Une jolie histoire, en forme de « contrepoids » (bien modeste) à une certaine actualité et pour terminer cette terrible année. Ce récit est emprunté au livre de Catherine Rambert, « Petite philosophie du matin », paru au livre de Poche.
Les deux malades
Deux hommes, sérieusement malades, occupaient la même chambre d’hôpital. Tous deux devaient rester alités, mais l’un des deux avait l’autorisation de se redresser dans son lit, pendant une heure, chaque après-midi, tandis que son compagnon d’infortune devait rester couché.
Le lit du premier homme étant situé juste à côté de la fenêtre, il profitait du laps de temps où il pouvait s’asseoir pour regarder au-dehors et décrire à son ami tout ce qui se passait à l’extérieur.
La chambre donnait sur un parc avec un magnifique lac. Les canards et les cygnes jouaient sur l’eau, tandis que les enfants faisaient naviguer leurs bateaux miniatures. Les jeunes amoureux marchaient bras dessus, bras dessous. Tout cela était beau et bucolique. Pendant une heure, l’homme assis décrivait tout à son compagnon avec force détails.
Ce moment embellissait la journée. Les deux hommes en profitaient pour se raconter leurs souvenirs, évoquer les enfants et leur famille… Pendant ce temps, tous deux oubliaient leur maladie, et cela mettait un peu de douceur dans leur malheur.
Au fur et à mesure des semaines, ce rendez-vous de l’après-midi devint une forme de récompense qui égayait leur vie quotidienne.
Quand l’heure arrivait, la féérie narrative recommençait. L’homme décrivait les fleurs, les arbres, en essayant de deviner leur variété, les enfants qui jouaient dans le bac à sable, la vue sur la ville au loin… En écoutant ces détails, l’autre fermait les yeux de bonheur en imaginant ces scènes belles et pittoresques.
La vie s’écoulait ainsi. Mais un matin, l’infirmière entra dans la chambre et découvrit que l’homme près de la fenêtre s’était éteint dans son sommeil.
Attristée, elle se fit aider pour enlever le corps, sous les yeux de son voisin, qui pleura la disparition de son ami.
Lorsqu’il sentit le moment propice, il demanda s’il pouvait être placé dans le lit à côté de la fenêtre. L’infirmière fut heureuse de lui faire ce plaisir et après s’être assuré qu’il était confortablement installé, le laissa seul.
Lentement, il se hissa sur un coude pour jeter un premier coup d’œil à l’extérieur. Il aurait enfin la joie de voir par lui-même tout ce que son compagnon savait si bien lui décrire… mais tout ce qu’il vit fut un mur.
Pourquoi son compagnon disparu lui avait-il décrit tant de merveilles alors qu’il n’en n’était rien ? demanda-t-il à l’infirmière.
« Sans doute pour vous donner du courage, répondit cette dernière en souriant, car, vous ne le saviez peut-être pas, mais il était aveugle. »
La morale de cette histoire est qu’il y a un bonheur immense à rendre les autres heureux, en dépit de ses propres soucis.
Et que si la peine partagée divise par deux la douleur, alors la joie partagée sera double.
A très bientôt !