. Les 16 Techniques étaient nées.

A titre personnel, je ne les ai jamais abandonnées. Plusieurs raisons à cela.

D’abord, elles sont d’une indiscutable efficacité pour peu qu’on se donne la peine de les assimiler et de les répéter. Certes, il ne faut pas nier la difficulté de bien maîtriser certaines projections, mais évoluer n’est-il pas un but dans la vie ? Si ce n’est « le » but, quelque soit le domaine !

Cet enchaînement permet de renforcer son savoir-faire technique sur un nombre varié d’attaques et de ripostes. Des ripostes qui proposent des coups, des projections et des contrôles, et les fameuses liaisons qui font la force du ju-jitsu.

Il est aussi un moyen d’acquérir des qualités indispensables, comme les automatismes, la vitesse d’exécution et il améliore la condition physique.

Cet enchaînement est également une sérieuse base de travail. En effet, à partir de chaque technique, il est possible de proposer ce que j’appelle des « déclinaisons » : enchaînements à partir de réactions de Uke, mise en place de ripostes différentes à chaque attaque, avec la possibilité d’imposer un thème : par exemple ne proposer que des clefs ou bien des étranglements ou encore des projections différentes des originelles.

On peut aussi envisager d’étudier des contre prises, même si, s’agissant de self défense, cela peut paraître surprenant, mais pour renforcer une technique, étudier les moyens d’y échapper n’est pas inutile.

Les détracteurs trouvent cet enchaînement trop difficile et lui opposent le fait que l’on peut faire plus simple en matière de self défense,  ce qui est vrai ! Mais rien n’empêche le professeur de proposer dans un premier temps des ripostes plus faciles. Ensuite, « qui peut le plus, peut le moins » ; viser plus haut, c’est une façon de ne pas se scléroser et puisque nous sommes dans les proverbes et citations faciles, on peut citer celle-là : « qui n’avance pas recule ».

Il est également utile de se souvenir que nous pratiquons un art martial, avec une histoire et un patrimoine technique que nous ne pouvons pas renier et que cette discipline est aussi un moyen d’épanouissement physique et mental. Même si l‘aspect utilitaire est incontournable, il ne serait pas sain de se limiter à celui-ci à longueur de saison.

Il ne faut pas oublier non plus qu’à cette époque (en 1982), l’objectif  était de respecter l’histoire en rendant indissociables judo et ju-jitsu, en les considérant comme complémentaires. Le ju-jitsu peut être une façon d’apprendre les techniques de judo dans leur utilisation première, ce qui de mon point de vue est un excellent moyen. Malheureusement cela n’a pas toujours été compris.

« Les 16 techniques » sont une preuve indiscutable du lien qui existe entre le judo et le ju-jitsu, comment pourrait-il en être autrement ?

Enfin, les enseigner, les pratiquer et les démontrer sont à chaque fois de véritables moments de plaisir !

(La couverture qui sert d’illustration à cet article est celle d’un livre qui présente, entre autres, cet enchaînement.)

Le ne-waza (travail au sol)

Cette semaine, l’article technique est consacré au ne-waza (le travail au sol).

Voilà un domaine à la richesse technique exceptionnelle et dans lequel il est possible de s’exprimer très longtemps. Il est pratiqué dans beaucoup de disciplines, son efficacité est incontestable, que ce soit dans le domaine sportif ou dans le domaine « utilitaire ». En judo, par exemple, les conclusions au sol ne sont pas rares et en self défense, même si une agression à de fortes chances de débuter debout, il ne serait pas raisonnable de le négliger. Enfin, l’aspect ludique, sur lequel j’insiste souvent, est bien présent.

Développons !

La richesse technique est importante, puisque l’on y trouve des clefs, des étranglements et des immobilisations, plus toutes les combinaisons et enchaînements réalisables.

On peut s’y exprimer longtemps, la vitesse n’est pas un critère déterminant, à l’inverse du travail debout. On peut « prendre son temps » pour aboutir, et même préparer plusieurs coups à l’avance. Les joueurs d’échecs y trouvent d’ailleurs un parallèle.

En plus d’un sérieux bagage technique, on développera une bonne condition physique et un renforcement musculaire naturel.

Dans les disciplines qui se pratiquent en compétition d’affrontements directs, beaucoup de combats trouvent leur conclusion au sol. En self défense, on doit être en capacité de réagir lorsque l’on y est amené, souvent contre son gré. Une maîtrise technique dans ce domaine permet de ne pas subir et de pouvoir contrôler sans trop de violence. Et puis, il serait peut-être un peu présomptueux d’affirmer qu’on ne laissera pas le loisir à un éventuel agresseur de venir au contact.

Enfin, c’est sans doute dans ce domaine que l’aspect ludique est le plus présent. Certes, cela se vérifie davantage quand on est celui qui domine. C’est à ce moment-là que l’on pourra être un peu « joueur » comme le chat l’est avec la souris.

Certains sont assez bloqués par rapport au ne-waza. C’est vrai que le souvenir (ou la perspective) de se trouver étouffé(e) sous un torse velu et suintant, n’est pas forcément engageant. Je peux en attester, pour l’avoir vécu en tant que jeune pratiquant. A ce moment-là, il faut se dire qu’existent deux solutions : soit arrêter la pratique, soit la renforcer pour ne plus être celui qui subit. Et puis, la diversité des partenaires, des niveaux et la bonne organisation du tatami par le professeur, doivent permettre de trouver plus fort et moins fort que soi. En sachant que c’est naturellement l’entraînement qui offre les progrès, cette évidence est malgré tout bonne à rappeler ; il n’existe pas de remèdes magiques, ni de disciplines ou de domaines dans lesquels règne la « science infuse ». Par contre, le ne-waza est une véritable « science du combat ».

Katame-waza, le travail des contrôles

Après l’atemi-waza et le nage-waza, place au katame-waza, pour aborder la troisième composante du ju-jitsu.

Dans les techniques de contrôle se trouvent les clefs (kansetsu-waza), les étranglements (shime-waza) et les immobilisations (osae-waza). Ces trois domaines sont utilisés en judo comme en ju-jitsu, avec des objectifs différents.

En ju-jitsu ces techniques marquent souvent la dernière phase d’une défense, après les coups et les projections, mais pas systématiquement, elles peuvent être utilisées directement sur une attaque. En judo elles se concrétisent toujours au sol.

En ju-jitsu, elles peuvent s’appliquer aussi bien debout qu’au sol. Leur efficacité est redoutable et elles permettent parfois de moduler la riposte. A l’aide d’une clef, par exemple, il est possible de maîtriser un agresseur sans forcément mettre ses jours en danger, ce qui n’est pas inutile ; le respect de la vie et la notion de légitime défense sont des notions à respecter.

Les clefs (kansetsu-waza) consistent à « forcer » les articulations à « contre-sens » pour celles en hyper-extension ou aller au-delà des possibilités de flexion pour les clefs en torsion.  Le premier groupe appartient aux « gatame », le second aux « garami ». En ju-jitsu self-défense  existe aussi les torsions de poignet, les clefs de jambes, autant de techniques interdites en judo, pour des raisons évidentes de sécurité.

Concernant les étranglements (shime-waza), l’étude doit être sérieusement encadrée, il est évident que l’issue peut s’avérer fatale. Cependant, comme pour beaucoup de techniques, l’apprentissage est long et avant une parfaite maitrise il faut une longue pratique au cours de laquelle on aura acquis de la sagesse et du contrôle. Il y a deux formes d’étranglements : respiratoires et sanguins. Ils se pratiquent essentiellement à l’aide des membres supérieurs, mais les jambes sont aussi de redoutables armes naturelles dans ce domaine, la preuve  avec le fameux « sankaku-jime ».

Quant aux immobilisations (osae-waza), elles sont surtout utilisées en judo et uniquement au sol. En ju-jitsu self-défense l’intérêt se limite à celles qui emprisonnent aussi les bras de l’adversaire.

Comme indiqué plus haut, l’efficacité demande beaucoup de pratique, donc de patience, de volonté et de rigueur. Mais ne s’agit-il pas de qualités indispensables dont doit être doté tout étudiant dans les arts martiaux ?

Bien réaliser un waki-gatame, par exemple, demande énormément de travail. Il y a la précision, la meilleure utilisation des ressources naturelles du corps et pour cela une « forme de corps » que l’on va modeler, un peu comme un sculpteur le ferait avec son « ouvrage ».  Pour cela les conseils du professeur sont indispensables, mais plus encore il s’agira de ne pas se lasser de longues, très longues répétitions pour « ressentir » la technique.

Côté efficacité, je ne manque de témoignages de personnes agressées ayant pu se sortir de situations très délicates, pour ne pas dire périlleuses, notamment face à des attaques avec armes, grâce au « katame-waza ». Cela vaut la peine de consacrer du temps à l’étude de cette composante incontournable du ju-jitsu.

Nage-waza (travail des projections)

Après l’atemi-waza (le travail des coups), la semaine dernière,  j‘évoque aujourd’hui le nage-waza (le travail des projections).

La famille des projections est une composante incontournable du judo mais aussi du ju-jitsu. Que ce soit en compétition de judo, ou dans le domaine de la self-défense, les affrontements commencent debout.

L’efficacité, l’esthétisme et l’aspect ludique sont les trois raisons qui me font aimer ce domaine majeur qu’est le nage-waza.

Les projections peuvent être tout à la fois efficaces et esthétiques. Efficaces dans la mesure où « tout le monde peut faire tomber tout le monde », pour peu que « le bon geste au bon moment » soit appliqué. Qui peut contester leur terrible efficacité, surtout sur un sol dur ?

Ceci étant, leur parfaite maîtrise demande beaucoup de travail, de persévérance et de rigueur, mais quelle merveilleuse récompense que celle de réaliser un bel uchi-mata, par exemple.

Le principal intérêt des projections réside dans le fait qu’elles ont été conçues pour être appliquées en utilisant des principes et des mécanismes qui ne demandent que peu ou pas d’effort. Leur parfaite exécution répond à l’une des maximes de Jigoro Kano « minimum d’effort et maximum d’efficacité ». Le premier de ces principes consiste à utiliser la force de l’adversaire. Il y en a d’autres, comme celui de l’addition des forces, de bascule au-dessus du centre de gravité, etc.

L’utilisation des projections sera différente selon que l’on se situe dans le domaine de la « self-défense » ou en opposition lors de randori (exercice libre d’entraînement) ou encore de compétition entre judokas. En matière d’auto-défense l’application se fera la plupart du temps directement. Exemple : l’adversaire vous pousse, vous appliquez hiza-guruma. Pour les néophytes, il s’agit d’une projection qui consiste à faire le vide devant celui qui porte l’attaque, en ajoutant  simultanément à sa poussée, une traction dans la même direction, tout en lui « barrant » le bas de son corps au niveau des jambes (une sorte de « croche patte » très amélioré).

Dans le randori et à fortiori en compétition de judo, les deux protagonistes maîtrisant d’une part l’art des projections et d’autre part s’attendant à tout moment à devoir faire face à une attaque de ce type, la concrétisation se fera avec les notions d’enchaînements, de confusions, de contre-prises, etc. Il n’empêche que pour maîtriser parfaitement l’art des projections un ju-jitsuka ne devra pas négliger l’ensemble des méthodes d’entraînement qui permettent d’envisager des réactions de la part de l’opposant.

Enfin, concernant l’aspect ludique (à l’entraînement évidemment) il est bien réel. Nous sommes aussi dans le loisir et il ne serait pas sain d’être continuellement dans des conditions psychologiques identiques à celles d’une agression.

Lors des séances, l’objectif du randori réside dans le fait de faire tomber quelqu’un qui ne le veut pas et de répondre spontanément à une situation imprévisible ! Pour cela on utilisera la maîtrise technique, la vitesse, les fautes du partenaire, celles qui sont directes et celles provoquées à l’aide de feintes et de confusions. C’est une sorte de jeu dans lequel réside beaucoup de plaisir, de satisfaction, à la condition de ne pas être celui qui chute tout le temps ! Cela doit se concevoir sans aucune intention d’humilier le partenaire (encore moins de l’écraser) mais simplement avec l’envie de progresser par rapport à soi-même.

Le nage-waza est aussi le secteur qui comporte le plus de techniques et par conséquent d’enchaînements et de combinaisons possibles. Enfin, chacun pourra les adapter en fonction de son gabarit.

C’est donc un domaine efficace, spectaculaire et enthousiasmant. Sans oublier l’épanouissement physique et mental qu’il ne manquera pas d’apporter, c’est aussi une belle expression corporelle.

Il aurait inévitablement manqué quelque chose à mes démonstrations si ces techniques n’existaient pas !

La semaine prochaine, le katame-waza, les techniques de contrôle !

 

Atemi-waza, le travail des coups

La semaine dernière, je proposais un article technique sur les liaisons du ju-jitsu : l’intérêt des combinaisons entre les différentes composantes et l’importance de la recherche de fluidité dans leurs enchaînements.

Aujourd’hui arrêtons nous sur l’atemi-waza (le travail des coups), l’une des trois composantes de cette discipline. Pour rappel, les deux autres étant le nage-waza (le travail des projections) et le katame-waza (le travail des contrôles).

En ju-jitsu, l’atemi-waza possède la particularité de ne pas être une finalité, mais un moyen d’y parvenir ; un « coup porté » permet un déséquilibre favorisant l’enchaînement avec une projection ou un contrôle, ou encore les deux.

Logiquement il compose la première partie d’une défense, puisqu’il s’utilise à distance. Un « enchaînement type », se déroulera de la façon suivante : coup, projection et contrôle. Mais ce n’est pas une règle absolue.

L’étude de l’atemi-waza est importante pour trois raisons essentielles.

D’abord pour son efficacité dans le travail à distance. Il est souhaitable d’avoir une bonne maîtrise dans ce domaine aussi bien pour l’utiliser que pour s’en défendre. Si mon partenaire ne maîtrise pas bien les coups, j’ai peu de chance d’apprendre à me défendre contre ceux-ci.

Ensuite, sa pratique est intéressante sur le plan physique, elle permet de travailler la souplesse, la vitesse, et dans les randoris (les exercices d’opposition codifiés) de parfaire sa condition physique. Sans oublier l’aspect ludique que l’on trouvera dans ces affrontements, pour peu qu’ils soient pratiqués avec un parfait état d’esprit.

Enfin, cette pratique procurera ce que l’on appelle le « sens du combat » : le coup d’œil qui favorise les automatismes  d’attaques et de défenses. Ce sens du combat qui peut se transposer d’une forme de science à une autre. Pour être précis, quelqu’un qui a des compétences dans le travail à distance, à de fortes chances d’en posséder aussi dans le corps à corps. Savoir saisir le bon moment, l’opportunité.

Le livre dont la couverture illustre cet article contient différents chapitres qui traitent des méthodes d’entraînement spécifiques à cette composante, mais aussi un enchaînement appelé « les 16 atemis ». Cette « suite » propose 16 défenses sur des coups portés  à l’aide des bras et des jambes, avec des ripostes uniquement en atemi. Une des particularités de cette « sorte de kata » se trouve dans la compatibilité des techniques avec les autres composantes du ju-jitsu. Chaque défense doit pouvoir s’enchaîner avec une projection et/ou un contrôle.

Malheureusement ce livre qui date de 1985 est épuisé, mais sa réédition est toujours envisagée.

 

Les liaisons

Voilà un sujet qui me tient particulièrement à cœur, à savoir les liaisons que l’on trouve en ju-jitsu.

Le Ju-jitsu propose des techniques de coups, de projections et de contrôles : l’atemi-waza, le nage-waza et le katame-waza. L’étude et la maîtrise de ces trois composantes est indispensable, mais ce qui l’est tout autant, c’est la capacité à les enchaîner avec une parfaite fluidité. Exemple : bien maîtriser un mae-geri et un o-soto-gari est une chose, bien maîtriser l’enchaînement de ces deux techniques en est une autre. C’est ce qui représente une grande part de l’efficacité de cet art.

Le ju-jitsu n’est pas un « assemblage », c’est-à-dire un mélange de plusieurs disciplines, il est une entité, un bloc. Nous devons être en capacité de nous adapter immédiatement à une situation donnée, que ce soit à distance ou bien en corps à corps et surtout être capable de passer de l’une à l’autre. C’est le principe de ce que j’appelle « la liaison », cette liaison sur laquelle j’insiste et que j’aborde régulièrement dans mon enseignement.

Pour que cette liaison soit possible, certains impératifs doivent être respectés, comme la garde par exemple. Une garde trop basse sur les jambes ne permettra pas d’obtenir l’indispensable fluidité dans la liaison d’un coup avec une projection. Mais aussi – bien que soient indispensables les répétitions de techniques secteur par secteur, il faudra le plus souvent possible travailler des enchaînements dans lesquels nous trouverons au moins deux des composantes du ju-jitsu. Un coup enchaîné avec une projection, ou avec un contrôle, ou mieux encore, une liaison des trois composantes.

Ces enchaînements peuvent aussi se travailler sous forme d’uchi-komi (des répétitions sans chute) avec un partenaire. Mais aussi seul, « dans le vide ».

J’ai évoqué les liaisons « coups-projections », mais les liaisons «debout-sol », sont tout aussi importantes (on les retrouve également en judo). Enchaîner le plus vite possible, une projection avec une clef,  sera aussi important que maîtriser chacune des deux techniques en question. On devra pratiquer régulièrement des enchaînements dans lesquels on recherchera à ce qu’il y ait le moins de temps morts possible entre la projection et le contrôle.

L’étude et les répétitions d’enchaînements tels que les katas ou des exercices plus récents comme les « 16 techniques » doivent figurer régulièrement au programme des cours et pas simplement à l’approche des passages de grades, ce qui  malheureusement est parfois le cas.

Enfin, il est incontestable que chacun possède ses préférences, pour des raisons intrinsèques, ou par admiration. Cela n’interdit pas d’essayer de s’améliorer dans le ou les domaine(s) pour lesquelles les prédispositions naturelles ne sont pas au rendez-vous.

Alors, au travail.

Pour illustrer cet article et en guise d’exemple, la première technique des « 24 techniques » (en compagnie d’Alain Aden, en 1994.) Extrait du livre « Enchaînements de base et avancés ».

Le randori

Retour plus technique avec un article consacré à un exercice indispensable : le randori

En guise d’introduction je propose une définition glanée sur Internet et qui me semble être un parfait résumé : « Exercice libre orienté vers l’attaque. Le randori permet la rencontre de deux partenaires dans une confrontation dont la victoire ou la défaite n’est pas l’enjeu ».

Le randori est sans doute l’exercice le plus important pour progresser et le plus agréable à pratiquer à condition de le faire avec un partenaire habité par un état d’esprit identique au notre.

Le randori existe dans la plupart des arts martiaux, qu’ils soient ou non à but compétitif. On peut traduire ce mot par « exercice libre ». Libre dans l’utilisation des techniques et leurs enchaînements, dans l’adaptation aux situations. C’est à la fois un exercice de perfectionnement technique et d’amélioration de la condition physique, mais c’est aussi un moment de vérité durant lequel il est possible de se tester dans une situation d’opposition, même si cette opposition est codifiée pour des raisons évidentes de sécurité. Je le définirai comme un exercice d’opposition codifiée à thème.

Il est important pour trois raisons principales. D’abord il permet de progresser dans l’attaque et la défense, ensuite il participe à l’acquisition et au renforcement de la condition physique et enfin, s’il est fait dans un bon état d’esprit, on prend beaucoup de plaisir dans une opposition aux allures de jeu. On peut ainsi mesurer les progrès ; par exemple, le jour où il devient possible de projeter quelqu’un alors que cela ne l’était pas quelque temps avant.

En ju-jitsu, les trois principaux thèmes sont le randori d’atemi (les coups) le randori de projections et le randori au sol. Ils permettent de se perfectionner dans chacun de ces trois domaines en toute sécurité. A titre personnel, je suis contre un exercice d’opposition dans lequel tout est autorisé. A ceux qui ne partagent pas ce point de vue au motif que dans la réalité tout est permis, je réponds que la réalité c’est la réalité et que l’entraînement c’est l’entraînement. Les consignes d’efficacité et de sécurité sont indissociables. Une pratique constructive se fait en limitant les situations dans lesquelles les risques de blessures sont importants.

Dans ces affrontements qui sont essentiellement axés sur le renforcement du système d’attaque, il est évident que l’on travaille aussi la défense. Ne serait-ce que pour proposer à son partenaire une opposition correcte.

Je conclurai en soulignant que chacun des trois principaux secteurs évoqués (coups, projections et travail au sol) possède ses particularités dans le plaisir procuré. Pour le travail des projections, arriver à « faire tomber » quelqu’un à l’aide d’une belle réalisation ou d’un enchaînement ou encore de l’application du fameux principe action-réaction est une joie que seuls ceux qui la connaissent peuvent en attester. Dans le travail au sol, l’affrontement est différent dans la mesure où, ne réclamant pas autant de vitesse d’exécution, il offre la possibilité de « fourbir » sa stratégie, de préparer plusieurs « coups » à l’avance, de prendre son temps dans l’action. Enfin, et pour terminer, on peut établir un parallèle entre le randori « coups de poings et pieds » et une conversation. « L’assaut courtois », tel que l’on nommait cet exercice du temps de Charlemont, le fondateur de la boxe française, peut s’assimiler à une discussion au cours de laquelle les deux protagonistes éviteraient de parler en même temps, sans pour autant se priver de défendre leurs propres arguments en coupant la parole s’il le faut, mais au cours de laquelle ne serait prononcé aucun « gros mot », c’est à dire ne serait exécutée aucune technique ou enchaînement dangereux.

Alors, pour toutes les raisons évoquées, n’oubliez pas les randoris.